Maisons closes : débat rouvert. Quel débat?
ENP7505 – Principes et enjeux de l’administration publique – BLOGUE N°2
Kyriakos Pnevmonidis
E0226065
Le 29 septembre 2010, la Juge Madame Susan Himel déposa un jugement à la Cour supérieure de l’Ontario que Marie-Claude Malboeuf, du journal La Presse, qualifia de «bombe juridique». En effet, le jugement a soulevé une kyrielle de reproches d’une part, ainsi que de nombreux éloges et commentaires appuyant le caractère osé et historique du jugement de l’autre. De façon sure, un jugement ébranlant une des conceptions éthique et morale fondamentale des sociétés occidentales, quand à leur relation avec l’objet sexuel, n’allait pas passer inaperçu. De manière abrégée, le jugement invalide trois articles du Code Criminel du Canada portant i) sur le droit des prostituées à communiquer avec leur clients, ii) de tenir une maison de débauche et iii) de vivre des fruits de la prostitution. Le Canada entretient une relation ambigüe avec la prostitution dans la mesure où celle-ci n’est pas formellement prohibée alors que tout ce qui en découle l’est. Ce jugement impose donc aux pouvoirs législatifs en force de revoir les lois en vigueur afin qu’elles soient cohérentes face à elles-mêmes et qu’elles respectent la Charte canadienne des droits et libertés. Or l’ingérence présente du Judiciaire sur le Législatif, loin d’être problématique, devient un enjeu dans la mesure où elle empiète sur le politico-politique, soit la culture politique actuelle prévalant au Canada.
Avant tout, il faut se poser la question à savoir si les reproches évoqués précédemment se basent sur une réfutation rationnelle du jugement, à savoir si la Juge Himel a erré dans le jugement propre, ou s’ils puisent leurs fondements dans une source bien plus personnelle. Vraisemblablement, personne ne serait opposé à ce qu’une boulangère puisse gagner sa vie en vendant l’œuvre de ses labeurs dans un local dédié à cet effet. Tout comme la boulangère interdite des rudiments de son travail chercherait à le faire, Mme Valerie Scott et ses collègues, travailleuses du sexe à l’origine de la demande ayant menée au jugement, ne cherchent qu’à «travailler avec les municipalités, (…) être de bonnes citoyennes» (Valerie Scott citée par Radio-Canda, Radio-Canada, page consultée le 7 décembre 2010) afin de pouvoir exercer leur métier. En soi, la demande est tout à fait légitime. Or, ce qui choque est le caractère sexuel de la chose. L’inadéquation sexuelle profonde éprouvée par nos sociétés, en raison des tabous sexuels véhiculées par des normes sociétales qui sont loin de faire l’unanimité, sont possiblement à l’œuvre, avant toute appréciation rationnelle du sujet. Ainsi, avant d’opiner sur le sujet, une aufklärung personnelle et la séparation des enjeux personnels des enjeux publics s’imposent.
Un des enjeux publics que fait ressortir le jugement est le droit à la sécurité de sa personne. Ce droit est un enjeu de tout État de droit qui veille à la sécurité de ces citoyens. Ainsi, lorsque le ministre de la Justice en poste, M. Rob Nicholson, dit que «la prostitution est un problème qui fait du tord à des individus» (Rob Nicholson cité par La Presse, Cyberpresse, page consultée le 7 décembre 2010), il omet d’identifier les individus dont il est question. En situant la prostitution dans une dialectique de problématique sociale, on pourrait accuser M. Nicholson de ne faire référence qu’aux tords subi par les gens incommodés par la prostitution. Peut-être cause-t-elle également un tord aux proxénètes et à leur famille? Une chose est certaine, dans la mesure où les normes actuelles tendent à avilir la libre expression de la sexualité, rabaissent la qualité morale de toute personne faisant partie de ce métier et mettent intentionnellement une tournure négative à l’aspect marchand de la transaction sexuelle, elles n’aident qu’à la marginalisation d’une population qui est à risque. Ce risque est explicitement reconnu par la Juge Himel, qui soutient que les preuves démontrent que les prostituées, surtout celle œuvrant sur la rue, sont d’avantage exposées à la violence et même plus susceptibles de se faire assassiner. Stella, un organisme de soutien vient à des conclusions similaires dans le cadre des prostituées montréalaises. En veillant à la sécurité de ses citoyens, le Canada, devrait également veiller à celle des prostituées qui, malgré leur métier, en font également partie.
