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Blogue 1 - Checks and balances : Le modèle Américain serait-il à bout de souffle? (Pierre-David Labre)

 

            Inspiré par la vision de Montesquieu, le système politique de plusieurs États de droit se divise en trois branches distinctes et étanches, soit l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Lors de la formation des États-Unis et de l'élaboration de la Constitution, les pères fondateurs se sont à nouveau inspiré de Montesquieu en instaurant le mécanisme de checks and balances (moins connu sous le nom de freins et contrepoids) qui a pour fonction d'assurer la rigidité et stabilité démocratique du système politique. L'un des aspects de ce mécanisme est que les projets de loi doivent tous traverser un processus où ils sont révisés, modifiés et approuvés à maintes reprises par la Chambre ou le sénat et, comparativement au Canada, le sénat est libre de s'opposer à la Chambre en raison de sa légitimité politique. Toutefois, tout système possède ses limites. Plusieurs estiment que la rigidité du système américain outille l'opposition, en temps d'impasse politique, avec la possibilité de paralyser la machine démocratique. De plus, en raison de la Constitution et du mécanisme de contrepoids, le système est si rigide que modifier celui-ci en, par exemple, abolissant le sénat ou le principe de filibuster, serait impossible à réaliser en pratique.  Les critiques soulèvent ces limites comme argument alors que les défenseurs du système soulignent qu'il avait été spécifiquement construit afin d'éviter d'éventuelles modifications et une tyrannie de la majorité. À l'heure actuelle, le système démocratique américain est paralysé par les républicains en raison d'une quantité sans précédent[1][2] de filibusters au sénat et de projets de loi rejetés dans la Chambre. De cette impasse, une problématique se pose. Le système politique américain et le mécanisme de checks and balances, auraient-ils atteint leur limite ou pouvons-nous attribuer la situation actuelle à des facteurs externes?

 

            Malgré les nombreux records d'obstruction brisés par les trois congrès républicains sous l'administration du président Barack Obama, une brève mise en contexte historique nous sera utile afin de saisir la nature des tensions politiques présentes depuis le début des États-Unis. Le 13e amendement à la Constitution, qui avait pour but d'abolir l'esclavagisme, avait été accepté par le sénat, mais rejeté par la Chambre en avril 1864. Plusieurs mesures et un tour du chapeau exceptionnel de la part de Lincoln ont été nécessaires afin que cet amendement soit finalement adopté par la Chambre en janvier 1865[3]. Sans détailler davantage, des difficultés comparables ont été rencontrées lors du processus d'adoption du 15e et 19e amendement. La cour suprême américaine aussi a largement pris part dans les tensions. Celle-ci, formée de 9 juges non démocratiquement élus, a contribué aux inégalités et à la ségrégation des Noirs aux États-Unis. Parmi les nombreux cas notables à ce sujet, le plus important est Plessy contre Ferguson en 1896 qui affirma l'égalité entre les Noirs et les blancs tout en soulignant que ceux-ci étaient séparés. Du coup, cette décision sera utilisée afin de justifier la ségrégation des décennies à suivre. De nos jours, l'administration Obama est en négociation perpétuelle avec les républicains afin de pouvoir passer des projets bipartisans dans la Chambre républicaine ou dans le sénat insuffisamment majoritaire pour les démocrates (ceux-ci ayant besoins de 60 sénateurs pour contrer les filibusters).

 

            Voici l'une des limites apparentes du système de séparation des pouvoirs américain. Comme nous l'avons vu, dans un État de droit, tout doit être approuvé. Or, le gouvernement démocrate, démocratiquement élu à deux reprises, étant privé de cette approbation, est paralysé par le congrès qui n'appartient qu'en partie aux républicains. Ceci a eu pour effet de mener à plusieurs compromis qui ont été à l'encontre des promesses électorales de l'administration Obama, tel que le maintient des coupures de taxes pour les riches de l'ère du président George W. Bush et l'abolition de plusieurs articles de la réforme du système de santé qui, je vous le rappelle, a été passé lorsque les démocrates possédaient les 60 sénateurs nécessaires avant la mort de Ted Kennedy[4]. Il est vrai que le mécanisme de checks and balances rend possible toutes ces contraintes. Cependant, aucun système n'est parfait. Nous avons qu'à observer notre propre politique national, le système parlementaire canadien, pour voir les effets d'un système politique qui octroi un pouvoir important à son gouvernement majoritaire et cela, malgré un système de règles et d'institutions politiques tout aussi complexe que celui des États-Unis. Plusieurs des décisions prises par le gouvernement de Stephen Harper, tel que l'abolition du registre des armes à feu, le dossier des F-35 et la construction de prisons auraient, dans l'optique d'une opposition unanime de la gauche, été paralysés sous le système américain.

