Il est généralement admis que l’organisation de notre système d’éducation n’a pas encore atteint son apogée. Le taux de décrochage des étudiants, indicateur de référence, demeure toujours un des plus élevés au Canada (29 %) et ce, malgré l’application d’une réforme qui avait pour but de s’attaquer à ce problème. Nous nous trouvons actuellement à la veille d’un autre changement de direction, alors qu’on s’apprête à se départir (du moins en parti) d’une réforme qui visait à outiller nos jeunes pour faire face aux nouvelles exigences des sociétés du savoir, perçues comme seule voie d’avenir pour notre société. Dans ce contexte, quelle direction prendre?
La recherche des éléments propices au succès peut nous amener à épier l’élève modèle en matière d’éducation: la Finlande. En tête du peloton dans les tests internationaux depuis bientôt dix ans, ce pays a développé un véritable circuit touristique de ses écoles à l’intention des gestionnaires et chefs d’État en quête d’inspiration. Évidemment, le modèle finlandais repose sur plusieurs bases culturelles; on ne saurait donc bêtement l’appliquer au cas du Québec. Cependant, trois éléments de ce modèle pourraient inspirer une véritable révolution tout en fraîcheur de notre système.
Décentraliser la gestion des pratiques enseignantes:
Après un brusque changement de cap dans le programme d’éducation québécois en 2000, un louvoyage incessant de la part du ministère de l’Éducation pour contrer le tumulte de protestations et le lent naufrage des jeunes Québécois dans les tests internationaux, il semble que la majorité des enseignants ait discrètement décidé de quitter le navire de la réforme pour revenir aux méthodes d’enseignement traditionnelles. Par contre, d’autres enseignants ayant davantage d’aptitudes personnelles ou des groupes plus propices au renouveau pédagogique continuent dans le chemin tracé par le ministère. Il semble donc que ce ne soit pas tant la réforme qui pose problème, mais le fait qu’on ait voulu l’appliquer en bloc à une population très disparate.
À une époque où les connaissances sont désormais facilement accessibles via les nouvelles technologies, comment expliquer que les enseignants ne veulent pas délaisser la transmission de connaissances au profit du développement des compétences, tel que le propose la réforme? Car force est d’admettre que les écoles qui ont appliqué avec succès les nouveaux paradigmes de l’éducation, dont l’apprentissage par projet, ont vu leurs étudiants développer les qualités requises par les sociétés du savoir, ayant appris à mieux travailler en équipe, à exploiter l’information et à être autonomes dans leur apprentissage. Or, on notera que la réalité de ces écoles est souvent particulière.
Et comme le suggère le premier des mantras des sciences de l’éducation - principes qu’on ne cesse de marteler durant les quatre années de la formation des maîtres –, de la même façon qu’un style d’enseignement ne peut seoir tous les élèves d’un groupe, nous ne pouvons appliquer un dogme éducatif à toute une province sans considérer les éléments propres à chaque école. Quels sont donc ces éléments propices à la réforme? Voyons le cas de la Finlande.
À l’instar du Québec, la Finlande accusait un certain retard de développement par rapport à l’Occident dans les années 1960, sa population étant isolée du continent par sa langue et oeuvrant majoritairement dans le domaine agraire. Secoué par une crise économique dans les années 1990, le pays tabla sur un investissement massif en éducation, ainsi que sur une réforme similaire à celle qui a cours au Québec. En quelques années, il devint un véritable prototype de société du savoir. Aujourd’hui, on attribue à la Finlande 1 % des innovations mondiales, un apport énorme considérant que sa population de 5,3 millions représente moins de 0,1 % de la population globale.
L’éducation en Finlande étant désormais imbriquée dans un concept collectif du futur, nul besoin d’user d’efforts extraordinaires pour inculquer aux étudiants le respect de l’école ou des enseignants. Le climat des classes finlandaises est en effet réputé pour être calme et propice à l’apprentissage, et les élèves respectueux et conscients de l’importance de leur formation. Dans ce contexte, il est facile de leur accorder l’autonomie tant valorisée par la réforme et d’en faire les acteurs principaux de leur apprentissage. Par conséquent, la pression externe sur les élèves, à proscrire selon le deuxième mantra des sciences de l’éducation - puisqu’elle nuit à la motivation intrinsèque et à l’autonomie - est réduite au minimum: aucun test standardisé au palier primaire et aucune note avant la 5e année. De plus, les élèves ne commencent l’école qu’à sept ans. Avant cet âge, ils ne font que jouer!
