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Augmentation des « entrées par effraction politique » au Canada

par Francis Brown, étudiant à la maîtrise en administration publique, ENP-7505, Mardi soir.

Délais irréguliers du traitement des demandes d’accès à l’information, censure, diffusion d’informations personnelles, congédiements et nominations partisanes, force est de constater que les cas d’ingérence et d’« entrées par effraction politiques »  dans notre système gouvernemental fédéral augmentent ces dernières années. Actuellement, les ministres Christian Paradis et Jean-Pierre Blackburn se retrouvent sous le feu des projecteurs: le premier esquive l’idée d’une quelconque responsabilité dans les interventions de son ministère dans le processus d’accès à l’information, et le second promet tel un bon père de famille de chauffer les fesses des fonctionnaires ayant osé faire circuler des renseignements personnels et hautement confidentiels d’un militant destinés à un ministre. Dans le coin gauche, la censure des informations gouvernementales. Dans le coin droit, un zèle très indiscret pour mieux informer les ministres. Et au centre de l’arène, ce sont nos institutions qui reçoivent les coups.

Les deux cas susmentionnés partagent la même caractéristique d’entacher la qualité de la fonction publique et ce, par l’utilisation diffuse des responsabilités dites ministérielle et administratives, qui mine par la même occasion les relations entre le politique et l’administratif.

Dans le cas de Christian Paradis, il demeure évident que la faute incombe à son personnel politique et la récente démission de M. Togneri tend à le confirmer. Suivant le principe de la responsabilité ministérielle selon lequel un ministre est le seul tenu de répondre de son ministère (Mercier, 2008, p.54), M. Paradis devrait pleinement assumer la responsabilité et faire amende honorable en cherchant à mettre de l’ordre dans ses rangs. En décidant il y a quelques mois que seuls les ministres devaient rendre des comptes en comité parlementaire et non plus le personnel politique, le Bureau du premier ministre envoyait le message que le concept de responsabilité ministérielle était renforcé. (Sur le concept de responsabilité ministérielle, je vous invite à lire ce billet-ci et ce billet-là, tous deux publiés sur ce blogue par de savants et prestigieux collègues.)

Le ministre Paradis s’en remet à la Commissaire de l’information et à l’attente de ses recommandations pour aller de l’avant. En renvoyant la balle de ce côté, il se désiste de sa propre responsabilité en tant que ministre et « normalise » - voire judiciarise – le problème. Le projecteur est alors redirigé vers une administration publique déjà débordée, à qui incombe maintenant la responsabilité de faire le ménage à sa place.

Analysons maintenant cette situation avec le regard de « monsieur-madame-tout-le-monde ». En voyant les médias décrier haut et fort un acte possiblement illégal de leur gouvernement, les sourcils frondent. En écoutant le ministre responsable et intrinsèquement lié à l’affaire répondre qu’il s’agit d’une simple « erreur de jugement », d’un triste événement isolé et qu’il suffit d’attendre les recommandations d’une commissaire pour régler le problème (Castonguay, 2010), le citoyen se trouve perdu dans les méandres administratives, les délais de réponse, les recommandations,… Bref, rien de concret pour s’assurer que le gouvernement fonctionne selon les principes établis.  C’est généralement à ce moment où l’opinion publique a tendance à lancer la serviette.

Dans le cas du ministre Blackburn, nous sommes en droit de nous demander ce que le dossier médical d’un militant faisait entre les mains des ministres et fonctionnaires depuis des années. Seulement, le ministre Blackburn a réagi d’une toute autre façon en assumant le caractère embarrassant du fait que des informations délicates et confidentielles aient pu circuler au sein de son ministère. Certes, l’espace temps lui est plus favorable (puisqu’il est possible de dire que l’erreur a été commise il y a plusieurs années) et il serait absurde de désigner d’office un coupable à ce stade-ci de l’affaire.