 

            Il faut aussi observer les facteurs externes aux mécanismes de séparation du pouvoir aux États-Unis pour comprendre que la situation actuelle est le résultat d'une perversion du système qui n'avait pas été envisagée par les pères fondateurs. Par exemple, le Gerrymandering, ce principe utilisé pour décrire le découpage artificiel et contrôler de la carte électorale des États américains afin de regrouper certains quartiers et groupes en comtés est considéré par plusieurs comme l'une des plus grandes entraves à la démocratie[5]. À une certaine époque, ce principe était utile pour certains groupes ethniques afin d'assurer d'obtenir quelques délégués au sein d'un pays majoritairement blanc. Or, de nos jours, les Américains blancs sont maintenant en voie de devenir là minorité. Du coup, le principe de Gerrymandering contraint le vote de plusieurs communautés à une quantité de délégués bien inférieure à leur population. Cette réalité se fait ressentir depuis fort longtemps, mais, à titre d'exemple, lors des dernières élections présidentielles de 2012, les démocrates ont obtenu la majorité du vote dans la Chambre tout en perdant celle-ci aux mains des républicains en raison de ce découpage de la carte électorale.

 

            Par la suite, nous ne pouvons aborder la question des contraintes imposées par le parti républicain sans souligner l'importance accordée à la religion aux États-Unis. Lorsque nous observons les données sur la division du vote par religion, nous remarquons rapidement que le vote religieux penche, sans surprise, en faveur des républicains. Or, si nous contrôlons les variables en divisant les religieux de différents groupes ethniques, nous remarquons rapidement que les blancs chrétiens ou protestants ont voté, en 2012, à 69% pour Romney alors que les noirs de la même affiliation religieuse ont voté à 95% pour Obama[6]. Une différence si remarquable que nous comprenons maintenant la tendance systématique des républicains de plaire aux groupes d'intérêts contre l'avortement, contre le mariage des homosexuels et contre toutes hausses des taxes sur les riches. Ceux-ci ne font que plaire à leur base électorale. Or, comme le soulignent plusieurs experts, avec la tendance démographique actuelle aux États-Unis, le parti républicain devra se réformer s'il veut espérer de gagner des élections dans un pays avec une quantité de plus en plus importante d'immigrants.

 

            Finalement, nous devons aussi considérer la nature conservatrice de la population des États-Unis. Nous ne parlons pas ici d'un conservatisme politique, qui est certainement présent en Amérique, mais plutôt d'un conservatisme philosophique. Une tendance à résister au changement, à la modification des institutions et des traditions[7]. Le peuple américain a historiquement résisté au changement. Que ce soit, comme nous l'avons vu, aux changements concernant l'esclavagisme, le droit de vote des noirs et des femmes, à la ségrégation raciale ou, de nos jours, au droit à l'avortement. De ce conservatisme, ce peuple semble aussi se battre contre la croissance de l'État, comme nous le voyons avec la difficulté du congrès d'adopter un budget, l'enclenchement du Sequester récemment et l'importance accordée par la population à la dette. Toutefois, comme nous le savons par la loi de Wagner, la croissance de l'État se fait à un taux supérieur à celle de l'économie générale. Plusieurs Américains démontrent une nostalgie du passé et un sentiment d'appartenance envers le familier. Ceci s'est exprimé lors de la formation du Tea Party à la suite de la victoire d'Obama en 2008 lorsque plusieurs Américains blancs ont senti que les valeurs de leur pays étaient en danger. Cette réaction n'est pas nécessairement négative en soi. Tout au moins, cette perspective historique nous permet de comprendre qu'il y a toujours eu de la polarisation partisane aux États-Unis et, malgré les nombreuses tensions et culs de sac rencontrés dans leur système de séparation des pouvoirs, ils ont quand même pu évoluer en une super puissance et en défenseurs de plusieurs libertés sociales.

