Avoir le choix
Beaucoup d’encre a coulé ces derniers temps sur la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. J’ai lu beaucoup d’articles dans les journaux ainsi que le document de consultation de la commission spéciale sur l’euthanasie. Il y a tous genres d’opinions, de questionnements et de préoccupations. Comme je suis dans le camp de ceux qui sont « pour », j’aimerai donner mon avis par rapport à certains arguments de ceux qui sont « contre » :
Il y a la raison d'ordre moral et religieux; certains croient que le fait de légaliser l’euthanasie revient à contrer l’interdit général du meurtre et du suicide, à nier le caractère sacré et l’inviolabilité de la vie humaine et risque de banaliser le geste de donner la mort, et que si la volonté individuelle est importante à respecter, les valeurs sociétales doivent l’être aussi.
À cela j’oppose le droit à l’autonomie : l'être humain est seul titulaire des droits associés à son corps. C’est la simple application de la liberté individuelle. Chacun a la liberté d’agir selon ses propres valeurs et convictions. En plus, le suicide n’est pas interdit par la loi et personne n’est sanctionné pour avoir essayé de se tuer. Dans ce cas là, ce serait injuste de sanctionner celui qui l’a aidé, quand c’est la personne même qui le demande et quand cette mort n’est point profitable à l’individu aidant! Et en effet, au fur et à mesure du temps qui passe, les condamnations de ces derniers deviennent de plus en plus symboliques.
Donc la liberté de choix du malade, qui sait mieux que quiconque ce qu'il désire est celle qui doit primer, et non les valeurs de la société, tout simplement car la souffrance extrême et l’agonie, c’est le malade seul qui l’endure et non la société avec lui.
Dans un article de La Presse, (Euthanasie: les retraités de l'Est plus frileux) [1], une question de sondage a attiré mon attention : on demande aux répondants ce qu’ils préfèrent que le gouvernement priorise, l’euthanasie ou l’investissement public dans les soins palliatifs ? Formulée de cette façon, ce n’est pas difficile de trancher pour les soins palliatifs! Mais pourquoi parler d’euthanasie versus soins palliatifs ? Le débat n’est pas dans le choix de l’une ou l’autre. L’une n’empêchera jamais l’autre.
Légaliser l’euthanasie n’empêcherai en rien d’investir dans les soins palliatifs : La pratique de l’euthanasie ne couterai pas vraiment grande chose, donc n’irai piger dans aucun budget en particulier.
Il reste même essentiel d’augmenter le nombre de lits en soins palliatifs qui sont à présent insuffisants. Qui sait, s’il y a assez de place pour tous dans les soins palliatifs, c’est probable que ceux qui auraient envisagé l’euthanasie dans certaines circonstances, n’y penseraient peut-être même plus en la présence de cette alternative. Et ceux qui auront demandé de mourir uniquement pour ne pas être un fardeau (moral et financier) pour leurs proches se trouveraient épargnés par cette prise en charge. D’ailleurs, une partie des médecins qui sont contre ces pratiques estiment que « les progrès en matière de traitement de la douleur et de la souffrance (soins palliatifs) rendent l'euthanasie inutile. Ainsi, la forte baisse des cas d'euthanasie aux Pays-Bas entre 2001 et 2005 est attribuée par la majorité des médecins à l'amélioration des soins palliatifs » [2].
En plus de la peur de délaisser les soins palliatifs, d’autres craignent que si la porte sera ouverte à l’euthanasie et au suicide assisté, elle s’imposera comme solution de facilité, car moins coûteuse et plus rapide. Dans un autre article, on se demande si la compassion ne déguise pas « l'inhumanité du moindre coût » [3], ou si c’est pour pallier au besoin criant en lits dans les hôpitaux et autres établissements.
Cette préoccupation touche l’enjeu le plus criant du système de la santé, celui des ressources.
En fait, elle est de combien la proportion des personnes qui demandent l’euthanasie ou le suicide assisté ? « A l’Oregon, aux États-Unis, depuis la légalisation du suicide assisté en 2007, seulement 0,2% de tous les décès sont survenus par ce moyen. En Belgique, entre 2003 et 2009, les analyses démontrent que seulement 0,2 à 0,9% de tous les décès sont attribuables à l'euthanasie. Aux Pays-Bas, où la loi permet le suicide assisté et l'euthanasie depuis 10 ans, plus ou moins 2% de tous les décès sont attribués à l'euthanasie, et 0,1% par suicide assisté » [4].
Combien d’argent 2% des décès permettrait de sauver ? Je ne pense pas que cela suffirait à diminuer les dettes, ni à vider autant de lits que cela…donc je ne pense pas que le débat déclenché soit un prétexte pour libérer des lits ou pour diminuer les coûts reliés à la santé. Mais si la légalisation de cette pratique va contribuer un peu à le faire, pourquoi pas ? N’importe quelle action entraine toujours des apports positifs et négatifs.
En plus, je pense qu’on est loin du point où mourir deviendrait un devoir. La volonté de vivre de l’être humain est très puissante. Personne ne voudrait mourir, on se bat tous instinctivement pour notre vie ; donc je pense que ce serait difficile de persuader quelqu’un d’accepter de se laisser faire, sauf si ça fait vraiment leur affaire. D’ailleurs, parmi les plus souffrants, c’est uniquement une infime partie qui demande l’euthanasie ou le suicide assisté, et non pas la totalité.
Légaliser ne veut pas dire médiatiser ni encourager, comme certains le pensent. Légaliser c’est uniquement dépénaliser quand ces pratiques seront demandées. En tout cas, elles se font déjà, d’une façon ou d’une autre. Une loi va juste bien les encadrer. Je présume que notre gouvernement va bénéficier de l’expérience de tous les autres états qui ont déjà légalisé ces pratiques, et apprendre de leurs erreurs et historique, pour mieux baliser; ainsi, l’euthanasie et le suicide assisté ne seront jamais un bouton qu’on pourra presser à l’insu du patient et/ou de son entourage.
En conclusion, je ne pense pas que tenir compte de la volonté du mourant exprime une moindre importance que l’on attribue à la vie. Le monde est en continuelle évolution et les opinions sont constamment modelées par les expériences vécues. On est tenu de s’adapter au fur et à mesure ; et la loi est tenue de s’adapter à la société. « Le cas de l’avortement est éloquent : il illustre comment la loi, et en particulier la loi pénale, suit, avec bien du retard, l’évolution de la société et ne la précède pour ainsi dire jamais » [5].
On est rendu à ce temps là de notre parcours, celui de s’octroyer plus de droits, plus de libertés.
Aline Germanos ENP7328
[2] http://www.lalibre.be/index.php?view=article&art_id=347601
[5] http://www.dickmarty.ch/Docs/2010611_etica_congr_2_050821.pdf