Blogue#1 Quand laxisme et démocratie ne font pas bon ménage
Patrice Allard (Montréal)
L'oisiveté est la mère de tous les vices dit le proverbe. Si cela est vrai pour les individus, peut-il en être de même pour un gouvernement? Ce pourrait-il que faute d'encadrements adéquats, de règles bien définies, de notions claires, bref de paresse législative, plusieurs de nos institutions publiques vivent des moments forts difficiles?
Que l'on pense aux donneurs d'ouvrage en ingénierie et des processus d'appels d'offres "ajustés", au milieu scolaire où l'on manque de vision claire sur ce qui est raisonnable ou pas, au milieu de la petite enfance dont certains membres donnent dans l'enseignement religieux, à la fonction publique dont la laïcité est pour le moins élastique, aux diverses organisations prises avec un profilage social et racial qui ne dit pas son nom et qui mine l'intégration des citoyens actuellement exclus tant par la race que le statut socio-économique.
N'en jetez plus, même si la cour - de justice- n'est pas encore pleine. Mais cela ne saurait tarder tant ces situations potentiellement illégales, à tout le moins voguant dans un flou juridique, se multiplient. Quelques instances s'y penchent toutefois, telle la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ). Leurs recommandations sont souvent ignorées, mises de côté, voire ridiculisées. Mais puisque des agents de l'État y ont mis temps et talent, il conviendrait certainement d'y répondre.
Ainsi, sommes-nous d'accord ou non avec les pratiques d'un corps policier touchant le respect des droits, avec les écoles qui semblent oublier les devoirs auxquels sont tenus les citoyens, avec des appels d'offres où c'est la loi du plus fort qui l'emporte (et non du meilleur)? Ou sommes-nous obnubiler à ce point par le marché libre économique que celui-ci se répercute sur le développement social du Québec, chacun pouvant négocier sa sphère citoyenne au Bureau en Gros du code civil, au Wall Mart de la Charte canadienne des droits et libertés?
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Le gouvernement étant élu pour gouverner, donc pour diriger l'action, par des lois ou décrets qui seront ensuite mis en oeuvre par les commis de l'État, on peut se questionner sur les raisons freinant la prise de décisions sur les enjeux sociaux. Cet art de l'esquive décisionnelle, particulièrement relevé dans le gouvernement Charest, témoigne d'une conception de l'État pour le moins effacée.
On pourrait penser que le premier ministre se veut rationaliste et avancer d'abord sur le plan des valeurs comme lorsque le gouvernement affirme que l'égalité entre les hommes et les femmes est la valeur cardinale de la charte québécoise des droits et libertés. Mais, en bon rationaliste, il faudrait voir à sa mise en oeuvre! Ce qui n'est manifestement pas le cas à la Société de l'assurance automobile où plusieurs cas d'accommodements ne peuvent être jugés raisonnables à l'aune de l'égalité de sexes.
Peut-être ce gouvernement est-il de tendance gradualiste : un objectif simple, basé sur des valeurs et des moyens pour atteindre l'objectif. Chacun peut alors se prononcer et le jeux des intérêts suit son cours. On a vu avec la Commission Bouchard-Taylor que cela peut porter à dérapage, même contrôlé. Et le rapport fut mis au frais. Ne pas intervenir peut donc être un objectif en soi…
Peut-être sommes-nous en face d'un modèle plus bureaucratique où les influences se disputent à l'interne jusqu'à l'événement majeur qui fera gagner un des protagonistes, comme l'histoire de cette jeune femme au niqab, finalement expulsée du cegep St-Laurent. C'est le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles qui a réagi, tandis que le MELS (ministère de l'Éducation des Sports et du Loisir) se tenait coi.
Plus probable est l'orientation dite de la fenêtre d'opportunité, même si les problèmes évoqués ci-haut, touchant valeurs et éthique, se trouvent à l'agenda depuis plusieurs mois, voire années. Selon cette approche, pour y traiter des sujets d'actualité, il faut que se rencontrent le problème, la solution et des orientations… Il faut donc être en mode action et non réaction. Et ne pas gérer au cas par cas. À bien y penser, la fenêtre d'opportunité n'est peut-être pas ouverte…
Plus vraisemblable alors est l'application du public choice, modèle qui valorise un rôle réduit de l'État, avec un gouvernement oeuvrant pour les individus et non pour la collectivité. Le "choix public" est ainsi le choix des individus qui composent ce public, pour leur propre avantage et non celui du groupe. On peut donc négocier à la pièce ses droits (en délaissant ou ignorant ses responsabilités) comme on magasine son téléviseur. Chacun peut interpréter ce à quoi il a droit, jusqu'à décision finale de la cour suprême s'il le faut.
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Dans ce contexte d'entités et d'individus aux opinions divergentes, sinon opposées, de groupes de pression à l'intérieur du gouvernement comme dans l'espace public, d'enjeux sociaux qui vont de l'intégration sociale et économique à la bonne gestion des ressources publiques, peut-on rester dans l'inaction sans porter atteinte à la démocratie même?
En se basant sur les lois existantes, les pratiques de négociations, les expériences de consensus (Paix des Braves, Sommet économique), ne serait-ce pas le moment de légiférer, de baliser, de cadrer, d'orienter les actions, de poser des gestes qui permettraient de régler les problèmes plutôt que de les laisser pourrir jusqu'à la prochaine élection?
Le temps est certes propice à la prise de décision, à l'exercice d'un leadership d'État. L'oisiveté législative peut difficilement se conjuguer avec l'exercice démocratique, quand des enjeux sociaux remettent en question la liberté et l'égalité des citoyens.