Nos ministres sont-ils responsables ?
Auteur : Maxime Giguère, étudiant à la maîtrise en administration publique- ENAP (cours du mardi soir)
Le journal La Presse du 18 novembre 2009, nous apprenait que le Parti québécois réclamait la démission de deux ministres libéraux, après le dépôt du rapport du vérificateur général, car ils seraient responsables d'irrégularités dans l'octroi de contrats publics au ministère des transports. Vous savez qu'il n'est pas rare d'entendre un député de l'opposition demander au Premier ministre le rappel à l'ordre ou la démission de son ministre, lorsque sa confiance est mise en doute. Cette demande légitime a pour objectif de déstabiliser le gouvernement en place, de miner sa crédibilité et de gagner des points dans les sondages afin de se faire élire aux prochaines élections. Ce stratège, vu aussi comme une forme de contrôle sur l'exécutif, est connu de tous les députés de l'Assemblée nationale québécoise et du Parlement canadien.
Lorsqu'un député accepte l'offre du Premier ministre de gouverner un ministère, c'est pour lui une réelle promotion. Il aura désormais le pouvoir de poser des actions, de prendre des décisions, d'élaborer et de proposer des projets de lois et finalement, de laisser sa marque sur le plan politique. Ce nouveau statut amène toutefois un lot de responsabilités et d'obligations.
Il devrait, tout d'abord, s'engager à respecter l'un des principes fondamentaux de la gouvernance, soit la responsabilité ministérielle. Selon Mercier, c'est le principe selon lequel « un ministre est entièrement et seul responsable des actes de ses fonctionnaires devant le parlement ». (Mercier 2008, p. 265) Bref, il est imputable devant l'Assemblée ou le Parlement et les commissions. Il est aussi le seul responsable de la mission et des lois qui sont imparties au ministère. Chaque loi votée par le législatif est associée à un seul ministère. En résumé, le pouvoir émane de la Couronne, il est exercé par les ministres qui sont responsables envers le Parlement.
Il est louable de questionner ce principe de responsabilité ministérielle, si l'on tient compte que ses fonctionnaires sont répartis d'un océan à l'autre du pays ou aux quatre coins de « La Belle Province ». Imaginez aussi toute la pression subie par le nouveau député promu ministre, si l'on considère qu'il faut plus d'un an pour comprendre le fonctionnement de son ministère. Alors, comment pouvons nous le rendre responsable des fautes commises par ses fonctionnaires ?
Il est important de mentionner que, historiquement, ce principe avait été pensé pour des actes politiques centralisés, tels que des conseils données au Roi. La croissance progressive de la taille de l'État, causée en partie par son appareil administratif, a donné naissance à des actes qui sont davantage administratifs, donc décentralisés et nombreux.
Pour l'aider à s'initier à son ministère, à répondre aux diverses questions de l'opposition et de la population et à gouverner, le ministre nomme des sous-ministres ou utilise celui de son prédécesseur. Ils sont, en règle générale, compétents, qualifiés et neutres sur le plan politique. Plus précisément, ils jouent un rôle de gestionnaire, de concepteur politique, de manager gouvernemental et de radar politique. Ils sont eux aussi imputables. « Ce principe veut que le fonctionnaire soit obligé de rendre des comptes à ses supérieurs (le ministre) et aussi, éventuellement au Parlement et à l'exécutif. » (Mercier 2008, p. 265) Les sous-ministres ne sont pas à l'abri des erreurs de parcours. C'est que que La Presse a laissé savoir au mois de janvier dernier. Les trois partis de l'opposition de la Chambre des communes avaient demandé la démission du Ministre des Ressources naturelles, Christian Paradis, parce que des employés supérieurs de son ministère, auraient fait de l'interférence dans des demandes d'accès à l'information. Comme dans ce cas-ci, les fautes reprochées peuvent être assez répréhensibles pour licencier un sous-ministre, mais pas suffisantes pour remettre en doute la confiance du ministre. Cependant, la responsabilité du ministre ne se veut pas amoindrie, car c'est le ministre, lui seul, qui prend la décision finale et signe les documents officiels. Il doit savoir tout ce qui se passe dans son ministère.
Selon le Bureau du Conseil privé du Canada (BCP), qui conseille et soutient le Premier ministre et le Cabinet, nous devons nuancer la rigidité de cette responsabilité, de par sa subjectivité, car elle est tributaire de la volonté de la Chambre ou de l'Assemblée, de tenir le ministre responsable. Toujours dans l'affaire du ministre Christian Paradis, les parties d'opposition « Libéraux, néo-démocrates et bloquistes affirment que le gouvernement utilise le principe de responsabilité ministérielle uniquement quand cela fait son affaire. »
À cette obligation, s'ajoute celle de la responsabilité personnelle du ministre. Il doit aussi rendre des comptes sur ses propres actions individuelles. En avril dernier, le gouvernement Charest a du demander la démission de son ministre de la famille, Tony Tomassi, parce que des allégations sérieuses de favoritisme au profit des donateurs du Parti libéral du Québec pesaient contre lui. Malgré tout, s'il est rare qu'un ministre soit démis de ses fonctions, c'est davantage l'effet de ses erreurs sur sa crédibilité et, par le fait même, celle de son parti qui est comme une sanction. Ce qui est non négligeable, surtout si l'on souhaite rester longtemps en politique.
