#1 ??-Julien B.-Mauvaise réputation de la fonction publique: des boucs émissaires pratiques
Nous avons souvent vu, dernièrement, à quel point la fonction publique a mauvaise presse; il suffit de lire les journaux pour s'en convaincre. Les détracteurs sont multiples et nombreux, mais leurs dynamiques et leur motivations ont changé au courant des dernières années. On peut penser que les divers courants faisant la promotion "d'un État plus petit" sont des courants à la mode, cependant il faut constater que la tendance est généralisée dans la plupart des nations du monde, tout comme cette même tendance rejoint la majorité des acteurs du paysage politique, social et économique de notre société.
C'est dans ce dernier point qu'il faut insister: le consensus apparent (sans être nécessairement effectif) est nouveau au Québec, dans l'optique où, sous l'angle de la communication, la fonction publique a traditionnellement été le levier sur lequel les Québécois se sont appuyés pour connaître leur ascension à la modernité. Certains diront qu'elle n'est plus aussi nécessaire qu'alors, alors que d'autres diront que les paramètres de la modernité se passe aujourd'hui de l'interventionnisme. Je laisse ce débat à d'autres, pour la simple raison que celui-ci, à la mode devons nous souligner, n'est pas un débat de fond sur la fonction publique mais plutôt des perceptions tentant de s'approprier d'un consensus populaire ou d'illustrer une logique sociale à un phénomène qui, en fait, n'est pas l'apanage, justement, de la population.
Ce qui frappe le plus dans l'espace public est bien cette appropriation des acteurs qui gonfle la perception que la fonction publique est lourde, inefficace et parfois même inutile. La nouveauté dans cette dynamique est le grossissement du phénomène par divers intérêts - et non par souci collectif désintéressé. Un peu comme une bulle, en fait, où tous ceux qui la gonflent en tirent des avantages.
La réalité électorale des partis politiques en est le meilleur exemple. N'y a-t-il pas, en effet, un avantage électoral a affirmer à la population qu'ils n'en ont pas assez pour leur argent, qu'il faudrait sabrer dans des pans entier de la fonction publique et qu'il serait avisé de transposer les formules du privé? C'est évidemment un discours d'une démagogie incroyable puisqu'il n'y a jamais personne d'autre que les citoyens qui paient, à la fin de tous les discours, pour des services. Mais heureusement, les partis politiques en mode électoral font beaucoup de promesses qu'ils s'empressent d'oublier lorsqu'ils font face à la musique.
Le gouvernement, jamais très loin de la réalité électorale, est heureusement plus nuancé. Lorsqu'il s'attarde de plus près à l'appareil étatique il réalise bien que les programmes jugés inefficaces sont bien essentiels, qu'il n'y a pas de réel champs d'action de l'État qui soit véritablement inutile, ni plus qu'il puisse espérer faire mieux et à moindre coût pour les contribuables. En fait, la seule chose qui peut lui être intéressante dans le discours ambiant, c'est qu'il peut importer des pratiques du privé. Entendons-nous: elles ne sont pas toutes malsaines. Mais elles cachent un aspect important: ce qui est rentable et payant pour le budget du gouvernement ne l'est pas nécessairement pour les citoyens. C'est la venue de l'utilisateur-payeur: et dans la perception du citoyen, il s'agit de la chose à faire. Pourquoi le gouvernement dirait haut et fort à la population qu'il lui refile la facture?
Et puis les campagnes ont besoin d'être financées; qui de mieux que ceux, justement, qui espèrent un jour prendre le relais de l'administration publique dans la lucrative offre de services? Laissons la question éthique à d'autres, mais voyons plutôt comment le lobby des élites économiques rejoignent bien l'intérêt à dénigrer la fonction publique. Il n'est pas nouveau que ces élites militent pour un désengagement de l'État par divers forums (lorsqu'elles ne sont pas propriétaires de médias comme nous le verrons plus loin). La confusion est forte chez la population, car s'ils semblent parler de la même chose (la liberté, le paiement au mérite) ce n'est pas du tout le cas. La liberté, pour les citoyens, est rattachée à l'égalité. Chacun a une chance égale de réussite, bref, chacun est libre de son destin économique. Or la liberté, pour l'élite économique, c'est bien plutôt la liberté de faire des affaires; il va sans dire que le gouvernement est dans leur chemin et brime cette liberté. Différence subtile, mais ô combien fondamentale lorsqu'on réalise ses effets sur la réputation des fonctionnaires et des civil servants.
