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«Le festival d'Info-Carrière» ™ (ou pourquoi la fonction publique est vouée à une crise existentielle.)

Blog 1 - Session hiver 2013

Cours ENP7505 - Rémy Trudel

Il était une fois un organisme public dans une belle et vaste province...

Bien heureuse de son autonomie financière, bien qu'elle fût sous l'égide d'un ministère, celle-ci vaguait paisiblement à ses occupations. Dans cet organisme se retrouvait une direction d'un peu plus d'une centaine d'employés, en charge de rendre des décisions quasi-judiciaires. Les années passèrent et ces professionnels devenaient de plus en plus accablés par leur travail, car leur reddition de compte consistait à atteindre un quota minimum de dossiers traités par mois, ce qui s'avérait assez difficile. Du reste, ce critère quantitatif ne prenait ni en compte la qualité du travail accomplis ni la qualité du service offert à la clientèle. La Direction ne se souciait guère de cette situation et la qualité de prestation de service n'était donc qu'un vœu pieux.

Les nouveaux serviteurs d'État se déplaisaient rapidement de ce boulot. Forcément, il y avait toujours une bonne proportion d'entre-deux qui cherchaient ailleurs dans la fonction publique. Le gazon n'est-il pas toujours plus vert chez le voisin ? Bref, le taux de roulement des employés étaient de l'ordre de 30 à 40% par année. De fil en aiguille, très peu d'employés experts restaient dans les rangs. Conséquemment, des employés inexpérimentés étaient de plus en plus chargés des dossiers complexes, ajoutant d'autant plus à leur difficulté de réaliser leur quota et leur incitant davantage à quitter le navire. La question se posait alors à tous : La direction allait-elle tôt ou tard perdre carrément sa capacité à remplir son mandat légal ?

Cette petite histoire vécue n'est en fait qu'un exemple d'une problématique bien réelle, mais honteusement balayée sous le tapis dans la fonction publique du Québec, c'est-à-dire, les taux de roulement vertigineux dans certains ministères et organismes ainsi que les difficultés de rétention du personnel expérimenté. De cause à effet, on parle alors de qualité déficiente des services, de coûts élevés de formation de la main d'œuvre, de perte d'expertise difficilement remplaçable, de long délai dans la réalisation de mandat et dans la prise de décision, de conflits bureaucratiques et d'erreurs tout simplement coûteuses financièrement ou médiatiquement.

Par exemple, tout le monde reconnaît aujourd'hui les conséquences désastreuses de la perte d'expertise technique au sein du Ministère des Transports durant les années 80s et 90s. En ce sens, le rapport Duchesneau déplorait fortement la fuite d'expertise du public vers le privé au sein du ministère et recommandait des embauches massives. Malheureusement, la situation est loin d'être facilement corrigible comme l'atteste Mme Lucie Martineau, présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ):

«Et dès qu'ils [les nouveaux employés] rentrent, on leur dit que les conditions de travail sont mieux ailleurs», soupire-t-elle, plaidant pour l'instauration de primes d'attraction et de rétention pour combler l'écart avec le privé, qui tourne autour de 20 à 25 %.» [...] Michel Gagnon, président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec s'interroge aussi sur le profil des recrues. «L'ex-policier Jacques Duchesneau s'inquiétait de voir les travailleurs d'expérience concentrés dans le privé alors que le public recrute et forme les nouveaux diplômés... qui se retrouvent ensuite au privé.»[1]

Une ancienne collègue, aujourd'hui fièrement retraitée, avait trouvé une expression joyeuse qui résume parfaitement la question : le festival d'info-carrière! Pour les non-initiés, il faut savoir que tous les lundis matins, tous les employés de la fonction publique du Québec arrivent au boulot et la première chose qu'ils font après avoir ouvert leur ordinateur est de regarder les offres d'emplois mise à jour sur info-carrière. Des milliers d'employés qui pensent que le gazon est plus vert chez le voisin !

Les causes de cette situation sont multifactoriels, s'étalent sur plusieurs décennies et nécessitent certainement une étude approfondie. Néanmoins, nous pouvons aisément énoncer quelques éléments pertinents. Tout d'abord, notons une rémunération qui n'est pas concurrentielle du tout. Dans son Enquête en 2011 sur la rémunération globale au Québec[2], l'Institut de la Statistique du Québec démontrait que le salaire global des employés de la fonction publique du Québec était de 15 à 30% moins élevé que des emplois équivalents dans le secteur privée, dans la fonction publique fédérale ou dans la fonction publique municipale.

