# 2-VLavoie URGENT Quand le gouvernement délègue
Quand le gouvernement délègue…
L’État est investi de plusieurs pouvoirs législatifs et de responsabilités envers sa population. D’ailleurs, on a tendance à exiger de l’État qu’il endosse ces pouvoirs et ces responsabilités et on lui demande d’en relever davantage au gré des problématiques qui se définissent dans le temps. Ces demandes relèvent parfois des demandes de la population, d’entreprises, de groupes de pression, d’organismes qui défendent les intérêts d’une clientèle vulnérable. La culture politique du Québec fait en sorte que l’on considère ultimement que l’État doit veiller à tout pour protéger et servir ses citoyens. L’État, dans l’avalanche des responsabilités qui lui incombe, n’a pas de modèle d’intervention unique et de structures administratives uniformes et, cela, dans la perspective de mieux répondre aux besoins de la population et d’offrir des services de proximité efficaces et accessibles.
Or, pour demeurer proche de la population et offrir des services de proximité, l’État délègue parfois une grande part de ses responsabilités. Si les structures diffèrent, il y a toutefois certains lieux communs. Ainsi, on analysera les modèles de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) et le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Ces deux ministères, tributaires de fonds attribués à même l’enveloppe publique, ont des structures qui diffèrent et qui se ressemblent. En effet, dans les deux cas, les employés ne relèvent pas du ministère du Trésor. Ils sont employés dans des organisations locales, des hôpitaux ou des écoles, lesquelles sont gérées par des entités régionales, les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) ou les Commissions scolaires, qui sont soumises à un conseil d’administration nommé ou à un conseil des commissaires élus. À l’intérieur de ces deux structures, les décisions sont prises à différents niveaux, soit dans les écoles par le conseil d’établissement soit dans les hôpitaux. Les modèles de gouvernance et les structures administratives, sans être les mêmes, se ressemblent à plusieurs égards. Et, dans les deux cas, ils sont soumis à un ministère qui établit les règles de fonctionnement, les lois auxquelles les organisations doivent se conformer et les pratiques garantissant la sécurité et l’accès au public.
Toutefois, dans le cas du ministère de la Santé et des Services sociaux, une structure parallèle existe. Celle-ci est assurée par des organismes communautaires à but non-lucratif (OBNL) chargés d’offrir des services complémentaires à la population. Par exemple, on compte des maisons de répit, des centres de soutien aux nouveaux parents, des centres offrant des équipements médicaux pour assurer la mobilité, des centres de soutien aux familles, etc. Ce réseau ne fait pas partie officiellement du MSSS ni des CSSS, mais il est financé en majeure partie par le CSSS. L’organisme communautaire est catégorisé comme ressource externe. Il obtient le financement pour un service offert directement à la population. Les CSSS déterminent les services et les organismes mandataires. Au gré des besoins et de la clientèle, l’offre de service souhaité est revu et les objectifs quantifiables réévalués. Or, les services offerts, bien qu’ils soient soutenus par un processus de reddition de compte, ne sont pas toujours évalués. La gestion des organismes mandataires est assurée par un conseil d’administration dont la composition échappe entièrement au ministère et à ses fonctionnaires. Depuis 2004, le MESS souhaite faire signer une convention d’entente aux 3000 organismes mandataires du Québec en vertu du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) au Québec une proposition de convention. Celle-ci « accorderait aux fonctionnaires du ministère des pouvoirs unilatéraux leur permettant d’exercer un contrôle sur les pratiques des organismes communautaires; ces fonctionnaires pourraient décréter la diminution, voire l'arrêt, du financement des organismes sans même les informer ni leur offrir de recours pour contester. Des décisions pourraient être basées sur des interprétations et des jugements de valeurs personnels. Son application pourrait mettre en péril des organismes dont les actions ou les revendications pourraient être considérées comme étant « trop dérangeantes » (Communiqué de presse du 20 janvier dernier, Coalition des tables régionales d’organismes communautaires (CTROC). En janvier 2012, la ministre déléguée aux Services sociaux, Dominique Vien, a proposé une cinquième mouture de l’entente. Les organismes sont présentement consultés, mais les tables de concertation proposent déjà à leurs membres de refuser la convention à nouveau. Les organismes se battent pour tenir le pouvoir public à l’écart des décisions et des façons de fonctionner des organismes. On lutte donc pour éviter le contrôle de l’État. On se défend du côté des organismes communautaires qu’on collabore déjà très bien en acceptant la reddition de compte, laquelle contient quantité d’informations sur la prestation de service et la clientèle rejointe. Le débat des organismes communautaires rejoint celui des organismes non-gouvernementaux : sont-ils des organismes du gouvernement?
