Faire un choix
Faire un choix implique certains renoncements, y sommes-nous prêts?
Quand vient le temps de choisir dans quel programme le gouvernement investira de l’argent, il met au grand jour ses orientations, ses valeurs. Pour assurer la pérennité des soins de santé au pays, le plus grand défi réside dans l’établissement de l’équilibre entre l’offre de services, les besoins de la population et les ressources disponibles. Les coûts des soins de santé absorbent une portion de plus en plus grande des budgets des provinces et cette augmentation n’est pas appelée à changer avec les nouveaux enjeux de santé (besoins) qui se présentent à nous. Ainsi, en 2010-2011 les dépenses de santé représentent 45 %, soit 28 milliards de dollars au Québec. En 2009, la santé représente le plus important secteur de l’économie du Québec, soit 12 % du produit intérieur brut (PIB). Cet investissement important du financement public en santé exerce une pression sur les autres missions de l’État. Si la tendance se maintient, les dépenses en santé pourraient représenter deux tiers des dépenses des programmes en 2030, alors que les demandes en soins de santé ne feront qu’augmenter en raison de l’évolution démographique et technologique, sans compter la réduction du bassin de travailleurs potentiels et le faible taux de natalité qui n’atteint pas encore le seuil de remplacement des générations de 2,1 enfants par femme. Les personnes âgées de 65 ans et plus qui formaient environ 14,6 % de la population en 2008, atteindront 25 % en 2031. En 2008, il y avait près de 4,8 personnes de 15 à 64 ans pour chaque personne de 65 ans et plus, il n’y en aura que 2,4 en 2031. Cette baisse du nombre de personnes en âge de travailler entraînera une réduction de la croissance économique, donc moins d’argent pour financer les différents programmes.
Par souci des principes d’universalité, d’accessibilité et d’intégralité du système public de soins de santé, il est urgent de trouver des moyens de gérer ces coûts afin de rendre accessible des soins de santé de qualité. Trois moyens s’offrent à la population québécoise pour contrôler les coût : accepter de diminuer le panier de service, accepter de restreindre les nouveaux services ou agir sur les ressources. En Juillet dernier, M. Bachand proposait d’agir sur cette dernière en proposant comme solution le «ticket modérateur». Il semble que cette solution ne passe pas auprès de la population québécoise fière de son système de santé gratuit et universel. La solution est donc rejetée en septembre, laissant un manque à gagner de plus de 500 000 millions de dollars dès 2013 pour couvrir les soins de santé des québécois. La culture de «l’État providence» est mise à l’épreuve et des choix sont à faire.
Les principes de la loi canadienne et québécoise sur la santé parlent de rendre accessible à tous et de couvrir tous les soins de santé assurés médicalement nécessaire sans discrimination. Qu’est-ce qu’un soins de santé «médicalement nécessaire». Est-ce que la fécondation assistée fait partie d’un soin médicalement nécessaire? Oui, si le couple infertile désir un enfant. Ce service doit-il être couvert par les finances publiques? Les opinions sont partagées. Dans le contexte actuel, il faut dire qu’il est légitime de se questionner.
Lorsque le ministre Bolduc a annoncé ce choix de financer la procréation assistée, il a lancé qu’une des choses les plus riches pour une personne, c’est d’avoir un enfant. On peut comprendre ce désir d’enfant et surtout imaginer toute la souffrance qu’entraîne l’infertilité, et en être empathique. Les enfants représentent la richesse d’un peuple et on ne peut être contre l’idée de favoriser leur venu. Le principe est louable, la façon de parvenir au but est questionnée ici.
A ce titre, la Commission de l’éthique et de la technologie (CEST) reconnaît la légitimité de ce désir, cependant elle soutient qu’il n’existe pas de «droit à l’enfant». L’État n’est donc pas tenu d’accéder à toutes les demandes de citoyens sur une base du désir. Dans une société de droit, la distinction est de mise.
Selon le ministre Bolduc, ce choix de financer la procréation assistée est bon pour le Québec parce qu’elle contribuera à augmenter la natalité et le choix d’implanter un seul embryon permettra de faire des économies puisqu’il y aura moins de grossesses multiples. Il avance que le nombre de fécondation in vitro pourrait passer de 2500 par année à 10 000 en 2013. Chaque cycle de fécondation coûte de 12 000$ à 15 000$ Trois essais et l’implantation d’un seul embryon à la fois seront couvert par l’assurance maladie du Québec. Ainsi, les nouvelles mesures sont évaluées à 31 millions pour la première année(2011-2012), jusqu’à atteindre 63 millions de dollars en 2013-2014.
Jusqu’à présent, 30 % des grossesses obtenues en procréation assistée étaient des grossesses multiples, ce qui entraînaient des coûts de santé et des coûts sociaux considérables parce que les enfants présentaient souvent des problèmes de santé. La restriction du nombre d’embryons implantés et la diminution du nombre de grossesses multiples permettrait de faire des économies. Cependant, plus le nombre d’embryons implantés est élevé, plus les chances de réussite sont grandes. L’implantation d’un seul embryon représente une chance de réussite de 15 %.
