#2 - Une décision est un risque, en soi
Qu’en est-il des gouvernements ouverts ? Qu’est-ce qui est déjà ouvert? Qu’est-ce qui pourrait l’être? Quelles lois encadrent ces ouvertures? Est-il possible aujourd’hui de penser à former un réel gouvernement basé sur l’ouverture des données, des processus, des décisions?
Le 2 mai 2012 [1], le gouvernement du Québec s’engageait sur la voie du gouvernement ouvert. Fin février [2], la ville de Québec organisait un concours où deux équipes s’affrontaient pour créer une application utilisant les données ouvertes de la ville. Depuis le 27 octobre 2011, la ville de Montréal met de plus en plus de bases de données à la disposition de tous sur un site Internet bien organisé [3]. Le 20 septembre 2011, le gouvernement canadien s’est engagé dans un partenariat pour un gouvernement transparent [4].
La liste des gouvernements cherchant à entrer dans la danse est longue. Est-ce une mode ou une réelle intention de devenir transparent? Est-ce pour remédier à un problème? Le temps nous dira les véritables motivations derrière ce mouvement. Il n’en demeure pas moins que le phénomène est maintenant incontournable. La démocratisation du Web 2.0 permet aux citoyens, aux fonctionnaires et aux élus d’échanger sur tout et en tout temps.
On peut distinguer plusieurs approches pour les processus en question.
Il peut s’agir de rendre disponibles aux citoyens des données brutes sous forme de fichiers. Ces fichiers seront traités soit par des citoyens cherchant ne information bien précise, soit par des agrégateurs de données, des spécialistes recoupant les informations entre elles afin de mieux en tirer profit, soit par des reporteurs et journalistes voulant informer la population.
Il peut s’agir de rendre les activités du gouvernement plus facilement accessibles. On peut penser ici à rendre accessibles la liste des décideurs, les liens entre les personnes, les agendas.
Il peut également s’agir de rendre le dialogue entre les citoyens et le gouvernement plus transparents ou faciliter la transmission d’informations dans les deux sens. Cette approche est particulièrement mise de l’avant lorsque la proximité avec le citoyen est ou cœur des activités gouvernementales. Les villes en sont un bon exemple. Le citoyen peut informer rapidement d’un problème sur sa rue et peut s’enquérir rapidement des moyens qui seront mis en œuvre pour le régler.
Finalement, il pourrait s’agir d’ajouter le gouvernement de participation à un gouvernement de représentation. Cette nouvelle forme d’expression de la démocratie permet la prise de décisions gouvernementales dans le cadre de la mobilisation de l’ensemble des citoyens. Les citoyens participent directement à l’élaboration des actions gouvernementales par des dialogues, par des votes, par l’expression d’opinion sur les travaux en cours.
La recherche du gouvernement plus ouvert n’est pas nouvelle. Quelques années après la démocratisation du web, en 1998, le gouvernement met en place la « La politique québécoise de l'autoroute de l'information » qui placera une première pierre à l’édifice des relations numériques du gouvernement. Le phénomène n’est pas régional. L’ensemble des grands regroupements d’États y va d’une déclaration dans ce sens.
Certes, des événements comme le printemps arabe ou le printemps érable soulèvent des questions de contrôle de l’information. Si les gouvernements ne s’occupent pas de démocratisation de l’information, le peuple peut maintenant le faire par lui-même. Pour arriver à suivre le mouvement, les institutions doivent aller très vite et nous savons que, de façon générale, les institutions n’ont pas tendance à agir promptement. Cette «lenteur» peut être en partie attribuable à la nécessité pour tous les fonctionnaires d’agir avec l’approbation du gouvernement. Tout doit être approuvé. Et l’approbation prend du temps. La vitesse à laquelle l’information circule risque d’être incompatible avec la vitesse des décisions du gouvernement et de ses administrateurs. Cette incompatibilité pourra même, parfois, faire passer ces administrateurs pour des gens, ou des organismes, de mauvaise foi, cherchant à cacher quelques choses, encore. Une des conditions essentielles à la concrétisation d’un gouvernement ouvert est l’adhésion de l’ensemble de la fonction publique. Un gouvernement en ligne efficace aidera à rétablir la confiance de la population en ses institutions et la gouvernance en ligne a besoin de la confiance de la population pour se réaliser.
Le gouvernement ouvert est un enjeu incontournable de l’organisation de l’administration publique pour les prochaines années. J’ai confiance que ses administrateurs gagneront à montrer leurs compétences, en toute transparence. Tout un changement de culture. Mais le risque en vaut la chandelle.
Mercier nous décrit le processus décisionnel Public choice [9]. L’organisation des services publics en tenant compte à la fois de ce processus décisionnel, l’ouverture des organisations gouvernementales et de la loi de Wagner incitent à réfléchir notre vision de l’organisation même des gouvernements. Actuellement, nos gouvernements sont organisés en ministère, sous la responsabilité d’un ministre, appliquant des lois. Ces lois créent également des organismes plus ou moins autonomes. Les actions de ces grandes organisations seront facilement paralysées avec les contradictions entre le besoin des citoyens, le besoin de l’organisation pour elle-même et le besoin des individus formant l’organisation. Une partie de la solution réside dans une réorganisation des gouvernements. Une sorte de gouvernement à géométrie variable en fonction de la taille de l’unité de décision. On confie aux citoyens-usager la gestion du parc au coin de la rue et on confie à un grand regroupement de citoyens la gestion d’un parc national. Les regroupements se formant à partir d’un processus simple et ouvert. Ceux-ci administrent les deniers publics qui leur sont confiés et rendent compte de leurs décisions à la population et au regroupement. La distribution des deniers entre les regroupements se fait de la même manière, par des discussions au sein d’un regroupement de citoyens intéressés. Il faudra penser à une forme de représentation pour les citoyens ne pouvant pas se représenter eux-mêmes, notamment les générations futures ou les personnes inaptes. Vision utopiste ou cauchemardesque de l’organisation gouvernementale, je ne saurais dire. Certes, je vois difficilement comment nous pourrions arriver à cette organisation pour l’ensemble de l’État. Toutefois, des expériences pourraient certainement être tentées à petites échelles et multipliées au besoin.
Les gouvernements doivent prendre des risques, car prendre une décision est un risque en soi. Toutefois, les nouvelles pratiques d'accès à l'information et la notion de gouvernement ouvert viennent compliquer, encore un peu plus, les processus décisionnels des gouvernements. Nous devons repenser les structures.
Jean Robitaille
1 - http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Mai2012/02/c3483.html
3 - http://donnees.ville.montreal.qc.ca/
4 - http://www.ouvert.gc.ca/media/ogp-fra.asp
5 - http://quebec.huffingtonpost.ca/mario-asselin/gouvernement-ouvert_b_1983380.html
6 - http://quebec.huffingtonpost.ca/mario-asselin/plan-numerique-quebec_b_1925496.html
7 - http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-448/D%C3%A9mocratie_et_gouvernement_en_ligne.html
Une lecture importante pour se faire une idée de comment et du pourquoi… le rapport Gautrin sur le Web 2.0
8 - http://www.mce.gouv.qc.ca/publications/rapport-gautrin-web-2-2012-03-06.pdf
9- MERCIER, Jean (2002), «L’administration publique, De l’école classique au nouveau management public», Presse de l’Université Laval, p157 à 163.