Crise d'identité à la Société Radio-Canada
Suite à l'arrivée du nouveau gouverneur général du Canada, monsieur Daniel Johnston, nommé par le Parti conservateur en septembre dernier, nous avons remarqué une brisure dans le choix des représentants de la monarchie constitutionnelle. Les quatre derniers gouverneurs nommés depuis 1984 ont un point en commun, ils ont tous été employés par le même employeur, la Société Radio-Canada (SRC). Cette fonction n'a rien d'ordinaire de par sa symbolique. Il n'est pas ici question de remettre en doute leur parcours émérite, mais simplement de questionner le caractère privilégié qui pourrait exister entre la Société Radio-Canada et le précédent gouvernement libéral. Présumée indépendante et primée pour la qualité de ses débats publics, cette affirmation pourrait inquiéter certains d'entre nous. D'autant plus, si l'on considère la proportion d'indépendantistes au Québec. A première vue, ces choix pourraient être perçus comme de la partisanerie. Mais pourquoi le gouvernement prendrait-il un risque, si non peu calculé, de miner volontairement la réputation et la confiance des citoyens envers la SRC ?
Avant tout, il est important de se rappeler quelques points importants qui décrivent cette société d'État très familière à tous les Canadiens, et ce, d'un océan à l'autre. Créée le 2 novembre 1936 suite à la transformation de la Canadian Radio Broadcasting Commission (CRBC) de 1932, elle voulait contrecarrer l'expansionnisme américain dans le domaine de la radiodiffusion. Aujourd'hui, elle comprend des services radiophoniques, télévisuels, audio numériques et même internet. Elle possède aussi 40% du diffuseur par satéllite Sirius au Canada. Elle a reçu, à elle seule, en 2009 1,1 milliard de dollars en subventions étatiques et 41 millions en redevances. De plus, ses réseaux répartis au pays recevront globalement la modique somme de 96,5 millions du Fonds canadien de télévision (FCT) pour financer de nouvelles productions. Régie par la Loi sur la radiodifussion de 1991, elle relève directement du Ministère du Patrimoine canadien à Ottawa. Comme tous les services publics, au grand plaisir des enquêtes chocs de ses fins compétiteurs du secteur privé, elle doit se soumettre à la Loi sur l'accès à l'information. Cet épineux sujet nous amènerait malheureusement dans un débat tout autre.
Revenons à la prémices initiale de notre propos. On apprenait en 2005, par l'analyse des différentes plaintes formulées à l'ombudsman de Radio-Canada, que certains Canadiens doutaient déjà de l'indépendance et de l'intégrité journalistique face au gouvernement canadien. Cette analyse a aussi permis de révéler que Radio-Canada est encore aujourd'hui, perçue comme une institution fédérale ayant pour objectif de protéger et de promouvoir l'unité nationale. Cette impression n'est guère énigmatique, car en 1991, le rôle de la SRC, qui lui demandait de promouvoir l’unité nationale, a été modifié par le législateur par « contribuer à la conscience nationale et l'identité partagée » (Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation). Nous ne pouvons qu'en déduire qu'il voulait en finir avec les critiques d'ingérence, de pressions politiques ou la partisanerie. Dans les années 70, les libéraux de Pierre Eliott Trudeau, n'ont jamais caché leur intention d'utiliser SRC pour contrer le mouvement indépendantiste du Québec. Fait important, le gouvernement libéral ne s'est pas empêché non plus de demander en 1993, des comptes à SRC pour connaître le nombre d'employés séparatistes et ceux qui prônaient fièrement l'unité canadienne.
Il est important de rappeler que tous les membres du conseil d'administration de cette société d'État, dite autonome, sont choisis par le Premier ministre du Canada. Donc, sommes nous surpris de lire dans le rapport annuel de l'ex-présidente du conseil d’administration, madame Guylaine Saucier que «… de toutes les institutions d’importance qu’a créées le Canada, aucune autre que Radio-Canada ne constitue un instrument aussi unique et essentiel pour maintenir les valeurs partagées, favoriser une compréhension commune et promouvoir l’unité du pays.» (Message du président du Conseil 1999 -2000). Nous pouvons ainsi mieux comprendre pourquoi les journalistes ne sont pas imperméables dans l'exécution de leur fonction à cette culture intrinsèque sur le traitement de l'identité nationale.
