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Les outils formalisés de gestion dans l'évaluation de la performance, un mal nécessaire ?

Blogue #2 annie chartier (hiver 2010 : Brossard)

Au cours des dernières décennies, de nombreux changements au sein de l'environnement des services publics ont pu être constatés.  En effet, l'appareil de la fonction publique québécoise est influencé par de nombreux facteurs économiques, sociaux et politiques.  Nous avons pu assister, entre autres, à l'introduction massive d'outils formalisés de gestion dans le secteur de la santé et des services sociaux.  Ceux-ci ayant pour but de permettre d'évaluer la performance des services publics et de les rendre imputables de leurs résultats.  Par exemple, les organisations publiques sont dorénavant obligées d'établir des ententes de gestion et d'utiliser des indicateurs de performance.  Dans la présente note, je tenterai de vous démontrer en quoi ce tournant au sein de nos organisations me semble préoccupant.  De plus, j'amènerai certaines conditions, qui je pense, pourraient être favorables à l'atteinte des objectifs poursuivis par cette instrumentation de gestion.  Pour ce faire, je m'attarderai plus précisément aux indicateurs de performance.

Selon Saba et al., nombreuses sont les études qui ont tenté de cerner les critères de performance d'une organisation.  On s'entend généralement sur le caractère multidimensionnel du concept de performance organisationnelle ainsi que sur l'existence de critères d'évaluation externes et internes.  Par exemple, un critère externe pourrait être représenté par un comportement attestant de la conscience sociale de l'entreprise : protection de l'environnement, contribution à la collectivité, participation à des campagnes de sensibilisation, etc...  Un critère interne pourrait faire référence à la satisfaction des clients ou encore à la capacité d'innovation par exemple.  Mentionnons que la notion de performance peut à la fois être rattachée au niveau économique, de l'efficience, de la qualité, des résultats et des conséquences sur le plan social.  (Freeman, 2006)  Bref, la performance doit être vue au sens large.

Je pense que c'est important de miser sur une meilleure qualité de services et de soins auprès de la clientèle.  De plus, je crois en l'importance d'une bonne gestion de nos organisations publiques.  Je me rallie au point de vue de Denis Proulx (2008) qui dit que le contrôle est essentiel à la gestion; il consiste à trouver des façons de savoir ce qui se passe au sein d'une organisation.  Il porte sur ce qui a été fait et permet d'apporter les ajustements nécessaires.  Il faut pouvoir déterminer si les résultats sont atteints, si les ressources sont utilisées adéquatement et si l'organisation produit ce pour quoi elle a été conçue.  Pour y parvenir, il faut aussi savoir si les employés travaillent bien, si les budgets sont respectés et s'ils sont appropriés et si les résultats obtenus correspondent aux besoins de l'usager.  Mentionnons que le contrôle fait référence à deux notions clés : la responsabilité et l'imputabilité.  Cette dernière s'inscrit dans le contexte de l'augmentation de la complexité des organisations et de la volonté de responsabiliser les individus sur des points précis et déterminés.  (Proulx 2008 : 157)

Les outils formalisés de gestion permettent d'établir un certain contrôle sur ce qui se passe dans une organisation.  Je pense que cette forme de contrôle est nécessaire et permet d'éviter les situations d'abus tout en améliorant la qualité des services aux usagers.   Bien que tout ceci soit très légitime, le grand nombre d'indicateurs de performance et la bureaucratie que tout cela engendre me fait douter de l'efficacité de la démarche.  Il y a en effet, à mon avis, beaucoup de perte de temps et d'énergie de déployées pour répondre aux exigences bureaucratiques de ces outils formalisés de gestion.  Le temps qui est mis pour répondre à ces exigences n'est pas utilisé sur le plan clinique et en service direct aux usagers.  Je suis travailleuse sociale scolaire et les intrants que je dois faire durant ma semaine de travail peuvent me prendre environ une heure (avec le déplacement vers le clsc).  Cette heure-là n'est pas passée auprès d'un étudiant que j'aurais pu aider et pour moi c'est regrettable.  Dans un contexte de pénurie de ressources professionnelles auprès des élèves, il faudrait plutôt optimiser notre présence dans les écoles.