Cette position va à l’encontre de celle de Mme. Diane Matte, porte-parole pour la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle. Elle affirme que «c’est une utopie de penser que les femmes pourront être maîtresses d’une industrie gérée pas des hommes» (Diane Matte cité par La Presse, Cyberpresse, page consultée le 7 décembre 2010). Christiane Pelchat, présidente du Conseil du statut de la femme, quand à elle déclare que «la prostitution représente la forme ultime de violence faite aux femmes, d'avilissement qui porte atteinte à la dignité humaine et qu'il ne faut surtout pas cautionner» (Ibid.) ; commentaire fait sans considérer les travailleurs du sexe masculins. Néanmoins, n’est-il pas le cas que les personnes ayant choisi ou ayant été obligés de se prostituer courent des risques et s’ouvrent à la violence avant même d’accomplir quelconque acte d’avilissement, ne serait-ce que par le fait qu’ils se trouvent sur la rue sans mécanismes de défense? Le manque de mécanismes de sécurité et d’un cadre régissant l’offre et la prestation des services sexuels contraint les travailleurs et travailleuses du sexe de se mettre dans une situation de vulnérabilité face à leur clients qui sont, pour la plus part, des hommes. Paradoxalement, le désir de protection nui à leur bienêtre et à leur sécurité. Le jugement de la Juge Himel permettrait précisément à ces personnes de s’organiser et de devenir les gestionnaires de leur propre industrie.
Le fait de permettre aux femmes et hommes travaillant dans l’industrie du sexe de s’organiser de sorte à offrir leur servies de manière sécuritaire et encadrée, est, dans les faits, analogue à légaliser l’industrie du sexe. Tout État de droit, dans un contexte nord-américain, aussi bienveillant qu’il puisse-t-être, aura, au moins à court terme, un prix politique à payer pour le faire. Ceci, outre la rhétorique, semble être la véritable problématique. Ce que le jugement de la Juge Himel propose est une solution législative à une problématique bien réelle vécue par les travailleurs du sexe, femmes et hommes, jeunes et vieux. Le jugement n’entend nullement une prise de position éthique ou morale au sujet de la prostitution, de sa présence et de sa place dans la société, ni ne propose-t-il un jugement de valeur sur les proxénètes qui la supportent. De manière bien lucide, la Juge Himel tranche qu’en obligeant les travailleurs du sexe «à choisir entre leur liberté et leur sécurité personnelle» (Himel, 2010, citée dans La Presse, Cyberpresse, page consultée le 7 décembre 2010) on paye un prix trop grand pour éviter une nuisance publique (Ibid.). Dans les faits, l’État, en cherchant à éviter de payer un prix politique présumé, impose un prix déraisonnable aux travailleurs du sexe, celui de leur sécurité. Assurons la sécurité de ce segment de la population d’abord et résolvons les problématiques éthiques et morales de la prostitution ultérieurement.
RÉFÉRENCES
radio canada, (Page consultée le 7 décembre 2010). Justice : Les lois sur la prostitution assouplies, en ligne, http://www.radio-canada.ca/regions/Ontario/2010/09/28/006-jugement-prostitution-ontario.shtml.
radio canada, (Page consultée le 7 décembre 2010). Cour d’appel ontarienne – Sursis accordé sur la prostitution, en ligne, http://www.radio-canada.ca/regions/Ontario/2010/12/02/002-prostitution-sursis-maisons-debauche.shtml.
malboeuf, Marie-Claude, La Presse-Cyberpresse, (Page consultée le 7 décembre 2010). Maisons closes : le débat est ouvert, http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/national/201009/30/01-4328001-maisons-closes-le-debat-est-ouvert.php.