Dans la perspective où le gouvernement gère les fonds publics selon les décisions du Conseil du Trésor, que les organismes à but non lucratif mandataires sont financés en totalité par des fonds public et que le pouvoir de dépenser du gouvernement est soumis au contrôle du vérificateur financier, il y a lieu de se questionner sur le pouvoir ainsi accordé aux organismes communautaires. Il est indéniable que ces organismes servent le bien public. Toutefois, il y a lieu de se questionner sur la délégation du pouvoir et sur le contrôle de l’État sur les activités liées à ces fonds. La délégation de fonds aux organismes communautaires ne permet pas au ministère de s’ingérer dans la gestion des fonds, la gestion des organismes et dans la gouvernance, pouvoir qu’il tente de reprendre par le biais de la convention proposée et pouvoir que les organismes du milieu lui refusent catégoriquement. On veut profiter des fonds et des programmes qu’on peut offrir à sa clientèle, mais on ne veut pas rendre de compte à l’État. Il s’agit là d’une exception dans la structure gouvernementale. Le monde communautaire est devenu une structure d’État qui échappe au contrôle de l’État.
Par ailleurs, le modèle est exporté à d’autres ministères, notamment au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC). Celui-ci est en phase de transition puisque sa structure et la délégation des responsabilités sera opérationnelle à très court terme, soit d’ici juin 2012. Cette transition a été annoncée en février aux organismes communautaires mandataires. D’un ministère qui gérait l’immigration et les immigrants – en offrant notamment des mesures d’installation des nouveaux arrivants, de la francisation, des ateliers favorisant l’intégration au marché du travail québécois, en favorisant les activités liées à la régionalisation – à un ministère de l’immigration. Selon la ministre Kathleen Weil, ce signifie que tous les services directs à l’individu, autres que ceux reliés directement à l’immigration ou au statut de réfugié, seront délégués aux organismes communautaires. Plusieurs services étaient déjà délégués à ces organismes, mais on investira massivement dans ce modèle d’ici juin 2012 afin d’effectuer le virage sur une très courte période de temps. On est déjà à préparer un processus de certification des organismes autorisés à donner les services directement à la population. Le lien sera établi dès l’arrivée à l’aéroport d’un nouvel arrivant. En effet, la personne immigrante sera référée à un centre communautaire à proximité du lieu où il s’installera à Montréal. On veut ainsi favoriser les services de proximité. La table de concertation pour les immigrants et personnes réfugiées (TCRI) rejette déjà le modèle adopté pour le ministère. Un des arguments qui sont mis de l’avant est que les organismes communautaires ne peuvent accueillir, en termes physiques et en termes de ressources, les quelques 40 000 immigrants qui s’installent annuellement à Montréal. La refonte de la structure et des activités déléguées par les MICC ressemble étrangement au modèle du MESS. Le processus de certification des organismes est instauré comme mesure de contrôle du financement et de la prestation de services du MICC.
S’assure-t-on suffisamment que cette structure parallèle, qu’on pourrait qualifier de structure gouvernementale, n’échappe pas au pouvoir de l’État? Pourquoi créé-t-on une structure parallèle pour s’acquitter des tâches du ministère à l’égard de la population des personnes immigrantes? Comment s’assurer que la répartition des ressources soit équitable sur le territoire? Les organismes bien établi qui ont une longue expérience avec la clientèle seront-elles favorisées au détriment d’autres organismes, plus petits, ayant peu d’expérience, mais offrant des services bien adaptés et obtenant d’excellents résultats? Le monde communautaire étant éparpillé, l’État peut-il l’obliger à instaurer une instance centralisée?
Enfin, on ne saurait passer sous silence que ces organismes communautaires et les différentes tables de concertation auxquelles elles siègent (par exemple la TCRI) constituent aussi des groupes de pression qui revendiquent et défendent les droits d’une clientèle particulière. Ces organismes ne sont pas soumis aux règles d’un ministère et ne respectent pas certains principes élémentaires de l’État comme l’accès pour tous, une responsabilité et un champ d’action bien défini et une gouvernance transparente qui doit rendre des comptes. Ce ne sont pas des organismes gouvernementaux dans les faits, mais ils le sont dans l’action. Le monde communautaire l’admet lui-même: il est le sous-traitant de l’État.
(Lecture complémentaire : L’Action communautaire : des pratiques en quête de sens d’Henri Lamoureux