Sincèrement, je ne vois pas où est l’économie et encore moins comment nous pouvons croire que ce moyen viendra pallier à la diminution du taux de natalité au Québec. La présidente de l’Association des pédiatres du Québec a mis en doute cet optimisme face à l’impact du programme sur les naissances. Même si ce moyen en venait à augmenter le taux de natalité viable, le système de santé actuel n’est pas en mesure d’y répondre à cause de la pénurie de médecins obstétriciens gynécologues et d’infirmière. Le système de santé est saturé et n’arrive pas à répondre aux demandes des grossesses actuelles.
Des mesures pour soutenir les individus dans leur désir de fonder une famille existent. Pourquoi ne pas miser sur l’amélioration de ces mesures?
A l’heure actuelle au Québec, un crédit d’impôt des coûts de la fécondation in vitro de 50% de ces frais jusqu’à une concurrence d’un plafond annuel de 20 000 $. Pour ce qui est de l’adoption au Québec, le remboursement est de 50 % des frais jusqu’à concurrence de 20 000$, soit un crédit remboursable de 10 000 $. Au fédéral, le crédit est non remboursable, il correspond à 15 % des frais d’adoption admissibles limités à 10 909 $ par enfant adopté.
Les mesures de soutien aux familles misent en oeuvre par le gouvernement ont fait en sorte que le nombre de grossesse a augmenté considérablement depuis 2004-2005 passant de 78 481 à 88 400 en 2009-2010.
En 2008, le même gouvernement libéral s’est engagé à développer 18 000 places plutôt que 9 000 initialement planifiées, et ce pour répondre à la cible de 220 000 places à contribution réduite pour 2010. A l’heure actuelle, c’est plus de 210 000 places à contribution réduite subventionnées par le gouvernement du Québec qui sont offertes. Par ailleurs, il existe plus de 11 000 places en services de garde non subventionnées. Un crédit d’impôt variant entre 26 % et 75 % des frais de garde admissibles payés par les parents selon le revenu familial permet de soutenir ceux qui ne peuvent utiliser un service de garde subventionné. Ces engagements ont été favorables à l’augmentation du taux de natalité et ne devraient pas toujours être remis en question par ce même gouvernement, mais plutôt bonifiés. Il manque encore plus de 5 000 places en milieu de garde subventionné.
Enfin, au moment où on se questionne sur le principe de mourir dans la dignité, nous ne pouvons passer sous silence le manque de ressources pour les personnes en fin de vie. D’ailleurs, le Protecteur du citoyen a soulevé plusieurs lacunes sur le plan de l’hébergement de longue durée pour les personnes âgées, les soins à domicile et les soins palliatifs actuels. Il est intéressant de voir qu’en comparaison, le crédit d’impôt de maintien à domicile d’une personne de plus de 70 ans s’élève à 4 680 $ par personne par année, ce qui correspond à 30 % des dépenses annuelles admissibles, soit 15 600 $. Si la personne n’est pas autonome, le crédit annuel maximal est de 6 480$. La limite des dépenses annuelles admissibles atteint 21 600 $. Le Québec compte actuellement 1,1 million de personnes de 65 ans et plus, et ce nombre doublera en 2031
Dans une entrevue accordée à la journaliste Louise-Maude Rioux Soucy au Devoir le 8 septembre dernier, Le ministre Bolduc disait rêver du jour où chaque CSSS aura sa maison de soins palliatifs en appoints aux services déjà offerts actuellement. Présentement ce service ne serait accessible qu’à 15 % de la population. Dans le même article, le ministre de la santé avance que le Québec s’engagerait à octroyer une aide de 60 000 $ par lit. Cependant, il en faudrait quatre fois plus pour couvrir les 95 CSSS et atteindre l’objectif de 50 lits pour 500 000 habitants qui correspond à la norme fixé par le ministre. Alors, si on fait un calcul rapide, 50 lits par 50 000 habitants à 60 000$ chacun pour une population au Québec de plus de 7,7 million d’habitants, cela représente près de 400 millions de dollars.
Il y a 500 000 millions à aller chercher d’ici 2013, la fécondation assistée coûterait 63 millions pour cette même période et financer les soins palliatifs selon la norme établie reviendrait à 400 millions. Que faire ?
Pour assurer la pérennité des soins de santé au pays, le plus grand défi réside dans l’établissement de l’équilibre entre l’offre de services, les besoins de la population et les ressources disponibles. A court terme, je ne compterais pas trop sur les revendications des transferts fédéraux et pour ce qui est de l’augmentation de la productivité du réseau, même si elle est à revoir, il faudra du temps pour retrouver un certain équilibre. Nous sommes donc à l’heure où il faut faire des choix. La population vieillissante coûtera de plus en plus cher et le taux de natalité est insuffisant pour répondre à la demande. Où investir et comment?
Pour augmenter le nombre d’enfant, il me semble qu’il y a des moyens à mettre en place ou du moins répondre aux engagements déjà proposés : politique familiale favorable aux personnes désireuses de fonder une famille, politique d’immigration plus efficiente, poursuite des mesures fiscales pour la procréation assistée ou pour l’adoption et j'en passe. Est-ce suffisant?
On est à l’heure des choix, et il semble que certains groupes soient plus entendus que d’autres auprès du gouvernement .
Manon Lacroix
ENP7328-jeudi pm