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L’Amérique latine ne peut plus être exclue : La légalisation du cannabis dans un contexte mondialisé

par Francis Brown, étudiant à la maîtrise en administration publique, ENP-7505.

 

Le 2 novembre dernier, les citoyens californiens ont dit non à la légalisation du cannabis. Les âpres débats sur cette proposition, avec de nombreux échos au Québec, ont essentiellement tournés autour des conséquences possibles sur la politique intérieure : dépendance et santé publique, administration de la production, distribution et consommation, taxation du produit, etc. Bien que ces questions sont d’une importance capitale pour une société, il semble qu’un pan entier du débat s’est retrouvé sur la voie d’accotement : les conséquences de la légalisation du cannabis sur les gouvernements et administrations publiques des pays rongés par le narcotrafic.

Car, en plus des questions de santé publique, celles de gestion de la production et d’encadrement de la consommation se révèlent un défi immense pour le gouvernement qui décide de légaliser une drogue comme la marijuana. Tout un casse-tête.

Imaginez maintenant un peu l’ampleur de l’embêtement pour l’Amérique latine, région où l’ensemble des gouvernements en place se sont fait imposer, principalement par les Etats-Unis, des mesures hautement répressives pour faire la lutte au narcotrafic. De nombreux dirigeants latino-américains ont bondi de leur siège à l’annonce du référendum, démontrant ainsi leur inquiétude envers ce qui aurait pu être un acte unilatéral du géant américain qui ne s’inscrivait pas dans une stratégie intégrée pour l’ensemble de la région.

L’enjeu, pour l’Amérique latine, ne concerne pas le seul fait de pouvoir « en fumer un » en toute tranquillité dans les rues de Mexico, de Managua ou de Lima, mais plutôt des conséquences de la décision dans la conduite, déjà complexe, des politiques publiques sur les questions des drogues. De plus, il est question de la gestion publique dans des pays en pleine consolidation démocratique.

La légalisation de la marijuana entraîne une panoplie d’actions au sein de l’appareil étatique : le législatif doit adopter les lois, l’exécutif doit les mettre en actions et le judiciaire les faire respecter. C’est le rôle même de l’État comme régulateur. (Mercier, 2002 : 66)

Le nombre grandissant de personnes en faveur de la légalisation de la marijuana marque certainement une évolution sociale et apporte son lot de nouveaux facteurs que l’État doit considérer. Par cela, il y a une émergence des besoins en gestion des politiques publiques, donc un changement au niveau de l’administration publique.

Toutefois, est-ce que l’Amérique latine, après des siècles de colonialisme, des décennies de dictatures et maintenant en plein processus de consolidation de l’État de droit, est prête - et surtout apte - à modifier ses lois et ses façons de faire?

En plus d’être des États démocratiquement jeunes (la majorité des pays ont adopté le virage démocratique entre 1983 et 1989), la région du Mexique jusqu’à la Terre de Feu en est une des plus corrompues du monde, selon l’organisme Transparency International. Un État faible, le nombre d’employés et de fonctionnaires et leurs bas salaires en seraient les principales causes.  Comment donc faire honneur au principe clé considérant que l’administration publique est à la fois une science, par l’étude des causes et conséquences des phénomènes, et un art, par son caractère prescriptif sur les meilleures pratiques, alors que l’administration publique latino-américaine peine à faire face aux problèmes actuels?

Pour être réaliste, il serait difficilement concevable de légaliser le cannabis au Canada et aux Etats-Unis sans penser à appliquer la même légalisation en Amérique latine. Pourquoi? Tout simplement par l’étroite relation de cause à effet, de production-consommation, qui prévaut dans ce contexte actuel de mondialisation, qui implique également une responsabilité des États envers leurs pairs. Comme l’a souligné le président colombien, Juan Manuel Santos : « Comment expliquer à un indigène dans la montagne colombienne qu’il sera emprisonné pour avoir produit de la marijuana, alors que la consommation est légale aux Etats-Unis? » (Grupo RPP, 2010)

Qui plus est, le défi est largement plus grand qu’il n’y paraît. Essentiellement pour les deux raisons suivantes : l’absence de politiques homogènes entre les pays latino-américains et la valeur des investissements dans la lutte au narcotrafic. En effet, alors qu’en Colombie et en Bolivie il y a une prohibition totale, le Mexique, l’Uruguay et le Pérou ont dépénalisé la consommation. Dans une région du monde où les sociétés sont fortement dépendantes les unes des autres, entre autre par la nécessité d’unir ses forces pour s’assurer d’être considéré sur l’échiquier mondial, le défi qu’implique la légalisation est immense.

