À l’approche du dépôt du budget provincial et du déficit budgétaire de l’exercice en cours, une question se pose : doit-on enrayer le plus possible le travail au noir et l’évasion fiscale? Doit-on les dénoncer ou les approuver? S’agit-il d’un phénomène accepté par l’ensemble des citoyens?
Des chiffres
En 2007, le gouvernement du Québec estimait à 10 milliards$ l’économie souterraine, soit à environ 4% du PIB, et à 2,5 milliards$ le manque à gagner annuel dans ses coffres. L’Association pour la Taxation des Transactions Financières pour l’Aide aux Citoyens (ATTAC-Québec) évaluait l’ensemble des pertes du gouvernement provincial, incluant le travail au noir, les fraudes fiscales, les «oublis» sur les déclarations d’impôts et les revenus non déclarés provenant de paradis fiscaux, à 10 milliards$ annuellement. Avec un déficit prévu de près de 5 milliards en 2009-2010, nous aurions plutôt un surplus de 5 milliards$! Nous pourrions prévoir l’élimination de la dette dans un avenir rapproché et rêver d’une baisse considérable des impôts et des taxes à la consommation!
Événements et informations
Dernièrement, nous avons eu plusieurs événements qui ont ramené ce sujet dans l’actualité. Au Québec, il y a eu les arrestations principalement en 2009, dans le domaine de la construction. Le stratagème de fausse facturation qui a libre court dans le domaine, et qui camouffle le blanchiment d’argent provenant du crime organisé ou de travail au noir. Les gens de ce milieu qui déloge les administrateurs de l’entreprise et qui s’en servent pour légitimer leur argent… Les demandes provenaient de partout, pour demander au gouvernement Charest de tenir une commission d’enquête dans ce secteur.
La lutte aux paradis fiscaux ont fait partie des discussions lors du rassemblement du G20 en avril 2009. C’est donc un problème commun avec les autres pays industrialisés. D’ailleurs, plusieurs pays viennent de conclure des ententes entre eux afin de transmettre certaines informations pour éviter l’évasion fiscale.
Légitime et acceptable?
Certains considèrent à la légère le fait de ne pas déclarer certains revenus ou de payer en argent, sans exiger une facture pour faire effectuer des travaux de rénovation à leur propriété. Ils se justifient en disant que cela leur coûte moins cher. Certains iront même jusqu’à dire que le gouvernement gère mal leur argent et qu’ils ne leur font plus confiance. Quand on pense de cette façon, on comprend mal le rôle du gouvernement dans notre société. On pense à l’argent net dans nos poches. Car si l’on pense collectivement, le fait de payer 15% de plus pour les taxes à la consommation et que l’entrepreneur paie 50% de ses revenus nets de ses travaux, nous nous sommes enrichis collectivement et nous aurons moins d’impôts à payer, car chaque personne aura payé sa juste part.
Notre système fonctionne sur le principe que les personnes ayant plus de revenus paient plus d’impôts, afin de mieux répartir la richesse dans la province et dans le pays. C’est ce que nous nous sommes donné collectivement comme objectif. Avec ces argents, les gouvernements mettent en place des services tels que le système de santé, le système de garderies à 7$, le régime de rentes, etc. Tous les citoyens ont accès à ces services.
Ceux qui tentent de camoufler leurs revenus afin d’éviter de payer les impôts ou qui évitent de payer les taxes à la consommation lors de l’achat de biens ou services, désirent tout de même obtenir leur part des services offerts par l’état à tous les citoyens. C’est ainsi qu’ils «volent» tous les autres citoyens, car eux ont payé leurs impôts et doivent même en payer plus pour ceux qui ne l’ont pas fait!
La mentalité de la société fait en sorte que les gens n’ont pas l’impression de voler leur concitoyen ou de se voler eux-mêmes. Ils n’ont pas de remords à voler le gouvernement, car ils le perçoivent comme une autorité qui contrôle et non comme un organisme qui redistribue équitablement ou selon les objectifs définis par la population les revenus à l’ensemble de la population. Les gens veulent 100% des services offerts gratuitement, et n’avoir rien à payer à ce même gouvernement.
Étant donné que nous avons un régime basé sur l’autocotisation, nous devons nous-mêmes retracer l’ensemble de nos revenus et les déclarer annuellement. Lorsque nous sommes en présence de fraude, les enjeux sont différents : le contribuable n’est plus digne de confiance. La base même du système est attaquée. Il ne peut plus fonctionner adéquatement.
