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Pour des municipalités aux ressources internes plus développées

Le 27 novembre dernier, Le Devoir a publié un article fort intéressant intitulé « L'origine du mal: la dépendance envers le privé[1] » dans lequel les journalistes Kathleen Lévesque et Alec Castonguay racontent qu’au cours des vingt dernières années, les municipalités et le gouvernement se sont retrouvés dépendants de l'expertise du secteur privé : « Une fois les mains attachées, sans spécialiste à l'interne pour encadrer adéquatement les projets, les entités publiques ont dû s'en remettre aux firmes de génie-conseil pour mener à leur place les petits et grands chantiers. »

 

Voilà le résultat d’une gestion publique à court terme basée sur des critères purement économiques.

 

Les municipalités relèvent de la compétence exclusive des provinces.  Elles sont régies par la Loi sur les cités et villes (L.R.Q., chapitre C-19) ou le Code municipal du Québec (L.R.Q., chapitre C-27.1) et exercent les compétences principalement prévues dans la Loi sur les compétences municipales (L.R.Q., chapitre C-47.1).  Elles disposent d’une grande discrétion dans l’exercice de leurs compétences en autant que certaines balises soient respectées, notamment les règles d’adjudication de contrats (articles 573 et suivants de la Loi sur les cités et villes par exemple).

 

Dans le cadre de leurs prévisions budgétaires, les municipalités peuvent prévoir des surplus, mais elles ne peuvent présenter un budget déficitaire.  Les municipalités ont ainsi la pression d’offrir à leurs citoyens une plus grande variété de services s’inscrivant à l’intérieur de leurs compétences prévues par la loi, le tout au moindre coût. 

 

Le développement à long terme des ressources humaines n’est donc pas priorisé.  Au contraire : l’allègement des structures a toujours été un thème récurrent dans l’administration publique.  Selon la croyance populaire, la diminution du nombre de fonctionnaires est synonyme d’un meilleur rendement de l’appareil administratif.  Les municipalités, appelés à fournir à leurs citoyens des services publics dans les plus brefs délais et au meilleur prix, vont donc s’empresser de « tester le marché » et octroyer différents contrats aux plus bas soumissionnaires conformes des appels offres publics, sans trop se poser de questions et sans perspectives à long terme.

 

Cette approche donne l’impression que le nombre de fonctionnaires est stable et, en conséquence, que les finances publiques se portent bien.  Il y a pourtant tendance sur une longue période à l’accroissement de l’ensemble des dépenses des administrations publiques (Loi de Wagner) et ce, indépendamment de l’identité des fournisseurs de services (secteur public ou privé).

 

Compte tenu de cette progression des dépenses inévitable, il y a lieu de privilégier et valoriser le développement du savoir-faire de l’expertise interne des municipalités (know how).

 

«Il faudra changer toute la culture de gestion» dans la fonction publique, a expliqué au Devoir Robert Roy, professeur et membre de la Chaire d'éthique appliquée de l'Université de Sherbrooke. «Quand tu entends les politiciens dire qu'ils sont fiers de remplacer seulement une personne sur deux qui part à la retraite, que l'État est inefficace, disons que ce n'est pas motivant d'aller travailler dans le public. Il y a des raisons profondes à modifier.»

 

Je partage totalement cet avis. Une nouvelle approche est nécessaire pour développer et valoriser l’expertise du secteur public.  À titre d’exemple, la Ville de Montréal a consacré, dans la dernière année, une enveloppe de 10M $ à l’intégration de nouvelles ressources pour accroître son expertise interne dans divers domaines, dont la gestion de projets et les services juridiques.  Il s’agit effectivement d’une piste intéressante à explorer. 

 

Après avoir eu, ces dernières années, un préjugé favorable trop systématique envers les ressources externes pour les raisons énumérées plus haut, il est temps pour les municipalités de réinvestir dans l’expertise des employés du secteur public et ce, dans une optique à long terme.  Une certaine maturité politique est de mise : il ne faut toutefois pas tomber dans l’autre extrême et bannir totalement le recours à certaines expertises externes, plus spécialisées et nécessaires dans certaines situations.

 

Un équilibre doit en effet être privilégié, selon les champs d’expertise et les conjonctures.  Il est vrai que les règles d’adjudication de contrats permettent l’obtention de services au meilleur prix, le tout découlant de la libre concurrence des marchés.  Il ne faut pas perdre de vue cependant que le recours à de l’expertise interne présente également des avantages, dont des économies, à moyen et long terme.  Certains groupes de fonctionnaires professionnels doivent-ils alors entrer en concurrence directe avec des firmes privées?  L’expérience pourrait être tentée sur une plus grande échelle et être bien documentée. 

 

Chose certaine, les critères non quantifiables (respect de la culture d’organisation, compréhension des particularités, qualité dans l’exécution des travaux) devront être pris en compte dans cette analyse qui devra aller bien plus loin que de considérer simplement le montant de la soumission du plus bas soumissionnaire conforme.


Éric Trudel-Morin 



[1] LÉVESQUE, Kathleen et CASTONGUAY, Alec.  « L'origine du mal: la dépendance envers le privé », 27 novembre 2010, Le Devoir, page A6

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