Au Québec, certains professeurs se sont tournés vers l’apprentissage par projet pour se rendre compte, au bout d’un moment, que certains élèves n’étaient pas prêts à prendre leur éducation en charge. Le phénomène de groupe exacerbant de surcroît une norme culturelle nivelée par le bas, maintes transitions entre le modèle encadré de l’enseignement direct et celui où les élèves sont davantage laissés à eux-mêmes ont donné lieu à des résultats pitoyables. Certains enseignants se sont alors demandé si nous ne devrions pas ajouter quelques bémols aux troisième et quatrième mantras des sciences de l’éducation qui louangent les vertus du travail en groupe et les situations d’apprentissage explicites. Par ailleurs, le nombre d’élèves par classe étant beaucoup plus élevé ici qu’en Finlande, et les élèves en difficulté n’étant pas pris en charge aussi activement, la gestion de projets dans nos écoles peut devenir extrêmement délicate, voire impossible.
Le ministère pourrait donc s’inspirer de son homologue finlandais, qui fixe des objectifs nationaux à atteindre tout en laissant aux enseignants le soin de choisir les méthodes les plus adaptées à leur réalité. Ou de la France qui a inclus la liberté pédagogique dans la loi sur l’éducation. Une chose est sûre, le décalage entre la pratique enseignante actuelle et la version officielle du ministère de l’Éducation ne fait rien pour contribuer à l’unité de notre vision collective du futur.
Comme dans tout métier professionnel (médecins, notaires, professeurs d’université), le contrôle du travail des enseignants ne peut se faire de haut en bas. Les professionnels doivent être autonomes, et la meilleure façon de coordonner et de contrôler leur travail réside dans leur formation, qui standardise les qualifications et le savoir. Or, c’est justement là que le bât blesse.
Réformer la formation et la sélection des enseignants :
Dans une entrevue avec le magazine The Economist en 2006, une directrice d’école offrait son opinion sur le succès du modèle finlandais de façon on ne peut plus éloquente : « Teachers, teachers, teachers! ». En effet, en Finlande, ne devient pas enseignant qui le veut. Ce métier, très valorisé par la société, n’est accessible qu’après avoir effectué des études disciplinaires de haut niveau dans le domaine qu’on souhaite enseigner, le programme culminant ensuite par une maîtrise en pédagogie. Le résultat de cette valorisation de la profession et de la crédibilité des études est sans équivoque : les facultés d’éducation n’acceptent qu’un candidat sur dix, ce qui leur permet de trier les futurs enseignants sur le volet. Forts des connaissances acquises dans leur discipline, ces derniers sont bien préparés à développer des projets stimulants qui susciteront l’intérêt des élèves.
Cette réalité est malheureusement bien loin de la nôtre, surtout pour ce qui est de l’enseignement au palier primaire; les années qui sont justement les plus cruciales pour assurer la réussite des élèves. La profession est en effet si peu valorisée qu’elle ne réussit pas à attirer les étudiants forts, ni les hommes, qui optent traditionnellement pour les métiers à haut statut social. Qu’on le perçoive comme une cause ou un effet de la dévalorisation de la profession, le fait est qu’au Québec n’importe qui peut obtenir un baccalauréat en éducation et le niveau académique est si bas qu’il décourage souvent ceux venus d’autres domaines de formation.
C’est d’ailleurs un secret de polichinelle qu’il est quasiment impossible d’échouer un baccalauréat en éducation, à moins d’échouer au test de français, mis en place après que le rapport Larose ait conclu en 2001 que « plus de la moitié des futurs enseignants [avait] une connaissance nettement insuffisante de la langue française ». Or, en plus d’avoir fait des recommandations sur la langue, le rapport Larose avait aussi suggéré que les connaissances générales des futurs enseignants soient évaluées, une recommandation qui faisait suite à plusieurs études alarmantes effectuées dans les années 1990, dont une qui avait révélé que seulement 19 % des étudiants interrogés pouvaient identifier les cinq continents sur la carte du monde. On n’a toutefois pas tenu compte de cette recommandation, les syndicats des enseignants, fidèles au deuxième mantra, étant en faveur d’une approche valorisante plutôt que punitive. Conséquemment, huit ans plus tard, les étudiants en éducation ne sont toujours pas reconnus pour leur intérêt pour la culture. Et dans les couloirs des universités, une phrase mal construite portant sur un téléroman, les bébés ou le shopping, ou un toutou en peluche sur une sacoche stylisée a malheureusement vite fait d’identifier une étudiante en enseignement au préscolaire-primaire.