Les paradis fiscaux et autres évasions fiscales créent des iniquités, diminuent les revenus des gouvernements et augmentent ainsi le fardeau fiscal des contribuables payeurs. La qualité des services offerts par l’état est ainsi diminuée et moins d’argent peut être réinvesti lors des ralentissements économiques. Il en résulte aussi des travailleurs sans sécurité d’emploi, ni d’avantages sociaux. Les entreprises honnêtes doivent conjuguer avec de la concurrence déloyale.
Ceux qui prônent la« liberté économique» et la «création de richesse» disent que de toute façon, les gens qui s’enrichissent par rapport aux autres d’une même société voudront obtenir de meilleurs services. Ils paieront pour ceux-ci et ces nouveaux services seront aussi accessibles aux plus pauvres, ce qui fera en sorte que leur niveau de vie à eux aussi se sera amélioré. Ils disent que peu importe les actions du gouvernement, les règles du marché feront en sorte que l’avantage net sera à peu près nul.
Peut-être qu’à long terme l’écart entre les deux types de pensée serait négligeable, mais à court terme, un gouvernement démocratique nous permet d’obtenir les résultats escomptés, soient le plus de gens possible dans la classe moyenne et des secteurs ou des investissements favorisés par rapports à d’autres.
Qui en est responsable?
Chacun de nous est responsable de ces phénomènes. Chacun de nous prenons la décision d’acheter des biens légitimement ou de passer par le travail au noir et de contribuer ainsi à notre déchéance collective. À devoir payer encore plus d’impôts pour récupérer le manque à gagner.
Chacun de nous a la responsabilité de déclarer l’ensemble de nos revenus afin de payer notre juste part d’impôts : notre contribution à une société de classe moyenne.
Chacun de nous a la responsabilité de n’utiliser les services gouvernementaux que l’on a réellement besoin, afin de ne pas faire en sorte que notre voisin n’y aurait pas accès à cause de nous.
Qu’en pensent les contribuables québécois?
Selon un sondage Léger Marketing (2010), «la majorité des Québécois considère la corruption, l’évasion fiscale et le travail au noir comme des problèmes majeurs sur notre capacité à équilibrer les finances publiques du Québec». Nous constatons qu’il y a un fléau qu’il faut enrayer, si l’on veut éliminer le déficit. Nous donnons notre accord au gouvernement pour régulariser la situation et de viser l’élimination des ces fraudes dans notre société. Nous allons jusqu’à dire que la crédibilité de son plan pour éliminer le déficit lors de son prochain budget sera nulle s’il ne s’attaque pas à ces problèmes majeurs et qu’ils n’ont pas l’impression que le gouvernement lutte sérieusement!
Quelles sont les actions de Revenu Québec?
Selon son plan stratégique 2009-2012, l’une de ses missions est «de percevoir les impôts et les taxes (…) afin que chacun paie, en toute équité, sa juste part du financement des services publics». L’un de ses enjeux est «Le respect des obligations fiscales pour assurer le financement des services publics» composé des orientations suivantes : «Inciter les citoyens et les entreprises à remplir volontairement leurs obligations» et «S’assurer que chacun paie sa juste part d’impôts, de taxes et de contributions sociales». Il y est mentionné dans cette orientation, l’engagement de retourner à l’équilibre budgétaire en intensifiant la lutte contre l’évasion fiscale, par «souci d’équité et de justice».
Dans un monde idéal, son rôle, afin de s’assurer que tous les revenus sont bien déclarés est de corroborer quelques déclarations fiscales, afin de s’assurer que les informations déclarées correspondent bien aux données mises à sa disposition. Dans un contexte d’évasion fiscale, les enjeux ne sont pas les mêmes et des mesures supplémentaires doivent être prises. Quand on parle de fraude, on a affaire à des spécialistes. Revenu Québec doit se doter du meilleur personnel possible afin de faire le poids.
Afin de mieux lutter contre le travail au noir et l’évasion fiscale et ainsi augmenter les revenus du gouvernement et accélérer un retour à l’équilibre budgétaire, voici certaines actions que Revenu Québec pose :
Augmentation du nombre de vérificateurs (825 nouveaux postes d’ici 4 ans).
Conclure des échanges automatiques avec les autres pays.
Instaurer un Colloque sur la lutte contre l’évasion fiscale au mois de juin 2010, afin d’échanger avec des spécialistes du domaine, provenant des quatre coins du monde.
Instaurer un Projet de facturation obligatoire dans le secteur de la restauration
Intensification des vérifications dans le domaine de la construction en collaboration avec la CCQ, la CSST, entre autres.