Ensuite, nous pouvons admettre que l'absence de reconnaissance, voire même la hargne du public envers le travail accompli par les fonctionnaires, n'est pas un gage de motivation pour ceux-ci. La perspective généralement très négative des médias et leur emphase sur des éléments scandaleux n'aident pas à valoriser le prestige de la fonction publique, pour peu qu'il y en ait encore.  Notons aussi que les employés sont soumis à un maximum de contraintes dans leurs tâches, car tout ce qui n'est pas autorisé est par défaut défendu. De plus, la lourdeur des processus administratifs découlant des lois, des règlements, des directives, etc, se veulent de plus en plus complexes et nécessitent parfois une grande dose de patiente. Pas surprenant que beaucoup d'employés quittent souvent très frustrés de la fonction publique.

Mentionnons finalement que la doctrine de l'administration publique : «Tout doit être approuvé» est un frein direct aux initiatives et aux idées nouvelles des nouveaux employés. Ceux-ci apprennent rapidement qu'ils ont tout intérêt à ne pas remettre en question les façons de faire et les décisions prises et qu'il vaut mieux garder pour soi ses suggestions. Le manque de candeur et de maturité organisationnelle est un véritable secret de polichinelle au sein de la fonction publique du Québec. Des manquements au niveau de la reddition de compte chez les cadres est une aussi une problématique informellement reconnue.

Bref, le paradigme actuel est à revoir et de grandes remises en question sont à faire. Tôt ou tard, cette discussion aura lieu, car comme dans l'exemple du début, de nombreux services de la fonction publique du Québec sont en déconfitures et ce n'est qu'une question de temps avant que l'eau du bain se met à déborder.


Bugs Bunny



[1] Annie Morin. Le Soleil, «Ingénieurs difficiles à recruter aux Transports», publié le 15 octobre 2012 à 05h00,   http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/transports/201210/14/01-4583208-ingenieurs-difficiles-a-recruter-aux-transports.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_vous_suggere_4576091_article_POS2 ( page consultée le 7 mars 2013)

[2] Institut de la statistique du Québec. Enquête sur la rémunération globale au Québec, 2011,  http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/remuneration/rapport_erg.htm (page consultée le 6 mars 2013)

Commentaires

  • Après avoir lu, j'ai reconnu quelques symptômes qui s'y trouvent aussi malheureusement dans mon secteur d'activité. Nous aussi avons de la difficulté à concurrencer les salaires du privé surtout dans notre domaine " développement informatique". Les analystes sont séduit par des offres de toutes part à des salaires faramineux. Comment faire pour garder l'expertise au service des citoyens?? Il est certain que l'état actuellement n'est pas en "état" de donner plus... Plutôt le contraire on essait par tout les moyens de couper partout... On ne remplace plus les retraités, coupure de poste etc... Jusqu'où serons-nous capable d'accomplir la tâches de plusieurs par une seule personnes... Le taux de burn out est aussi alarmant... On coupe ici mais on contribue à faire monter la facture en santé?

  • En fait, le problème avec le niveau des salaires pour les gens qui travaillent en informatique dans le secteur public, est que souvent, ils viennent apprendre leur métier chez nous et quittent pour de meilleurs conditions salariales par la suite. Cette situation coûte très cher à l'organisation qui investit dans son personnel pour en faire de meilleurs candidats qui iront offrir leur expertise chez des compétiteurs du secteur privé. On a beau dire que souvent l'une des caractéristiques des employés qui travaillent pour l'État est qu'ils sont plus motivés par la mission, soit une valeur plus intrinsèques que l'argent. C'est peut-être vrai pour certains types d'emplois, mais pas pour les employés qui travaillent en informatique... Dans les faits, ceux qui restent, le font pour profiter des conditions de travail, (horaires comprimés, congés de paternité, pauses payés et autres) ce qui fait que les projets n'avancent pas aussi vite qu'on le voudrait dans le secteur de l'informatique...