De plus, les outils formalisés de gestion peuvent engendrer certains effets pervers.  Par exemple, on met des efforts simplement là où on est mesuré.  Il peut y avoir poursuite d'objectifs locaux (cibles précises) en négligeant les objectifs de l'ensemble de l'organisation.  Par exemple, pendant la vaccination AH1N1 cette automne, une présence psychosociale était requise sur les centre de vaccination de masse.  Notre rôle était, entre autres, de faire le tri des gens à la porte d'entrée et de donner les coupons.  Pourquoi un t.s. là plutôt qu'une infirmière ? Bonne question, je me la suis posée à tous les jours où j'ai dû aller "revirer" des gens...je me sentais un peu n'importe qui (en ayant pas vraiment de base en santé)pour faire cette job là.  Bref, ca c'est une autre affaire. 

Ce que je voulais dire, c'est que mon CSSS a fait le choix de retirer tous ses intervenants scolaires des écoles et de les affecter à temps plein au centre de vaccination de masse parce que notre équipe n'est pas (encore?) liée directement à une entente de gestion (ou à des cibles à atteindre) comme peut l'être l'équipe jeune en difficultés ou encore l'équipe santé mentale jeunesse.  On a fait le choix de préserver ces services afin de répondre aux cibles et de recevoir les budgets (faut pas se le cacher, c'est ca qui contrôle tout!!)  au lieu de délester un peu chacune des équipes et d'offrir un minimum de services temporairement.  Cela a été très malheureux comme décision puisque un jeune qui a besoin de services à l'école est aussi important ou prioritaire qu'un jeune qui a besoin de services en familial au clsc.  Pourtant ce dernier y avait accès. Dans nos écoles, on a quand même des suivis avec des jeunes à risque (idées suicidaires, situations de violence, etc...) et on nous a demandé de tout laisser tomber du jour au lendemain.  Je trouve que c'est une décision lourde de conséquence. 

Autre effet pervers, on peut assister à de la manipulation de données afin de mieux paraître ou encore de recevoir des budgets.  L'organisation peut devenir paralysée, liée à une évaluation de la performance rigide.  Par conséquent, Freeman (2002) mentionne qu'il faut être vigileant par rapport aux effets pervers des indicateurs de performance.  Il y aurait beaucoup de précautions à prendre pour bien utiliser ces outils de gestion et éviter les inférences très simplistes.  Je crois que les intentions sont bonnes, mais qu'en cours de route, on a perdu de vue l'objectif.  En effet, il me semble que la bureaucratie ne diminue pas mais augmente avec toutes les nouvelles mesures mises en place; ententes de gestion que les organisations publiques doivent créer et respecter, intrants, cibles à atteindre dans le plan d'action local, démarche pour obtention de l'agrément, etc... Dans ce contexte, il y a peu de place pour la flexibilité.

J'observe parfois des pratiques que je trouve aberrantes et décevantes, au sein du CSSS pour lequel je travaille, afin de répondre à certaines exigences de l'agence.  Par exemple, l'an dernier, afin de recevoir un budget supplémentaire au sein de l'équipe santé mentale jeunesse et d'atteindre la cible fixée, on a demandé aux psychologues de l'équipe de cesser les suivis et de ne faire que de l'évaluation de dossiers.  Afin de rencontrer le plus de jeunes possibles et d'atteindre la cible, ils ont évalué des dossiers à la chaîne et lorsqu'ils avaient une meilleur idée de la problématique à travailler, les jeunes étaient remis sur une liste d'attente.  Cela a duré jusqu'à la fin de l'année fiscale, soit presque 4 mois.  Pour moi, c'était aberrant qu'on utilise les usagers afin de "coter" plus et d'avoir plus de budget.  Je ne trouve pas que c'est rendre service à un jeune de le voir et de le remettre tout de suite en attente après.  De plus, sur le plan clinique cela n'a pas une très grande valeur et est peut-être même contre-indiqué. 