Or, la stratégie de M. Blackburn laisse à croire que les fonctionnaires sont déjà pointés du doigt : il a annoncé qu’une enquête était en cours afin de trouver le fonctionnaire fautif et que les modalités de travail de ces derniers seront revues. Il priorise donc une initiative susceptible de le favoriser à court terme, caractéristique essentielle d’un élu. (Parenteau, 1996, p. 255).

Analysons maintenant la situation selon le regard de « monsieur-madame-tout-le-monde ». En voyant les médias décrier haut et fort un acte possiblement illégal de leur gouvernement, les sourcils frondent. Une fois de plus.  En voyant le ministre décrier lui-même la situation, la qualifier d’« embarrassante » et de « grave, très grave » et l’entendre dire que des mesures sont présentement mises en place pour trouver les fonctionnaires coupables de ces erreurs (Radio-Canada, 2010), c’est la carte rassurante qui est joué, alimentant toutefois cette perception négative envers les fonctionnaires.

Bien entendu, cela laisse l’impression à la population que le ministre prend ses responsabilités en cherchant le coupable. Seulement, le ministre oublie que quelqu’un, quelque part, a demandé ces informations et qu’elles ont circulé pendant des années, entre autres au sein du personnel politique du ministère. En pointant tout de suite les fonctionnaires comme responsables de la bourde, M. Blackburn brandit le concept d’imputabilité des fonctionnaires et dirige l’attention vers eux, esquivant lui aussi le rôle possible du personnel politique et des ministres.

Dans les deux cas, nous notons un transfert de responsabilité, de ministérielle à administrative (imputabilité), créant une certaine confusion constitutionnelle (Bourgault, 1997, p.33-35). Qui plus est, le développement du concept d’imputabilité, dans le système canadien, rend la fonction publique nerveuse et plus méfiante envers les élus, affectant ainsi la qualité de la coopération dans le travail ministériel (Mercier, 2008, p.55). Selon Bourgault, « un fonctionnaire peut devenir le bouc émissaire pour une politique qui a mal tourné » (Bourgault, 1997, p. 25) et c’est précisément le risque dans ces deux cas. Le transfert, parfois très subtil, de la responsabilité ministérielle vers la responsabilité administrative en revient à brandir au-dessus de la tête des fonctionnaires une épée de Damoclès, puisque, s’ils ne sont pas responsables de l’erreur, le fardeau de la preuve leur incombe, et s’il y a apparence de faute, tous les moyens sont solidement mis en place pour les pointer du doigt.

Ces tactiques mises en place pour affronter les tempêtes politiques mettent à mal l’ensemble des institutions politiques et la qualité de la démocratie dans son ensemble. Cette obsession à jouer sur une définition diffuse des responsabilités alimente en retour, de la part des citoyens, un mécontentement envers l’appareil gouvernemental, mécontentement qui se transforme trop souvent en cynisme envers les personnes qui se dédient au service public.

 

Références :

BOURGAULT, J. (dir.), DEMERS, M. et C. WILLIAMS (1997). Administration publique et management public – Expériences canadiennes, Québec, Les publications du Québec, pp.17-41.

CASTONGUAY, Alex. « Ingérence systématique au bureau de Paradis », Le Devoir (Montréal), 2 octobre 2010, http://www.ledevoir.com/politique/canada/297387/ingerence-systematique-au-bureau-de-paradis, page consultée le 3 octobre 2010.

MERCIER, J. (2002). L’administration publique, de l’école classique au nouveau management, Québec, Presses de l’Université Laval, 518 pages.

PARENTEAU, R. (dir), (1996). Management public, comprendre et gérer les institutions de l’État, Sainte-Foy, PUQ, pp. 249-299.

Radio-Canada. « Sean Bruyea reçoit des excuses », 25 octobre 2010, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2010/10/25/003-bruyea-excuses-blackburn.shtml, page consultée le 25 octobre 2010.

 

 

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