ENP-7505 - Blog 1 Louise Leclerc
Pour la modernisation du système de gouvernance municipal
Depuis plusieurs années, les élus municipaux québécois militent pour une révision en profondeur du mode de gouvernance qui lie les municipalités au Gouvernement du Québec. En effet, selon eux, le système actuel est archaïque et ne permet pas aux municipalités locales d’être performantes face aux nouveaux défis qu’elles doivent relever. Regardons la situation de plus près.
En 1855, l’Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada jette les bases du système municipal actuel en créant une structure administrative locale reposant sur la dualité municipale entre les corporations locales (municipalités, paroisses) à l'intérieur de corporation de comté. Par la suite, l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique de 1867, la loi constitutionnelle qui définit en grande partie le fonctionnement du Canada, donne aux provinces l’exclusivité de la gestion et du pouvoir législatif sur les institutions municipales.
Par conséquent, contrairement à la croyance populaire, la municipalité n’a aucune reconnaissance constitutionnelle et ne constitue pas un palier gouvernemental à proprement parlé. Elle est plutôt un organisme autonome auquel le gouvernement a délégué la responsabilité d’assurer certains services de proximité. Sous la juridiction du Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT), la municipalité ne possède que les pouvoirs qui lui sont conférés par la province - cette dernière pouvant unilatéralement modifier les règles de jeu ou lui transférer une nouvelle responsabilité.
Selon les revendications des élus municipaux, le mode de gouvernance actuel génère deux grands enjeux: l’enjeu de la modernisation du cadre législatif et celui de la diversification des sources de financement.
La modernisation du cadre législatif
L’essentiel du cadre législatif municipal est contenu dans deux lois, toutes deux datant du 19ième siècle : la Loi sur les cités et villes adoptée en 1876 pour le monde municipal, et le Code municipal adopté en 1870 pour le monde rural. Depuis leur adoption, un grand nombre d’amendements ont été apportés à la pièce, sans jamais de révision en profondeur. De plus, les problématiques rurales et urbaines, bien que conservant certaines spécificités, sont de plus en plus convergentes à plusieurs niveaux, ce qui fait que la présence de deux codes distincts est aujourd’hui un concept dépassé.
Les élus appuient aussi leurs revendications pour la modernisation du cadre législatif municipal sur les profondes transformations qu’a connues la société durant les dernières années, et sur l’inadéquation des pouvoirs municipaux pour répondre à cette nouvelle réalité.
En effet, tout comme les paliers gouvernementaux supérieurs, la gestion des territoires municipaux est caractérisée par une complexité extrême, et sans cesse croissante. Ainsi, à leur début, les municipalités avaient comme mandat d’offrir des services à la propriété en réponse aux pressions exercées par l’urbanisation rapide du territoire : aménagement et entretien de routes, distribution des services comme l’eau, l’égout et l’électricité. La Grande dépression des années 1930 marque le début du transfert de responsabilités sociales vers les municipalités. Les municipalités sont alors appelées à contribuer au soutien aux indigents et aux chômeurs. Depuis, la délégation vers les municipalités locales de responsabilités de services à la personne s’est constamment accélérée pour inclure certains aspects du transport des marchandises et des personnes, de la sécurité publique, du développement économique, du développement durable, du logement social, de la gestion des matières résiduelles, etc., souvent sans consultation préalable, sans le transfert des pouvoirs habilitants et sans la mise en place de mécanismes de financement adaptés.
Finalement, les élus municipaux revendiquent une plus grande autonomie locale. Ils désirent que la municipalité soit reconnue comme un palier gouvernemental distinct avec les pouvoirs habilitants qui leur permettent de jouer leur rôle de soutien au milieu de vie et de développement économique efficacement.
La diversification des sources de financement
Les municipalités dépendent fortement des impôts fonciers et on peu d’autres possibilités de sources de financement autonomes, à l’exception des frais d’utilisateurs. Actuellement plus de trois quarts (76 %) des revenus municipaux proviennent des impôts prélevés sur la valeur foncière municipale, et pour plusieurs municipalités la proportion est plutôt de l’ordre de 90 %. Lorsque les municipalités avaient une mission centrée sur les services à la propriété, ce cadre de financement était cohérent puisque la croissance des dépenses générait directement une croissance plus ou moins proportionnelle des revenus. Mais aujourd’hui cette logique ne tient plus lorsqu’on considère les efforts que les municipalités doivent déployer pour offrir des services à la personne et soutenir le développement économique de leur territoire.