  • Mon cher Bugs,

    Je dois avouer que moi aussi tous les lundis, je m’adonne au festival d’« info carrière ». Et, pour augmenter mes chances de quitter mon emploi le plus rapidement possible, je regarde aussi les offres d’emploi de la ville de Montréal et ceux de la fonction publique fédérale. Bien que la fonction publique fédérale soit moins attractive depuis les nombreuses coupures de personnel. Je pense éventuellement offrir mes services aux regroupements d’organisme communautaire et peut être même aller au privé si ma situation actuelle perdure.

    Comme vous l’avez si bien souligné, la fonction publique québécoise est confrontée à un problème majeur de rétention du personnel et même d’attraction. Une étude réalisée en 2009 auprès de la population du Québec, concernant le choix d’employeur (stratégie des ressources humaines 2012-2017) indique que :

    1. l’entreprise privée, arrive au premier rang par les choix d’employeur
    2. la fonction publique québécoise se classe au cinquième rang, après la fonction publique fédérale, le statut de travailleur autonome et les réseaux de la santé et de l’éducation
    3. elle est même au sixième rang pour les membres des communautés culturelles et au huitième pour les anglophones québécois

    Au delà du salaire et d’une image négative véhiculée par les médias, je mentionnerais un processus de dotation extrêmement lourd et des possibilités d’avancement finalement très minces. Je n’envisage pas d’être 10 ans « occasionnel », comme mes anciens collègues avant d’obtenir ma permanence et pouvoir enfin postuler à des emplois professionnels avec des défis stimulants. Comme vous l’aurez deviné, j’occupe un poste de technicienne. A mon entrée dans la fonction publique québécoise, je me suis dit que je suis juste de passage et que je pourrais gravir les échelons assez rapidement. Mais quelle illusion et quel désenchantement!!! Si j’osais, je mentionnerais que la publicité est un leurre : perspectives de carrières intéressantes et sécurité d’emploi. On ne m’avait pas dit que ce serait aussi lent, long et ardu avant d’évoluer au sein de la fonction publique et d’avoir la sécurité d’emploi.

    Les ressources humaines m’ont dit que l’octroi de statut permanent dépendait du conseil de trésor et il n’est pas basée sur le mérite. Le fait de n’être ni permanent ni d’avoir la sécurité d’emploi ne me dérange pas autant que le fait de ne pouvoir évoluer au sein de l’administration. La sécurité d’emploi crée d’ailleurs des fonctionnaires à deux vitesses. D’une part, les permanents qui pour certains sont démotivés, désabusés, blasés, qui font fi de l’autorité, ne se préoccupent ni de la qualité de leur travail ni des services rendus aux citoyens et qui travaillent comme certains le mentionnent ouvertement pour leur paie aux 2 semaines. D’autre part, nous avons les occasionnels qui travaillent fort pour conserver leurs postes car il suffit d’un préavis de 2 semaines pour rompre un contrat et qui rêvent en faisant un travail impeccable à décrocher une promotion. Je me demande si l’ambition a sa place dans la fonction publique québécoise tellement c’est difficile de passer toutes les étapes pour arriver se réaliser professionnellement et développer son plein potentiel. On a l’impression que c’est possible et accessible uniquement pour une élite. Il existe même des rumeurs de favoritisme.

    Faisant partie de la génération Y, l’instabilité et les contrats ne me font pas peur, J’aimerais rester travailler pour la fonction publique québécoise car ses valeurs me rejoignent fortement mais 10 ans occasionnel sans pouvoir postuler à des offres d’emploi réservés aux fonctionnaires réguliers…. NON! J’espère quitter avant de devenir une fonctionnaire aigrie car n’ayant pu réaliser ses rêves. La sécurité de l’emploi me coûterait trop cher!!!

    Avec les enjeux démographiques (baisse du taux de natalité, vieillissement de la population) qui impliquent un marché de l’emploi très compétitif, la fonction publique a tout intérêt à redorer son image, à offrir des conditions de travail attractives et à repenser ses façons de faire notamment en impliquant les nouvelles générations aux processus de décision avec une gestion participative à tous les niveaux et surtout la possibilité pour la génération Y de se dépasser et d’évoluer au sein d’une administration publique dynamique.

    R.B.

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