 

            Bref, plusieurs autres facteurs externes à la politique auraient aussi pu être soulevés lors de ce blogue. Par exemple, il est possible que notre perception négative de la politique américaine provienne de la couverture sans interruption des nouveaux médias 24 heures alors que dans le passé il nous aurait été impossible d'obtenir avec autant de détail les nombreux conflits qui se produisaient à l'intérieur du Congrès américain. Toutefois, sans aborder davantage ce sujet, nous avons vu lors ce survol que plusieurs éléments externes au mécanisme de checks and balances influencent, depuis bien longtemps, le bon fonctionnement de l'appareil démocratique américain. Quoi qu'il en soit, les quatre prochaines années seront probablement fort différentes en raison de l'urgence du parti républicain de se réformer et les dernières années houleuses ne seront qu'un épisode parmi tant d'autres de tensions politique à Washington.



[1] UNITED-STATES SENATE (Page consultée le 2 mars 2013). Senate Action on Cloture Motions. [en ligne]. http://www.senate.gov/pagelayout/reference/cloture_motions/ clotureCounts.htm

[2] Klein, Ezra (Page consultée le 2 mars 2013). Is the filibuster unconstitutional? [en ligne]. http://www.washingtonpost.com/blogs/wonkblog/post/is-the-filibuster-unconstitutional/2012/05/15/gIQAYLp7QU_blog.html

[3] OUR DOCUMENTS (Page consultée le 3 mars 2013). 13th Amendment to the U.S. Constitution: Abolition of Slavery (1865). [en ligne]. http://www.ourdocuments.gov/doc.php?flash=true &doc=40

[4] Spillius, Alex (Page consultée le 5 mars 2013). Ted Kennedy's death could block Barack Obama health care reform. [en ligne]. http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/barackobama/ 6094322/Ted-Kennedys-death-could-block-Barack-Obama-health-care-reform.html

[5] Macmillan Refence USA (Page consultée le 7 mars 2013). Encyclopedia of the Supreme Court of the United States : Gerrymandering.[en ligne]. http://law.uoregon.edu/assets/facultydocs/ ofer/gerrymandering.pdf

[6] Pew Research Center (Page consultée le 5 mars 2013). How the Faithful Voted: 2012 Preliminary Analysis. [en ligne]. http://www.pewforum.org/Politics-and-Elections/How-the-Faithful-Voted-2012-Preliminary-Exit-Poll-Analysis.aspx

[7]HUNTINGTON, Samuel P. (1957). « Conservatism as an Ideology », The American Political Science Review, Vol. 51, No. 2 (Juin., 1957), p. 454-473.

Commentaires

  • La question de la dette publique est évidemment primordiale pour le gouvernement américain tout comme pour son administration publique qui s’occupe de la bonne marche des affaires de l’État jour après jour. Avec l’enclenchement récent du Sequester, l’administration publique se voit alors contrainte de réduire ses coûts d’opération afin d’arriver à diminuer le déficit budgétaire de l’État. Il était ainsi tout à fait indiqué de parler de la loi de Wagner et de son impact sur la croissance du secteur public.

    Le conservatisme philosophique du peuple américain se heurte alors à la réalité d’une société moderne dans laquelle une bureaucratie est essentielle au bon fonctionnement de l’État et de ses institutions. L’État comme on le sait est « une « entreprise politique de caractère institutionnel » lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime » (Weber 1995, 97). Sans direction administrative, la société politique ne pourrait alors exister. Le désir de couper dans le budget de l’État en tenant ce principe comme postulat idéologique nuit à la reconnaissance des individus qui travaillent dans l’administration publique américaine.

    Bien que dans l’Antiquité, un État qui possédait un trop grand nombre de lois était considéré comme étant corrompu, il en est d’une toute autre manière dans une société moderne tels que le sont les États-Unis d’Amérique. Les institutions américaines ont été, de manière évidente, construites pour résister aux changements brusques et inconsidérés de l’histoire. C’est pourquoi le mécanisme de check and balances peut sembler inefficient à première vue, mais c’est tout le contraire puisque c’est grâce à lui que les idées et les valeurs des pères fondateurs de cette république peuvent être conservées malgré les soubresauts de l’histoire qu’aient pu connaître les institutions américaines depuis plus de deux siècles.


    Bibliographie :

    Weber, Max. 1995. Économie et société I : Les catégories de la sociologie. Paris : Pocket.

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