Comme il fut discuté précédemment, les municipalités fournissent de plus en plus de services à la personne, suite à un délestage de responsabilités du provincial vers le municipal ou encore en réponse aux nouveaux besoins de leurs citoyens. Les services à la personne représentent aujourd’hui, en moyenne, 45 % des budgets municipaux.
Quant au développement économique, la globalisation de l’économie a fait en sorte que les personnes et les capitaux sont très mobiles. Par conséquent, la capacité d’un milieu à attirer et à retenir la main d’œuvre et les entreprises devient primordiale : la concurrence économique à l’échelle globale doit être répondue à l’échelle locale. Pour se positionner face à leurs concurrents, qui peuvent être partout dans le monde, la municipalité doit se différencier au niveau de la qualité du milieu de vie et de la qualité des services (municipaux et autres), et doit développer les infrastructures compatibles aux cibles de développement (par exemple, le transport et les communications). Les ressources qui doivent être déployés peuvent être très importantes.
L’impôt foncier est peu adapté au financement des services à la personne et du développement économique. D’une part les efforts que les municipalités doivent déployer pour répondre aux besoins sociaux reposent principalement sur les propriétaires, mais d’autre part, il y a une limite à l’impôt foncier qui peut être prélevé. Aussi, l’impôt foncier ne permet pas de percevoir un juste retour sur les investissements municipaux en développement économique puisque c’est l’augmentation des revenus et non de la valeur foncière qui représente le mieux les effets de la croissance du PIB.
Le délestage de responsabilités vers les municipalités sans le transfert des ressources financières correspondantes, discuté précédemment, et l’inadéquation des sources de revenus ont fragilisé les finances municipales. La dépendance sur l’impôt foncier a aussi un autre effet pervers car elle encourage l’étalement urbain comme moyen d’augmenter les revenus, ce qui a pour effet de mettre en péril la durabilité environnementale.
Les élus municipaux revendiquent donc une diversification des sources de revenus dont, entre autres, le partage des revenus fiscaux générés par la richesse.
Conclusion
Les scandales qui secouent présentement le monde municipal pourraient être vus comme des raisons légitimes pour réfuter le bien-fondé des revendications des élus municipaux. On pourrait craindre qu’une autonomie accrue ait comme effet d’accroître le risque de fraudes et de malversations. Mon expérience de longue date dans le milieu municipal me permet de dire, avec confiance, que la majorité des élus sont de bonne foi et remplissent leur fonction avec rectitude. Faire de la politique n’est pas du tout synonyme de mauvaise conduite.
Pour ma part, j’appuie le concept d’un remodelage en profondeur de la gouvernance municipale et la reconnaissance des municipalités comme des instances politiques autonomes pour les raisons suivantes :
ü Premièrement, un conseil municipal est élu démocratiquement, par suffrage universel, et à ce titre doit avoir la même reconnaissance qu’un gouvernement provincial ou que le gouvernement fédéral;
ü Deuxièmement, l’efficacité et la bonne utilisation des ressources publiques militent en faveur d’un mode de gouvernance basé sur le principe de subsidiarité, c’est-à-dire où le niveau de décision se situe le plus près possible du lieu d’action et d’intervention. La municipalité est la mieux placée pour répondre aux besoins de proximité de la population et, à cet égard, doit détenir les pouvoirs et les outils de financement qui lui permettent de remplir ses responsabilités;
ü Troisièmement, le remodelage du mode de gouvernance serait une belle occasion pour repenser les interrelations entre les paliers gouvernementaux sur une base de partenariat et de complémentarité.
La reconnaissance de la municipalité comme une instance politique autonome implique toutefois une imputabilité municipale claire avec des mécanismes plus performants et plus réguliers de reddition de compte à la population ainsi qu’un mode de gouvernance basée sur une participation réelle des citoyens.
Notons que certaines provinces, comme l’Alberta et la Colombie-Britanninque, ont récemment initié ce type de démarche et mis en place des nouvelles législations qui ont élargi les pouvoirs des municipalités et migrent vers leur autonomie comme palier gouvernemental.