Le problème est cependant beaucoup plus profond pour qu’il ne soit réglé par un simple test de français ou de connaissances générales. Si c’est une chose de passer un examen auquel on a mis des semaines à se préparer grâce à des guides spécialement conçus pour ladite épreuve, s’en est une autre d’affectionner le français et d’être passionné de culture, curieux et avide de transmettre son savoir. Regrettablement, le baccalauréat en éducation attire plutôt des gens ayant un grand besoin de sécurité et de structure, qui voient probablement dans la profession d’enseignant un emploi stable, bien rémunéré et présentant peu de défis au plan intellectuel. Et si, par peur de perdre le contrôle, nombre de ces enseignants paniquent lorsqu’un petit garçon lance une boule de neige durant la récréation, imaginez lorsqu’on leur demande de gérer des projets où les jeunes apprennent par eux-mêmes de façon beaucoup plus anarchique, sans marche à suivre et avec peu de structure. Pas étonnant que la réforme ait frappé un mur; il est beaucoup plus sécurisant de mâcher la matière des manuels d’enseignement.
On pourrait aussi reprocher au programme de la formation des maîtres de contribuer à l’inculture générale de ses étudiants, puisqu’il offre peu de cours disciplinaires, au profit d’un cursus qui s’applique à étudier sous tous les angles des concepts d’une grande simplicité, mantras que vous connaissez désormais presque tous après avoir lu cet article. Par ailleurs, cette approche contribue immanquablement à insécuriser les futurs enseignants dans la création et la gestion de projets demandant un grand intérêt et une maîtrise de la matière qui déborde du cadre des manuels scolaires.
Cette approche a aussi fait en sorte que les écoles se sont vidées des gens de contenus, au profit de spécialistes de la forme n’ayant parfois même jamais étudié les programmes qu’ils sont voués à enseigner. Jusqu’en 1994, le Québec autorisait pourtant les détenteurs d’une formation disciplinaire à enseigner dans nos écoles secondaires après avoir complété un diplôme d’un an en pédagogie, comme c’est encore le cas dans plusieurs provinces canadiennes. Ces provinces forment des enseignants pouvant, eux, pratiquer au Québec à la suite de simples procédures administratives. Comble de l’ironie, plusieurs Québécois profitent de cette faille interprovinciale pour aller faire leurs études en dehors du Québec et revenir un an plus tard, diplôme en main. À l’université d’Ottawa, par exemple, le tiers des étudiants à la faculté d’éducation sont Québécois, la plupart voulant retourner pratiquer au Québec. Par ailleurs, l’accord sur la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, qui doit être signé sous peu, est censé permettre à tout enseignant canadien de pratiquer dans la province de son choix. Une fois cet accord signé, il sera difficile de justifier que, contrairement à ceux des autres provinces, nos professionnels déjà diplômés dans leur domaine ne puissent transmettre leur passion à nos jeunes qu’à condition de s’infliger quatre ans d’études abrutissantes.
Le ministère pourrait par ailleurs déployer davantage de ressources pour répertorier et évaluer le contenu disponible pour chaque matière enseignée. Le facteur le plus déterminant pour le succès d’un cours étant sans doute la qualité du contenu, et les futurs maîtres n’étant plus formés sur la base de celui-ci, la préparation de cours se fait souvent à la hâte, avec les manuels élaborés par les maisons d’édition, avec l’aide de Google ou de collègues, si ces derniers acceptent de partager leur matériel (la vieille mentalité par rapport au partage de l’information est encore malheureusement très répandue dans le monde scolaire). Certaines commissions scolaires ont des sites qui permettent aux enseignants de mettre en commun le matériel qu’ils ont développé, formant ainsi une banque considérable d’activités dans laquelle les enseignants peuvent piger. Ce partage d’information doit se généraliser à l’ensemble du Québec, impliquer tous les enseignants et être géré par le ministère de l’éducation lui-même. En effet, quelle logique y a-t-il à décentraliser le partage d’information gratuite sur Internet?
La valorisation de la profession enseignante, primordiale dans le modèle finlandais, doit s’effectuer de toutes les façons possibles : contingentement des facultés d’éducation, échec des futurs maîtres qui ne rencontrent pas les normes, participation des parents, etc. Le fait d’exiger que les meilleurs enseignent à nos jeunes ne peut que créer un cercle vertueux à l’intérieur de notre société. Et lorsqu’on parle des « meilleurs », il faut aussi préciser qu’il s’agit des meilleurs par rapport au contexte particulier de chaque école et de chaque classe; c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait un mécanisme qui permette d’affecter chaque enseignant à une tâche qui sera adaptée à ses capacités et ses talents. Ce qui nous mène à ma troisième proposition.
