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L'immobilisme des gouvernements québécois

BLOGUE # 2 – L’immobilisme des gouvernements québécois face à la prise de décision dans le dossier trentenaire du système de santé public – KOFFI BADJAGBO (Montréal)

 

Le système de santé québécois est en crise, tout le monde en parle, les preuves sont flagrantes. Les milieux hospitaliers du Québec éprouvent de sérieuses difficultés à répondre à la demande sans cesse grandissante de soins de santé à la population. L’engorgement des urgences, l’allongement des listes d’attente et la progression continuelle des coûts du système constituent certains des problèmes récurrents de notre système de santé public. Le pire c'est que cela fait 30 ans que ces problèmes existent et depuis ce temps aucune réforme n'a pu être complétée pour les régler de manière définitive.

 

D’un gouvernement à l'autre, les politiciens libéraux et péquistes, et l’élite intellectuelle du Québec bavassent beaucoup de l’état maladif du système de santé, mais seuls des soins palliatifs sont mis en œuvre, quel que soit le parti au pouvoir. Il y a longtemps que l’urgence d’agir fait l’unanimité. Un contribuable Québécois s’exprimait ainsi sur la situation : «Ça m’a pris deux semaines pour faire renouveler une prescription parce que je n'avais pas de médecin de famille! Quand donc quelqu'un se mettra-t-il debout pour dénoncer comment notre argent est mal administré au gouvernement? Peu importe le parti au pouvoir, c'est toujours du pareil au même! Oui c’est vrai : assez c’est assez!». Un autre citoyen Québécois a déclaré : «Il est temps d’arrêter d’en parler et d’agir avec courage et responsabilité.»

 

Pourquoi nos autorités élues ne prennent pas de décisions éclairées dans ce dossier important du système de santé public qui n’a que trop duré? Quels sont les facteurs réels qui empêchent les gouvernements québécois successifs de faire des choix basés sur le Gros Bon Sens? Qu’est ce qui est à la base de cet immobilisme manifeste de nos politiciens malgré les nombreux rapports d’études onéreuses commandées, en 1988 de la Commission Rochon (1), en 1999 du Comité Arpin (2), en 2000 de la Commission Clair (3), en 2005 du Comité Ménard (4), en 2008 du Groupe Castonguay (5) et du Groupe Montmarquette (6) (...)?

 

En lisant ces rapports, on peut se rendre compte que les grands enjeux du système de santé sont bien connus depuis longtemps, mais les principales solutions aussi. De plus, les solutions font l’objet de consensus assez larges. Les rapports d’études s’accordent sur la nécessité de limiter la croissance des coûts du système de santé, de faire des changements dans les modes d’allocation des ressources, de faire des choix pour améliorer la performance du système public, et des changements dans la gouvernance. Au-delà de ces consensus, le rapport Castonguay a innové en recommandant la mixité de la pratique médicale, l'assurance privée et des mesures d’augmentation des impôts. Il serait logique de penser que ces rapports de haut niveau devraient aider nos élus à prendre des décisions rationnelles. Mais alors, pourquoi ces solutions ne sont-elles pas mises en application? La question soulève une énigme et mérite qu’on l’analyse de plusieurs points de vue.

 

Les recommandations innovatrices contenues dans le récent rapport Castonguay ont été, dans un premier temps, écartées par l’ex-ministre de la santé et des services sociaux, le Dr Philippe Couillard, ensuite ce dernier annonça timidement 5 chantiers basés sur ledit rapport avant de démissionner peu de temps après. Quant à son successeur, le Dr Yves Bolduc, il a choisi simplement d'ignorer le rapport Castonguay qui a coûté plus de 400000 $ aux contribuables (7). Tout porte à croire que l’actuel ministre de la santé et des services sociaux préfère "éteindre les feux", sans aucun plan stratégique global. Le malheur du rapport Castonguay provient-il du fait qu’il comporte certaines propositions particulièrement impopulaires ou a-t-il été victime des puissants lobbies du milieu de la santé? Ou bien ses recommandations seraient-elles tout simplement non applicables au Québec?

 

Il est toujours difficile pour tout gouvernement de se pencher sur de grands enjeux et de prendre des mesures appropriées lorsque les horizons et les résultats escomptés se situent bien au-delà des échéanciers électoraux. Les élus ont un horizon chronologique qui correspond au cycle électoral théoriquement de 4 ans. Ils sont plus préoccupés par des résultats rapides susceptibles de leur donner une plus grande visibilité auprès de l’électorat. Leurs perspectives sont donc en bonne partie influencées par des considérations politiques immédiates. Récemment, un citoyen Québécois exaspéré par la situation, s’exclama en ces termes : «Le problème c'est qu'il n'y a pas un(e) seul(e) politicien(ne) qui aura le courage de prendre cette décision car ils (elles) ont tous(tes) peur de perdre des votes; dites-vous bien qu'ils (elles) sont là dans le seul et unique but de prendre et de garder le pouvoir, le bien du peuple est le cadet de leurs soucis!» Cette déclaration est peut-être un peu exagérée, mais elle comporte une part de vérité. Les dirigeants politiques sont trop sensibles à toute situation susceptible d’empêcher leur réélection. Si le rejet des propositions du rapport Castonguay sur la mixité de la pratique médicale et sur l'assurance privée peut trouver sa justification dans la Loi, les raisons du rejet des recommandations sur l’augmentation de la TVQ sont à rechercher ailleurs.