La responsabilité du ministre ne s'arrête pas là ! Après sa nomination, le nouveau ministre sera invité à se présenter au Conseil des ministres et à tous les comités ministériels ou commissions qui l'exigent. C'est à cette occasion que, à titre de conseiller privé du Premier ministre, il pourra poser des questions, défendre ses idées sur les sujets du jour et présenter ses projets de lois. À la sortie de cette réunion secrète et confidentielle, il ne pourra toutefois pas partager avec la presse les désaccords survenus ou même affirmer son propre désaccord sur les décisions adoptées par le parti. Le ministre doit être solidairement responsable des décisions prises par le Conseil des ministres et sur toutes les affaires gouvernementales. C'est la base même du principe de la solidarité ministérielle. Il lui sera toutefois permis, par solidarité, d'agir ou de répondre en Chambre ou à l'Assemblée au nom d'un autre ministre. Et ce, pas uniquement sur ses propres dossiers. Cette responsabilité doit par exemple être respectée, lors d'une mesure fiscale ou d'une législation et même lors d'un vote de confiance en vers son propre gouvernement. Sans quoi, le ministre pris à tort ou en défaut devra démissionner du Cabinet sur le champ.
Si un ministre venait à s'écarter légèrement de ce principe, il se peut que, lors du remaniement ministériel, il ne soit pas appelé par le Premier ministre pour diriger l'un ou l'autre des ministères. Si le ministre tient à garder sa fonction ou prétendre à obtenir un ministère d'importance, (finances, santé, éducation), il a intérêt à être solidaire au Cabinet et à respecter à la lettre la ligne de partie. Sans quoi, son mandat peut s'avérer bien long dans le coin sa « Chambre ».
Finalement, la responsabilité ministérielle, personnelle, l'imputabilité des ministres et la solidarité ministérielle assurent, en partie, la stabilité du gouvernement. Le gouvernement élu ne pourrait survivre à des démissions perpétuelles ou aux contestations des décisions du parti par ses propres ministres. La population et les fonctionnaires perdraient toute confiance envers l'appareil politique.
À la question, est-ce que les ministres sont responsables ? Je répondrai, oui !
Qu'en pensez-vous ?
Références :
TREMBLAY, Pierre P. (2009). « L'État administrateur : modes et émergences », Québec, Presse de l'Université du Québec, p. 89-118.
MERCIER, Jean (2008). « L'administration publique : De l'École classique au nouveau management public », Québec, Les presses de l'Université Laval, p. 239-271.
Bureau du Conseil privée du Canada, (Page consultée le 15 octobre 2010). Site du Bureau du Conseil privé [en ligne], http://www.pco-bcp.gc.ca/index.asp?lang=fra&page=information&sub=council-conseil&doc=description-fra.htm
L'opposition réclame la tête de Christian Paradis, (Page consultée le 12 octobre 2010). Site du Journal Le Soleil [en ligne] http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201010/01/01-4328795-lopposition-reclame-la-tete-de-christian-paradis.php
Le PQ réclame la démission de MacMillan et Boulet, (Page consultée le 12 octobre 2010). Site du journal Le Droit [en ligne] http://www.cyberpresse.ca/le-droit/actualites/actualites-nationales/200911/18/01-922859-le-pq-reclame-la-demission-de-macmillan-et-boulet.php
Charest largue Tomassi: une controverse de trop, (Page consultée le 12 octobre 2010). Site du journal Le Presse [en ligne] http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201005/06/01-4277982-charest-largue-tomassi-une-controverse-de-trop.php
Commentaires
Nous devons bien entendu affirmer que les ministres doivent prendre la responsabilité des actions de leurs ministères. C'est le principe même de la démocratie et du pouvoir "par le peuple, pour le peuple". Seulement, en ces temps où les ministères changent et sont de plus en plus complexes, il est de plus en plus difficile d'être au courant de TOUS les agissements des fonctionnaires. C'est pourquoi le concept d'imputabilité et de responsabilité administrative est maintenant si présent. Il est évident que, sur papier, l'imputabilité est un principe de bonne gouvernance visant à éviter des abus de pouvoir et des écarts de conduite. Le Canada ne pourrait faire l'éloge de la bonne gouvernance à l'étranger et se positionner comme un exemple à cet égard sans avoir lui-même un système de reddition de compte de ses fonctionnaires.
Comme le disait Bourgault (Bourgault, 1997, pp.25-35), le développement de l'imputabilité des fonctionnaires crée une certaine "confusion constitutionnelle", puisque la frontière entre la responsabilité ministérielle et la responsabilité administrative est de plus en plus floue. Rajoutons à cela le fait que ce sont les ministres, et non les fonctionnaires, qui traitent avec les médias. On sait qu'en politique, l'information est le nerf de la guerre!
Il est maintenant possible de porter la faute vers les fonctionnaires ou encore, comme c'est le cas pour le ministre Paradis, de leur demander de travailler à trouver des coupables et proposer des solutions. Dans les cas d'ingérence du bureau de M. Paradis, il n'a jamais été question du rôle des fonctionnaires ou du sous-ministre dans la censure de documents, mais uniquement de celui des employés politiques.
Le ministre Paradis esquive donc sa propre responsabilité à "mener la barque" en dirigeant le projecteur vers la Commissaire à l'information. Alors quand le Bureau du Conseil privé soutient qu'il faut "nuancer" la responsabilité ministérielle selon le vouloir de la chambre des communes, il faut porter une attention particulière sur la façon dont la nuance s'applique. Trop souvent, elle met les institutions encore plus dans l'embarras et creuse le fossé entre les institutions et les citoyens...