MOURIR DANS LA DIGNITÉ
Réflexion sur la question de mourir dans la dignité
Préparé par NL cours Enap 7328, Gr : 21 Automne 2010, Montréal
Cette réflexion portera sur la question de mourir dans la dignité. La question de mourir dans la dignité est d’actualité et suscite beaucoup de débat dernièrement. Elle a été portée récemment au public par la Commission de la Santé et des services sociaux du Québec en vue de réfléchir aux pistes d’actions proposées dans les meilleures conditions possibles. Elle nous renvoie à des enjeux aussi fondamentaux que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assistée, mais plus globalement aussi à des notions telles que, l’acharnement thérapeutique, le refus et l’arrêt de traitement, les soins palliatifs, la sédation palliative voir même terminale. Comme l’affirme les auteurs du document de consultation de cette Commission[1] : « les valeurs de dignité, d’autonomie de la personne, de compassion, de respect du caractère sacré de la vie s’entrechoquent, et nous amènent parfois à remettre en question nos convictions les plus profondes» (p. 9). Après avoir présenté les idées forces du document de consultation préparé par la Commission auprès d’experts, je ferai part de mon point de vue personnel sur cette question tout en faisant des liens avec les enjeux éthiques et de gestion relatifs à l’imputabilité.
Le code civil du Québec, qui a compétence en matière de santé, encadre le consentement aux soins. Celui-ci permet à une personne de refuser un traitement même si cette décision peut entraîner la mort (p. 12). Il permet aussi aux proches de prendre une telle décision si la personne est inapte. (p. 13). De plus, les soins palliatifs ont vu le jour il y a plus de quarante ans pour soulager ou offrir des soins de confort à la personne en fin de vie. Dans certains cas, les soins accordés (médication) peuvent avoir pour effet d’abréger la vie. Quant à l’euthanasie (provoquée par le médecin) et le suicide assisté (provoqué par la personne elle-même sous prescription médicale), ceux-ci ont pour but de provoquer la mort. Le code criminel du Canada prévoit qu’il s’agit d’actes criminels. Quelques pays ont rendu ces pratiques légales sous certaines conditions (Belgique, États-Unis (Washington, Oregon), Luxembourg et Pays-Bas).
Les opposants à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté formulent les arguments suivants : appréhension d’une dérive avec le temps, négation du caractère sacré de la vie, vulnérabilité de la personne, relation de confiance ébranlée avec le médecin, baisse potentielle de l’offre de services en soins palliatifs et du développement de la recherche dans ce domaine.
Quant à ceux qui revendiquent la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, leurs arguments sont les suivants : respect de l’autonomie, de la dignité humaine et du droit de décider pour soi, élimination des pratiques clandestines, conformité à la réalité de la pratique juridique dont les sentences sont, soient légères ou symboliques, sentiment de confiance accru pour ceux qui craignent l’acharnement thérapeutique. Par ailleurs, bon nombre de ces personnes font une distinction entre la pratique de l’euthanasie et celle du suicide assisté en étant ouvertes pour la première mais plus réservées pour la seconde (p.17-19)
Pour ma part, je suis de ceux qui voient d’un bon œil la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, même si j’éprouve pour ce dernier plus de réserve. J’y suis favorable dans la mesure ou ces pratiques sont encadrées médicalement, que la situation de la personne est sans issue, que la souffrance physique ou psychologique est constante et insupportable et avec, bien sûr, le consentement de la personne ou de ses proches en cas d’inaptitude.
C’est à ces conditions, à mon avis, qu’il sera possible de se prémunir contre toutes dérives potentielles, qu’il s’agisse de rendre le suicide trop facilement attrayant (ou moins culpabilisant) à toutes personnes ayant des idéations suicidaires ou qu’il s’agisse, à l’autre extrême, d’utiliser l’euthanasie comme solutions de rechange, voir même d’alternative aux manques de ressources en soins palliatifs.
C’est dans de telles conditions, que l’on pourra comme société, se donner les moyens de traiter avec dignité, humanisme et considération les personnes et leurs proches qui font faces à ces situations tragiques. Pourquoi les personnes dont la mort est annoncée, qui souffrent et qui sont consentantes ne pourraient-elles choisir le moment et les conditions ou elles souhaiteraient dire adieu à leurs proches?
Par ailleurs, du strict point de vue éthique, il est évident que cette question du mourir dans la dignité est au cœur de plusieurs conflits de valeurs qui nous rappelle les débats autour de l’avortement. À cet égard, je crois que l’initiative de l’assemblée nationale est heureuse et fait preuve de maturité. La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté est une question complexe et ambiguë. L’initiative permettra justement, dans un climat propice à l’échange de mettre en valeur la diversité des points de vue par delà les frontières du système de santé. Ceci ne rendra pas les choix plus faciles. Mais nous pouvons penser qu’elle permettra de les rendre mieux éclairés et plus acceptable pour une majorité. D’où l’importance d’en débattre ouvertement.
Enfin, du strict point de vue de la gestion et de l’imputabilité, il faut se donner les moyens d’en assurer le contrôle pour éviter les dérapages et continuer d’alimenter la réflexion. Il serait intéressant de ce point de vue que l’on prévoit d’ores et déjà les conditions de mise en œuvre des pratiques d’euthanasie et du suicide assisté et que celles-ci soient balisées. Ceci permettra aux responsables de son application d’en rendre compte publiquement. Dans ce même ordre d’idée, une place importante devra être faite pour le développement de la recherche dans ce domaine. Elle pourrait se faire à partir des données tirées de l’expérience tant sur les conditions de pratique de ces interventions que sur leurs effets auprès des personnes, de leur proche et plus largement du système de soins. Des échanges avec les pays déjà engagés dans cette voie suivis de moyens concrets favorisant le transfert des connaissances, la réflexion et le débat devront être prévus pour rassurer tant les opposants que ceux qui en revendiquent la légalisation. De cette façon, nous laissons toujours ouvertes la place aux débats mais à partir de données probantes.
Je considère qu’il faut aller de l’avant avec la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté mais de façon ouverte et encadrée médicalement. Plus précisément, je recommande à la Commission de :
· Rendre légal l’euthanasie et le suicide assisté
· mais encadré par la pratique médicale et à certaines conditions (consentement, pronostic de vie faible, souffrance);
· Se donner les moyens d’assurer le suivi de ces pratiques dans le respect des conditions de mise en place en s’engageant avec fermeté à en assurer le suivi auprès du public;
· Continuer d’en débattre ouvertement et de façon transparente sur la base des données probantes issues de la recherche et de protocoles d’évaluation de programmes.
[1] Assemblée nationale Québec, Commission spéciale, Mourir dans la dignité, Document de consultation, Mai 2010.