 

Il est justifié que le gouvernement ait écarté l’introduction d’un système de santé mixte (public-privé) et d’une franchise calculée selon la consommation de soins et le revenu du patient, car ces mesures contreviennent au principe de l’universalité de la Loi canadienne sur la santé (LCS) qui précise dans son article 10 que «la condition d’universalité suppose qu’au titre du régime provincial d’assurance-santé, cent pour cent des assurés de la province ait droit aux services de santé assurés prévus par celui-ci, selon des modalités uniformes.» (8) De même la pratique d’assurance privée est contraire au principe de la gestion publique de la LCS. L’article 8 dispose en effet que «la condition de gestion publique suppose que le régime provincial d’assurance-santé soit géré sans but lucratif par une autorité publique nommée ou désignée par le gouvernement de la province, ...» Il faut également préciser que le versement, à une province par le fédéral, de la contribution complète au titre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux est assujetti à l’obligation de respecter les conditions y relatives, quant à la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité (LCS, article 7).

 

Mais, le rejet catégorique (mais temporaire!) de l’augmentation de la TVQ de 0,5%, semble relever d’une décision électoraliste liée à l’impopularité de cette proposition, surtout dans un contexte où le gouvernement libéral minoritaire venait de faire une promesse électorale de ne pas alourdir le fardeau fiscal de la classe moyenne. Ce qui est surprenant c’est que peu de temps après la réélection du Parti Libéral avec une majorité de sièges, on a annoncé dans le budget présenté en mars 2009 par l’ex-ministre des finances, Mme Monique Jérôme-Forget, que la TVQ passera de 7,5 à 8,5%, soit une augmentation de 1%, en janvier 2011. Bien plus, on annonce une indexation des tarifs de tous les services publics sauf celui des garderies, inspirée du rapport Montmarquette qui avait fait l’objet d’une levée de boucliers. L’interprétation serait que le gouvernement a caché volontairement son besoin d’argent et n’a pas osé annoncer d’avance l’augmentation des taxes et tarifs au risque de se retrouver sur les bancs de l’opposition pour 4 ans.

 

Dans le dossier trentenaire de notre système de santé, nos gouvernements devront faire preuve de leadership et de courage politique plutôt que d’essayer de suivre l’opinion publique. L’augmentation de la TVQ de 1 ou 2%, par exemple, est une décision économiquement rationnelle qui s’impose à nous comme l’unique option pour sauvegarder notre système de santé public. Toutes les études ont montré que l’État québécois ne dispose plus des fonds nécessaires pour supporter un tel système. Entre 2006 et 2011, les revenus du Québec connaîtront une croissance beaucoup plus lente (807 millions $) que ses dépenses (10,9 milliards $). Sur le manquant de 10 milliards $, le gouvernement fédéral transférera 4 milliards $ et le reste devra aller probablement sur notre dette nationale. Pour éviter de transférer une bonne partie de nos services publics au secteur privé comme mesure d’allègement du fardeau de l’État, il est logique de demander aux Québécois de contribuer davantage. Chaque augmentation de la taxe de 1% augmente les revenus de l’État de 1,2 milliard $. C’est donc l’Option, même si elle met beaucoup de contribuables en colère. Nous avons fait, au Québec, le choix de société de soutenir un système socialiste, et le réseau de santé fait partie de ce système.

 

Outre les recommandations faites par le groupe Castonguay sur le financement du système de santé et discutées précédemment, tous les rapports d’études proposent des mesures touchant les modes d’allocation des ressources, la gouvernance et la performance du système public. Le consensus qui se dégage des comités de travail sur ces solutions montre que ces changements sont inévitables. Dans le budget 2009-2010 du Québec, le réseau de santé dans son ensemble représente 43% des dépenses de l’État. Et cette part dans le budget de l'État continuera de grimper. Il serait alors légitime de faire en sorte que le système public rende des comptes sur les finances publiques qu’il reçoit. De nouveaux modes d’allocation budgétaire en fonction des résultats permettraient à chaque établissement du système de justifier son budget d’exploitation basé sur des volumes de services achetés à des prix unitaires connus et sur des niveaux de qualité mesurés et rendus. Sur le plan de la gouvernance, il serait nécessaire de doter le réseau public de santé d’une gouvernance de classe mondiale fondée sur la transparence et l’imputabilité. Il est impératif de mettre fin aux disfonctionnements dus à la gouvernance à la fois administrative et clinique du système. Les intérêts corporatifs représentés aux Conseils d’administration se confondent trop souvent, à tord, avec l’intérêt général. Le ministère de la santé et des services sociaux ne doit plus être à la fois juge et partie, à la fois responsable de l’élaboration des politiques et programmes, de la gestion et du contrôle des ressources financières et de l’évaluation de la performance du système. La bonne gouvernance requiert la séparation claire des rôles, la transparence dans les choix et les résultats et l’indépendance des administrateurs. Au fil des années, notre réseau de santé a été transformé en une bureaucratie où le respect des règles est plus important que la performance et où l’obligation des moyens prime sur celle des résultats. Comme dans toute organisation qui se veut viable, il serait essentiel d’implanter dans notre réseau de santé un système d’information qui permettra de mesurer sa performance et de perfectionner ses façons de faire.