Des communiqués de presse des gouvernements provincial et fédéral nous indiquent le nom des personnes et des entreprises qui ont été reconnues coupables d’évasion fiscale, afin de montrer aux gens que des enquêtes sont effectuées pour retracer les fraudeurs et tenter d’en dissuader d’autres d’agir de la sorte.
Ils encouragent aussi la divulgation volontaire : soit la base de notre système d’imposition.
Jusqu’où peuvent-ils aller pour l’enrayer?
En février 2009, les États-Unis ont réussi à obtenir de la banque suisse UBS le nom de 250 fraudeurs fiscaux en plus se faire payer 780 millions de dollars pour avoir participé à l’évasion fiscale. USB lève ainsi le voile sur le secret bancaire. Il existait, non pour permettre de camoufler de l’argent au fisc, mais pour préserver la vie privée des clients. Suite à cette entente, 15000 américains se sont dénoncés pour éviter un procès criminel et limiter les amendes!
Des fichiers informatiques secrets de la banque HSBC de Genève ont été volés en 2009. Une liste contenant les détails des comptes de 1300 Allemands pourrait permettre au gouvernement allemand de récupérer 400 millions d’euros… Angela Merkel, chancelière fédérale, se propose de payer les 2,5 millions d’euros en échange de ces informations! Au total, c’est plus de 3000 noms de gens provenant de plusieurs pays que contient cette liste.
Est-ce morale de payer le voleur pour obtenir sa liste et ainsi se servir d’une liste volée pour retracer les fraudeurs et ainsi récupérer des millions de dollars? L’Organisation pour la Coopération et le Développement Économiques (OCDE) approuve le fait de se servir de données volées pour retracer les contribuables qui ne respectent pas leurs obligations.
Jusqu’où va le pouvoir du gouvernement de récupérer les sommes camouflées et jusqu’où les citoyens peuvent se cacher derrière leur vie privée??? Qu’est-ce qui doit primer? Les pertes de revenus du gouvernement ou l’anonymat et la liberté de certains citoyens par rapport aux autres qui paient leur juste part?
Au Canada, le gouvernement vient d’instaurer un nouveau règlement 31-103 sur les courtiers internationaux qui fera en sorte qu’il sera plus difficile pour des canadiens de placer des sommes à l’étranger. Il a pour but de protéger les petits investisseurs canadiens et s’harmoniser avec les règles des dix provinces. Aucun but fiscal, néanmoins...
Que pouvons-nous faire pour l’enrayer?
Comme j’en parlais un peu plus tôt, nous sommes tous responsable de l’évasion fiscale, si ce n’est que dans notre façon de consommer et de remettre nos impôts dus. Nous pouvons aussi agir autrement dans la vie de tous les jours, afin de donner notre appui aux actions du gouvernement. Voici quelques façons de faire :
En payant par chèque, carte de crédit ou carte de débit : il est beaucoup plus difficile pour des fraudeurs de ne pas déclarer les revenus correspondants, car ces moyens de paiement laissent des traces et permettent de reconstituer les transactions.
Choisir des entrepreneurs qui ont une licence de construction en règle et exiger un contrat écrit avant le début des travaux, ainsi que des factures : nous venons ainsi anéantir les concurrence déloyale faite par les autres qui passent par le travail au noir.
Déclarer nous-mêmes la totalité de nos revenus et payer notre juste part d’impôt, au lieu de penser se faire justice soi-même.
Dénonciations?
Les dénonciations sont acceptées par les gouvernements. Cela fait partie des actions que nous pouvons poser pour enrayer la fraude. Si Revenu Québec part avec une piste de fraude, il réussira plus vite à retracer les individus et montera une meilleure preuve que s’il part à zéro, en recoupant différents dossiers qu’il a en sa possession. On peut ainsi mettre hors d’état de nuire certains individus ou organisations douteuses. Au Québec, ce n’est pas dans nos valeurs de dénoncer un voisin… Nous devrions voir la dénonciation comme un acte civique, un acte de bravoure. Une alerte contre les abus. C’est le cas dans les pays anglo-saxons, qui offrent une protection personnelle aux dénonciateurs.
Ailleurs dans le monde
Selon une étude de l’OCDE, on estime à plus de 50% de la population active mondiale travaillant au noir. Des gens sans sécurité sociale, travaillant à des taux horaires dérisoires…
Travail au noir et % PIB : en Grèce : 25,1%; en Espagne, au Portugal et en Italie : 20%; en France : 11,8% et aux États-Unis : 7,2%. D’après Revenu Québec, nous serions entre 3 et 5,7% de notre PIB. Y aurait-il lieu de penser que le pourcentage est nettement sous-estimé ou que nous sommes plus honnêtes que dans les autres pays?