Quant aux coûts engendrés, ces pays ont investi, dans le dernier quart de siècle, des ressources financières incommensurables dans la lutte au trafic de drogue. En y ajoutant l’ensemble des coûts politiques, sociaux et en vies humaines, on ne saurait intelligemment diminuer l’importance de la gestion de la lutte au narcotrafic, ou encore compromettre son efficacité.

La levée de boucliers contre la proposition de légaliser la marijuana tournait donc autour de toute la conception de la légalisation et des conséquences globales d’une telle décision. Les débats sur la question font rage depuis plusieurs années en Amérique latine et ont comme point de départ le questionnement des résultats de la répression. Ce que dénoncent les dirigeants latino-américains, c’est le manque de consultation et de vision d’ensemble des Etats-Unis, les excluant complètement de ce débat tout en envoyant des messages contradictoires à l’Amérique latine.

Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, croit fermement qu’il est plus que dangereux qu’un État décide de ce qui soit bon et sain et de ce qui est mal et dommageable puisqu’il y a alors intrusion dans la liberté individuelle, un principe fondamental d’une société démocratique. (Vargas Llosa, 2010) L’avantage de cette remarque, bien qu’en faveur de la légalisation, réside dans le recadrage des concepts de base du rôle de l’État. En y juxtaposant la mondialisation, on comprendra donc que la légalisation de la marijuana comporte un ensemble de volets à considérer.

Le débat étant d’actualité, il faudra faire preuve d’innovation dans les paradigmes face à la légalisation des drogues pour y inclure l’ensemble des acteurs concernés. La présidente du Costa Rica l’a bien rappelé : « Si nous pensons que chaque pays peut faire face à ce problème seul, nous nous trompons. » Si les pays latino-américains ont prouvé qu’ils pouvaient se rallier, il n’en demeure pas moins que les Etats-Unis et le Canada devront considérer et, par-dessus tout, inclure l’Amérique latine dans ce type de décisions.

Il est donc impératif de revoir, mais surtout de rénover, la vision du monde des États mieux nantis pour prendre en compte les tenants et aboutissants de l’ensemble des décisions, tant en politique intérieure qu’extérieure. Tout cela dans le but d’inclure dans le débat les sociétés qui pourraient en faire les frais et/ou qui devront adapter leurs politiques et leur gestion publique. Sur le cas présent, l’Amérique du Nord ne peut plus considérer l’Amérique latine comme une « sous-société ».

Car, comme l’a si bien souligné le président Lula du Brésil lors de la cérémonie entourant son départ : «On ne nous traite plus comme avant. Nous ne verrons plus quelqu'un plaisanter parce qu'un travailleur a obtenu son diplôme ou parce qu'un Indien a été élu président en Bolivie. Nous avons construit quelque chose de neuf, qui ressemble à la dignité, en Amérique latine».

 

Références :

Cyberpresse. « Des dirigeants d’Amérique latine s’inquiètent de la proposition 19 », 26 octobre 2010, http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/201010/26/01-4336419-des-dirigeants-damerique-latine-sinquietent-de-la-proposition-19.php, page consultée le 16 novembre 2010.

Cyberpresse. « L’Amérique latine rend hommage à Lula, sans lui dire adieu », 4 décembre 2010, http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/201012/04/01-4349300-lamerique-latine-rend-hommage-a-lula-sans-lui-dire-adieu.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B9_international_29810_accueil_POS3, page consultée le 5 décembre 2010.

Grupo RPP – Noticias del Perú y del mundo. “Colombia buscará reacción común con Perú si EEUU legaliza marihuana”, 25 août 2010, http://www.rpp.com.pe/2010-08-25-colombia-buscara-reaccion-comun-con-peru-si-eeuu-legaliza-marihuana-noticia_290438.html?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter, page consultée le 16 novembre 2010.

MERCIER, J. (2002). L’administration publique, de l’école classique au nouveau management, Québec, Presses de l’Université Laval, 518 pages.

Radio-Canada. “Le référendum californien inquiète l’Amérique latine”, 27 octobre 2010, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2010/10/27/001-marijuana_amlatine.shtml, page consultée le 16 novembre 2010.

VARGAS LLOSA, Mario. « California se equivocó », 7 novembre 2010, http://www.hoy.com.ec/noticias-ecuador/avatares-de-la-marihuana-440480.html, page consultée le 16 novembre 2010.

 

 

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