Le questionnement de l'indépendance politique de la SRC ne date pas d'hier. Lors de la conscription de 1942, les dirigeants ont refusé de donner gratuitement accès aux ondes radiophoniques pour le clan du NON. Toujours en 1993, au nom de la crédibilité de la SRC, le syndicat des journalistes s'était opposé à l'embauche d'un ex attaché de presse du ministre conservateur, car selon la règle celui-ci devrait avoir quitté la vie politique depuis plus de deux ans, période de purgatoire. La même situation s'est produite à d'autres reprises soit avec l'ex députée du Parti libéral du Canada et ministre du Patrimoine canadien, madame Liza Frulla, où le journaliste spécialisé en économie, monsieur Claude Beauchamp, qui était un membre actif du Conseil de l'unité canadienne. Mais les requêtes en lien avec la période de purgatoire ont toutes été rejetées.
Peut-être que, pour certains, notre discours sur l'ingérence du Gouvernement ne tient pas la route, mais tout de même, des réformes majeures seraient à prévoir à la société d'État afin de maximiser son indépendance et éviter tout soupçon concernant son l'intégrité journalistique. Nous croyons tout d'abord que la nomination du Président de la Société Radio-Canada ne devrait pas être faite par le Premier ministre du Canada, mais plutôt par le Parlement. Ce qui permettrait d'avoir, par le même fait, d'adjoindre l'appui des parties de l'opposition. De plus, le délai d'abstinence de la vie politique ou partisane des candidats, en vue d'un poste d'importance, devrait être majorée à cinq ans. Cette mesure raisonnable serait, selon nous, bien perçue par le public, car il correspondrait en fait à la durée actuelle d'un mandat en politique.
Autre fait, la SRC a nommé à sa tête, un ombudsman comme instrument de responsabilité publique et d'auto régulation. Celui-ci a pour mandat depuis 1991 de devenir le représentant des auditeurs et des téléspectateurs. Une analyse des décisions de l'ombudsman de la SRC a identifié une certaine « complaisance de l’acteur en question ». En effet, ce dernier se montre souvent plus « compréhensif à l’égard de son employeur et de ses journalistes, comparativement aux tribunaux civils, et ce, sur l'étude de plainte de même nature » (Le mandat de l'ombudsman : perspectives d'avenir). Afin de répondre plus adéquatement aux critiques légitimes du public, son rôle devrait être renforcé. Ce n'est pas en jouant le rôle d'un simple médiateur entre le public et les journalistes, que l'imputabilité des journalistes sera assurée. Comme autre mesure, pour renforcer sa transparence, l'ombudsman ne devrait pas provenir des services de la société et ne jamais être engagé après son mandat à titre de contractuel. Ce qui aurait pour effet de le mettre dans une situation de conflit d'intérêt.
En conclusion, si la SRC veut obtenir la confiance, le niveau de crédibilité souhaitée et être reconnue pour la qualité de son travail journalistique, elle devra réfléchir aux possibilités de réformes qui s'offrent à elle afin de se rendre moins vulnérable. Tel que repris par le défunt cinéaste Pierre Falardeau, qui avait rebaptisé SRC de Société Radio-Cadenas qui prenait la société comme le repère fédéraliste qui veut nous vendre les Rocheuses à chaque bulletin de nouvelles (Les boys : Falardeau 1, Kovalev 0).
Tel que nous le savons maintenant, la gestion d'une entreprise publique, n'a rien de simple si on la compare avec celle du privé.
Qu'en pensez vous ?
Rapport sur l’application de la Loi sur l’accès à l’information 2009-2010, Site de Radio-Canada [en ligne] http://www.cbc.radio-canada.ca/aai/pdf/ATIP1.PDF
Colloque MÉDIAS ET DÉMOCRATIE Université du Québec en Outaouais 17 octobre 2002 (page consultée le 19 novembre 2010) [en ligne]
http://www4.uqo.ca/observer/DevLocal/Gouvernance/Medias.pdf
Le mandat de l'ombudsman : perspectives d'avenir (Rapport spécial) – Bureau de l’ombudsman des Services français, Montréal, le 9 août 2007 [en ligne]
http://www.radio-canada.ca/apropos/lib/v3.1/pdf/Rapport_special.pdf
Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation, (page consultée le 15 novembre 2010). Site de l'Encyclopédie canadienne [en ligne]
http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=Q1ARTQ0000632
Message du président du Conseil - Rapport annuel 1999-2000 - SRC (page consultée le 19 novembre 2010), Site de Radio-Canada [en ligne]
http://www.cbc.radio-canada.ca/rapportsannuels/1999-2000/6_2_1_3_00.shtml
Les boys : Falardeau 1, Kovalev 0, (page consultée le 25 novembre 2010). Site de Rue Fonctenac [en ligne] http://ruefrontenac.com/index.php