la question de mourir dans la dignité
Mémoire à la commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité :
Par Dr Alma Sylvestre, radio-oncologue,
inscrite à la maîtrise courte en administration publique.
Dans le cadre de sa profession, le radio-oncologue est amené à suivre des patients atteints de cancer dans toutes les phases de sa maladie : dans l’intensité d’un traitement dont le but est la guérison, le suivi de ces patients en phase de rémission, parfois l’annonce de la récidive et le traitement de patients incurables dont le but est de soulager la souffrance. Souvent, le médecin doit abondamment discuter des bénéfices d’un traitement qui peut soulager ou prolonger, au prix d’effets secondaires plus ou moins acceptables selon le patient. Il faut aussi comprendre les attentes du patient face au traitement. Désire-t-il un traitement plus intensif pour vivre le plus longtemps possible, ou un traitement pour le rende moins souffrant, ou plus autonome ? Est-ce que le traitement pour lui représente un acharnement ou au contraire, sent-il que l’on jette trop tôt la serviette et que le traitement n’est pas assez intensif ?
Aussi serait-il bien que la réalité soit comme les films où le médecin annonce avec exactitude l’espérance de vie et l’évolution de la maladie chez tous ces patients. Nos conseils et les informations que nous leur donnerions seraient alors toujours personnalisés et justes, adaptés à leur situation présente et future. Il vous reste deux mois à vivre, vous allez devenir paralysé, un fardeau pour votre famille, souffrir, … Avez-vous déjà songé au suicide ?
Cette question demande donc une première prémices : une connaissance exacte du futur. Or ce genre de prédictions ne devient fiable que dans les derniers 48h !
Toute prédiction à plus long terme devient considérablement moins fiable étant donné l’inhérente variabilité des individus et de la réponse des différentes cellules cancéreuses au traitement. Les médecins se basent sur des études de centaines de patients chez qui un traitement a été administré ayant résulté en quelques mois d’amélioration avec une palette d’effets secondaires. « Mais qu’en adviendra-t-il de moi ? Quel effet cela aura-t-il chez moi ? ». Expérience, art, connaissance de la littérature sur le sujet permettront de tenter de répondre au mieux. Mais toujours avec humilité devant l’inconnu de l’avenir, du destin, de la vie.
Ce que prétendent les défenseurs du droit à l’euthanasie ou du suicide assisté, c’est que l’incertitude de la vie est humiliante. Cela traduit un courant de pensée puissant dans notre société actuelle qui prône l’autonomie de l’individu : sa productivité, sa contribution, sa capacité de s’occuper de lui-même et des autres, d’être maître de sa destinée. Nous mangeons nos cinq à dix portions de fruits et légumes, faisons nos 30 minutes d’exercice quotidien, mettons notre ceinture de sécurité en automobile, nous nous faisons vacciner, mais cela n’offre aucune certitude. Nous ne faisons que jouer aux jeux des probabilités. En fait, le vieillissement même est une lente dégénérescence de ce que nous valorisons. Dès la puberté complétée, nous amorçons cette lente dégénérescence : nous récupérons plus difficilement du manque de sommeil et de repos, la guérison est plus longue, la grossesse comporte plus de risque pour la femme et son fœtus. Éventuellement notre corps devient plus susceptible au cancer vue l’affaiblissement de notre système immunitaire et le sénescence naturelle des cellules de notre corps, puis nos os s’affaissent et deviennent fragiles, ils nous font souffrir, nos cristallins développent des cataractes, notre cerveau ralenti. Nos amis et nos proches meurent. Certains n’ont pas de famille, d’autres en sont exclus. Éventuellement nous mourrons tous. Effectivement, la seule avenue définitive est le droit au suicide. Dans cette optique, tout le reste est incertain, injuste et humiliant. À quel âge le suicide devient-il acceptable ?
La souffrance psychologique d’un dépressif chronique qui tente à plusieurs reprises de se suicider est réelle, intense mais reconnue pathologique. On reconnaît la nécessité d’offrir un traitement (biologique, psychologique et social) au malade. On ne consent pas à son désir de suicide ou d’être euthanasié. La souffrance psychologique des vieillards, ou des malades atteints de maladie dégénérative ou de cancer en phase terminale serait-elle différente ? Quelle en est la légitimité morale, sociale, éthique ? On reconnaît que les personnes âgées en perte d’autonomie devraient avoir un support pour leur maintient à domicile le plus longtemps possible. On devrait leur apporter des services d’aide aux tâches domestiques, de transport, d’activité de socialisation. Éventuellement de l’aide aux soins d’hygiène personnelle. Dans cette transformation progressive de leur autonomie, de leur jouissance de la vie, de leur apport à la productivité sociale, leur souffrance physique et psychologique peut-être considérée pathologique ou justifiée. Le respect de l’autonomie de l’individu se retrouve à la croisée de deux chemins diamétralement opposée : le droit à la vie ou le droit à la mort.
Dans l’optique où le droit à la mort des individus serait privilégié, le système judiciaire apparaît comme une avenue plus sécuritaire d’évaluation et d’administration de l’euthanasie ou du suicide assisté. La démarche doit demeurer suffisamment longue et fastidieuse pour laisser la possibilité au demandeur de changer d’avis. L’avis du corps médical doit évidemment peser dans le processus. La décision et l’administration des soins de mort devraient néanmoins être séparés du système de santé et des services sociaux, tout comme l’est l’administration de la peine de mort. Il s’agit d’un choix social et non pas médicalement requis. La mort arrive immuablement par elle-même. D’ailleurs les pays qui ont légalisé l’euthanasie et le suicide assisté ont vu une quantité significative de cas où les médecins ont court-circuité le processus légal pour accélérer une action qu’ils trouvaient socialement justifiée. L’intimité de la relation médecin-patient peut entrainer plus facilement ce genre de dérive qu’un processus administratif judiciaire. De plus, actuellement, il devrait s’agir d’une mesure d’exception pour un individu, entérinée par le système judiciaire, lorsque le système de santé et des services sociaux ne peut répondre à ses besoins.
Le droit à l’euthanasie et au suicide assisté apparaît comme le droit d’une société qui a peur de l’incertitude de son destin et peur de la perte de l’autonomie productive de ses membres, et de surcroît refuse les moyens de subvenir à leurs besoins.
L’euthanasie et le suicide assisté dépassent de loin le cadre médical. Les situations exceptionnelles où médecins, éthiciens et légistes s’entendent pour reconnaître le bien fondé de ces actes doivent être débattues et jugées dans le cadre d’un processus judiciaire externe à la relation médecin-patient.
Dr Alma Sylvestre, MD, FRCPC,
Radio-oncologue,
Hôpital Maisonneuve-Rosemont
5415, boul. Assomption
Montréal (Québec)
Étudiante à la maîtrise courte, en administration publique à l’ENAP.