 

Ces solutions aussi, du moins à quelques nuances près, sont bien connues depuis longtemps, mais ne sont pas mises en application. Alors, d’où vient le blocage? Se pourrait-il que certains hauts fonctionnaires du ministère de la santé et des services sociaux défendent âprement le statu quo pour conserver leur contrôle rigide sur le système? Se pourrait-il que d’autres acteurs et les puissants groupes d’intérêts du milieu de la santé défendent farouchement le statu quo pour garder leur influence sur l’offre et la prestation des services? Questions qui méritent réflexion.

 

Contrairement aux déclarations faites le 13 mars 2010, d'une voix unanime, par les présidents Régine Laurent de la  Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Dr Gaétan Barrette de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et Dr Louis Godin de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) pour soutenir les revendications syndicales des infirmières (9), «la pénurie d'infirmières» n’«est» pas «le principal problème minant le système de santé québécois»; certes, c’est l’un des symptômes de la maladie grave et chronique dont il soufre. On ne soigne pas un malade en traitant les symptômes de sa maladie, mais les causes. Aussi, les récentes affirmations du Dr Barrette (président de la FMSQ) que «les solutions aux problèmes qui affligent notre réseau de santé ne sont pas si complexes» (10) semblent démagogiques, de même que ses critiques vis-à-vis des experts que «les solutions proposées par les économistes, aussi fondées soient-elles sur papier, et elles le sont, ne peuvent livrer la marchandise…» (10) Par ailleurs, les mesures proposées par la FMSQ (redevance minière, taxe sur la malbouffe, taxe sur l’eau embouteillée, …) semblent relever d’une approche populiste visant à éviter de s’attaquer aux problèmes réels du réseau de santé tel qu’il est recommandé par les rapports d’études cités plus haut.

 

Il est clair que notre système de santé public est très malade, et les remèdes dont il a besoin sont bien connus. Seulement, nos gouvernements ont plus d’enjeux à régler que de temps et de ressources pour leur faire face. Ils se contentent de fonctionner en mode "sapeurs-pompiers". De plus, des groupes de pression s’opposent avec force aux réformes nécessaires en utilisant habilement les médias. Mais, pour éviter à notre système de santé public une mort totale, il urge que nos décideurs constitués fassent preuve de volonté politique pour opérer les choix qui s’imposent. En tout cas, «choisir de ne pas choisir, c'est encore faire un choix» affirmait déjà Jean-Paul Sartre dans L’existentialisme est un humanisme.

 

Références

(1) Gouvernement du Québec. Rapport de la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux. Les Publications du Québec. 1988

(2) Gouvernement du Québec. La complémentarité du secteur privé dans la poursuite des objectifs fondamentaux du système public de santé au Québec. Rapport du Groupe de travail. Les Publications du Québec. 139 p., 1999

(3) Gouvernement du Québec. Des solutions émergentes. Rapport du Groupe de travail. 454 p., 2000

(4) Gouvernement du Québec. Pour sortir de l’impasse : la solidarité entre nos générations. Rapport du Groupe de travail sur la pérennité du système de santé et de servies sociaux du Québec.  155 p., 2005

(5) Gouvernement du Québec. En avoir pour notre argent. Rapport du Groupe de travail sur le financement du système de santé. 388 p., 2008

(6) Gouvernement du Québec. Mieux tarifier pour mieux vivre ensemble. Rapport du Groupe de travail sur la tarification des services publics. 314 p., 2008

(7) Le Devoir.com du 19 mars 2010

(8) Gouvernement du Canada. Loi canadienne sur la santé, Chapitre C-6. Ministre de la Justice : Ottawa, 1984. Disponible sur http://laws-lois.justice.gc.ca

(9) Radio-Canada, 15 mars 2010. Soins dans les hôpitaux, L'urgence d'agir fait l'unanimité. Disponible sur http://www.radio-canada.ca

(10) Fédération des médecins spécialistes du Québec. La Croisade. Disponible sur http://www.fmsq.org/annonce_fmsq_23032010.pdf

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