Pour moi, cela a un effet pervers puisque l'on utilise toute sorte de pratiques pour répondre aux exigences de l'agence.  Il me semble qu'il n'y a pas de flexibilité et qu'on ne s'adapte pas au terrain.  En effet, il se peut fort bien qu'une année on voit moins de jeunes, mais on peut être encore plus performants dans nos dossiers et aller plus loin dans l'intervention.  Peut-être que cette année-là, les dossiers étaients plus lourds et demandaient plus de rencontres ?  Je ne pense pas que voir plus de jeunes équivaut à plus de qualité.  À mon avis, la qualité des soins devrait être un indicateur important de la performance d'une organisation publique.  Ne faire que des évaluations ne permettait pas, selon moi, d'effectuer des interventions de qualité.

Je pense que pour que les outils formalisés de gestion soient aidants, il faut qu'ils s'adaptent plus au terrain et que la flexibilité soit plus possible.  Je comprend le besoin d'uniformiser, de règlementer afin de s'assurer que les fonds publics soient bien utilisés.  Toutefois, nous travaillons avec des humains et il faut tenir compte de notre réalité.  On ne peut utiliser des critères quantitatifs pour évaluer des interventions de l'ordre du qualitatif.  En tant que clinicienne, j'évalue la qualité de mes services au fait de faire de bonnes interventions et de me centrer sur le besoin du client qui est en avant de moi. Je ne m'évalue pas à l'aide du nombre de jeunes que je rencontre.  Pour moi cela ne fait pas de sens, c'est simpliste et ça sonne faux.  Il faut dépasser les chiffres et permettre les nuances.  Par conséquent, je pense qu'il faut que les indicateurs de gestion soient plus flexibles, adaptés au qualitatif et tiennent compte des différentes réalités.  De plus, il faut impliquer la base dans le choix des indicateurs de performance pour que cela fasse du sens pour eux.  Il serait important aussi d'avoir comme objectif de revoir régulièrement les indicateurs de performance et de les modifier ou encore d'en retirer si on se rend compte qu'ils ne sont plus pertinents.

Je suis d'accord avec Dubois (2003) qui mentionne que les organisations publiques devraient avoir un cadre d'imputabilité qui prenne davantage en compte les divers aspects de l'offre de services.  Le constat établi serait celui de l'insuffisance des outils de gestion actuels qui mettent l'accent sur le volume d'activités, la conformité des processus de gestion financière, l'équilibre budgétaire, mais qui ne permettent pas de rendre compte de la qualité des services rendus ni de l'efficacité des politiques et des programmes et des résultats en terme d'amélioration de santé.

"L'enjeu exprimé à cet égard est celui d'un système de responsabilité plus clair où les objectifs sont bien définis, sont réalistes par rapport aux moyens définis et où les performances sont évaluées en fonction d'un ensemble équilibré d'indicateurs pouvant prendre en compte les divers aspects de l'offre de services."  (Dubois 2003 : 57)

En effet, il faut penser les indicateurs en fonction d'objectifs clairs et cibler plusieurs dimensions de la performance.  Il est primordial d'accorder une place de choix au qualitatif.  Par ailleurs, il peut être intéressant de prévoir des indicateurs pour interpréter les résultats (facteurs de risque) et éviter les inférences simplistes.  Il faut cibler les indicateurs associés à de fortes évidences scientifiques (notamment cliniques) et faire des efforts pour assurer la fiabilité des données.  Finalement, il m'apparaît important de respecter la rigueur méthodologique requise par le développement et choisir des indicateurs parmi ceux qui ont été validés.  (Brown et al.  2005)  Peut-être que dans ces conditions, les indicateurs de performance nous permettraient d'améliorer réellement la performance de nos organisations publiques ?

BIBLIOGRAPHIE

Dubois, C.A. (2003) 

Renouveau managérial dans le contexte des services de santé : mirage ou réalité ?   Sciences sociales et  santé.  France. Vol.21 #4 p.41-71.  125 pages.  ISSN 0294-0337

Freeman, T.  (2002)

Using performance indicators to improve health care quality in the public sector : a review of the literature.  Health services management research.  Grande-Bretagne.  Vol. 15 #2 p.126-135. 70 pages.  ISSN 0951-4848

Saba et al. (2008)

La gestion des ressources humaines.  Tendances, enjeux et pratiques actuelles.  4e édition.  Éditions du renouveau pédagogique in.  Ville Saint-Laurent.  Qc.  654 pages.

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