Réformer le processus d’embauche :
En Finlande, l’embauche se fait au niveau local, directement par le directeur d’école. Ce dernier étant le gestionnaire de son établissement, il est le mieux placé pour déterminer de quel type d’enseignants il a besoin et des mouvements de son personnel à l’interne. Au Québec, dans la plupart des commissions scolaires, le directeur d’école n’a pas ce pouvoir, l’attribution de tâches se faisant par l’entremise d’un système automatisé basé sur l’ancienneté et sous la supervision d’une technicienne en administration. Certes, ce système offre l’avantage d’empêcher l’emploi par copinage, mais ses avantages semblent s’arrêter là. En fait, ce système fonctionnerait très bien si l’organisation scolaire s’occupait de gérer des boîtes, mais puisqu’il s’agit d’humains, cela occasionne plusieurs problèmes. Prenons l’exemple de cette classe dans Ahuntsic qui comportait plusieurs garçons en difficulté, beaucoup provenant de familles monoparentales. Logiquement, le directeur aurait voulu affecter un enseignant masculin à cette classe, ce qui était malheureusement hors de son contrôle. De plus, le système de listes de priorités ayant affecté trois enseignants à cette classe dans la même année, ce directeur était très conscient des effets négatifs au niveau humain créés par le manque de stabilité. Ayant aussi la tâche de gérer la frustration des parents face à cette situation, le directeur ne pouvait que s’en remettre au système mécanisé de la Commission scolaire de Montréal, qui ne pouvait malheureusement pas prendre en considération la situation sur le terrain. Certains feront remarquer que ce système pourrait occasionner un retour à l’emploi par copinage, ce à quoi je répondrais qu’un certain nombre de mesures pourraient être mises en place pour éviter cela, dont la participation d’un comité d’école dans le processus de sélection.
Certains ont récemment proposé l’abolition des commissions scolaires pour opérer une réelle décentralisation à la finlandaise. Or, les fonctions administratives des commissions scolaires représentant une grande partie de leur travail, et il est souhaitable que ce travail demeure centralisé, ne serait-ce que par souci d’économie d’échelle (paye, reconnaissance des diplômes, etc.). À bien y penser, la seule fonction des commissions scolaires qui mérite véritablement d’être décentralisée est l’embauche du personnel. Ce faisant, on pourrait donner un réel pouvoir et un vrai droit de gérance aux administrateurs des écoles.
Ma proposition est donc la suivante : Les commissions scolaires continueraient de classer les enseignants par champs de compétence et par ancienneté. Cependant, l’ancienneté ne permettrait plus d’obtenir automatiquement un poste lors de la pige annuelle. Elle permettrait plutôt d’être éligible à des rondes d’entrevues. Les postes les plus désirés par l’ensemble des enseignants seraient ainsi mis à la disposition de ceux qui se trouvent en priorité sur chaque liste sectorielle, et ainsi de suite. Le principe de l’ancienneté serait par conséquent préservé, ce qui respecterait, dans les grandes lignes, les conventions collectives déjà signées. Il faudrait néanmoins réussir à convaincre les syndicats que ce changement servirait les enseignants et les étudiants, puisque tous auraient dorénavant davantage la possibilité de se retrouver dans un milieu susceptible de mettre ses forces en valeur. Ainsi, les pseudo-écoles internationales ou les écoles alternatives publiques pourraient engager des enseignants ayant respectivement de l’expérience à l’international ou une vision du monde compatible avec la pédagogie en question. Bref, le gros bon sens.
En somme, ces propositions sont beaucoup plus pragmatiques qu’idéologiques. Elles s’appuient en partie sur les dispositions actuelles du système d’éducation finlandais qui, disons-le, comporte aussi ses failles, mais beaucoup plus sur mes expériences en tant qu’enseignant dans divers milieux. Lorsqu’on entre dans cette problématique, il est facile de perdre une perspective globale de l’enjeu. À ce titre, le Programme international de l'OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA), qui publie ses résultats chaque trois ans, se révèle d’une aide précieuse. À force de se désoler en nous regardant, il faut prendre le temps de se consoler en regardant les autres : de 2000 à 2006, le Québec se classait étonnamment bien au plan international. Les prochains résultats de 2009 seront disponibles en décembre 2010.