Ce qui amène à parler des médias eux-mêmes, qui relaient ces messages allant tous dans le même sens. Mais les médias ont toujours comme objectif la vente de copie. Car si certains l'oublient, les médias ne sont toujours rien d'autres que des entreprises qui vendent deux choses: la copie ou l'abonnement comme tels, et l'attention du public à des publicitaires. Traquer la fonction publique est une stratégie rentable pour plusieurs raisons: la nouvelle se fait à moindre coût puisque facile d'accès, les publicitaires sont heureux et bien d'accord avec cette pratique, et enfin, on vend plus de copie. La grande question est: pourquoi? La réponse se décale en multiples facettes de ce qu'on appelle le populisme et la démagogie. On utilise l'écoeurement de la population à payer des taxes en leur promettant des économies, on attise ce sentiment par la mise en lumière d'évènements fâcheux de l'administration publique en les présentant comme la norme, et on nourrit la perception que les fonctionnaires sont des privilégiés - voilà une belle recette qui, appliquée à un autre groupe social, serait sans doute définie comme xénophobe.
Nous assistons donc à un système injustifié qui mine la réputation de l'administration publique et qui s'est organisé par opportunisme et intérêts particuliers. Cela ne veut pas dire que la fonction publique n'a rien à se reprocher: au contraire. Cependant, ce n'est pas parce qu'elle imparfaite qu'elle mérite un tel traitement. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'un membre d'une organisation a commis un méfait qu'il faille s'acharner sur la raison d'être de son existence - au même titre qu'on ne va pas attaquer un groupe ethnique ou religieux par opprtunisme et par la culpabilité marginale de certains de ses membres.
Pourquoi la fonction publique ne se défend pas? Parce que c'est sa nature. Elle doit demeurer loyale et ne pas nuire à son gouvernement. Elle doit s'extraire des débats publics car elle est, justement, apolitique. Mais elle a un devoir: celui de la transparence. Il ne s'agit pas de répliquer à ses détracteurs; mais il s'agit plutôt de mieux faire connaître le rôle et la pertinence de son existence, malheureusement méconnu, malgré la quantité d'acteurs sociaux qui s'intéressent à l'administration publique pour les mauvaises raisons.
Julien Bousquet
Commentaires
Un petit texte écrit sur une formule qui se rapproche plus de l'essai que du travail universitaire classique, comme on le voit sur les blogues. Vous remarquerez qu'il n'y a pas de notes de bas de page; simplement parce qu'il s'agit essentiellement de mon (humble) analyse personnelle d'un phénomène. Évidemment, ma formation académique précédente a rendu possible une telle analyse. Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, non pas sur le sujet traité mais sur les théories de l'espace public, le rôles des acteurs publics dans le discours politique ou encore sur le phénomène de Boucs-émissaires peuvent me contacter. Il me fera plaisir de vous dirigez vers des lectures appropriées.
*diriger
Effectivement, nous sommes dans une période où le courant actuel est aux états plus petits et surtout lorsque nous sommes en période électorale. Les médias et les lobbies économiques entretiennent le mythe que tous les inconvénients actuels dans la société viennent du fait que l’administration publique est trop grosse et qu’il y a beaucoup trop de bureaucratie. C’est tellement populaire de dénigrer l’administration publique, la privatisation semble pour ces acteurs la seule option possible et comme par hasard cette alternative favorise leurs propres intérêts. Malheureusement la perception populaire prend souvent le dessus sur la réalité.