La reconnaissance des droits ancestraux des autochtones crée-t-elle deux classes de citoyens ?
En abordant le sujet on ne peut plus délicat des droits ancestraux des autochtones, je savais que je m'aventurais en terrain hasardeux. Comment émettre un commentaire posé et raisonnable sur un sujet aussi complexe, sans me heurter aux écueils de la rectitude politique, ou à ceux, encore plus risqués, du préjugé grossier?
J’ai plongé en ne retenant d’abord que la seconde partie de l’interrogation, celle qui consiste à réfléchir sur la possibilité que les autochtones constituent une deuxième classe de citoyen dans notre pays. La lecture des journaux des derniers mois, avec son lot de nouvelles toutes aussi bouleversantes les unes que les autres, concernant par exemple la disparition des femmes autochtones au Canada , les conclusions affligeantes de la Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones , et, plus récemment encore, la mort tragique de dizaines d’enfants amérindiens , ici même au Québec, me laissaient penser que notre société avait effectivement fait de ces personnes des citoyens de seconde zone. Certainement pas une seconde classe de citoyens dont on aurait pu envier les privilèges, comme le laissait sous-entendre la question, mais bien des communautés entières, laissées à elles-mêmes, auxquelles on ne parvenait pas à venir en aide correctement.
La question des droits ancestraux, me semblait-il, avec ses circonvolutions légales complexes, aurait mérité une analyse en profondeur, difficile à cerner dans un texte aussi succinct. La chose primordiale à savoir était que la reconnaissance des droits ancestraux était protégée en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, et que le principe semblait faire l’unanimité dans l’ensemble de la société civile. J’en comprenais aussi que, dans une certaine mesure, la reconnaissance des droits ancestraux permettrait aux autochtones de s’affranchir de la Loi sur les Indiens, qui les place dans une situation juridique distincte de celle du reste de la population et d’acquérir ainsi une certaine autonomie sur le plan politique et financier.
Je me demandais quand même si cette avancée pour la reconnaissance des droits des autochtones, qui datait de plus de trente ans, avait vraiment contribué concrètement à améliorer la qualité de vie de ces personnes au Canada, comme on aurait pu l’espérer.
N’avait-elle pas ouvert la porte à des revendications territoriales assurant d’importantes compensations financières à certaines communautés? N'avait-elle pas permis de négocier des ententes particulières en matière de chasse, de pêche et de piégeage? N’était-elle pas basée sur les pratiques, les traditions et les coutumes qui caractérisent la culture unique de chaque Première Nation, comme elles le demandaient ?
Peut-être pas finalement.
Était-ce parce que les droits ancestraux, tels que reconnus par la Loi, sont difficiles à faire respecter en réalité? Parce qu’il s’agit de droits collectifs liés au territoire et qu’ils ne protègent pas les droits individuels ? Parce qu’ils touchent des droits dits “existants” et qu’il est compliqué de déterminer la nature de ces droits? Était-ce dû au fait que la persistance des droits ancestraux nuit au caractère dynamique de ces droits dans leur version contemporaine et ne représente plus la réalité des autochtones d’aujourd’hui? Était-ce parce que les droits politiques, et plus particulièrement l'autodétermination, semblent aujourd’hui encore toujours inatteignables aux autochtones?
Et si la reconnaissance des droits ancestraux n’avait pas été suffisante pour améliorer le sort de ces hommes, femmes et enfants, qu’est-ce qui aurait pu permettre aujourd’hui de renverser la vapeur? Une aide économique substantielle et des redevances minières plus importantes? Un meilleur accès à l’éducation, aux services sociaux, au logement et à l’eau potable? Une meilleure valorisation des individus? Une incitation plus ferme à participer à la vie démocratique de notre pays, à voter, à s’impliquer en politique active?
En lisant les propos de Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, interviewé dans le cadre de la campagne électorale fédérale d’octobre 2015, je réalisais qu’identifier les priorités ne serait pas chose facile, puisque les autochtones eux-mêmes semblaient hésitants à le faire :
« J'ai toujours considéré que c'était une question injuste de demander aux Premières Nations de nommer une priorité parmi tant de priorités. C'est beau d'annoncer des millions en éducation, mais qu'est-ce qui arrive au niveau du logement? Qu'est-ce qui arrive en santé? Je pense que toutes ces questions-là méritent une considération. »
Les problèmes étaient multiples et je comprenais que c’était l'ensemble de nos rapports avec les Premières Nations qu’il fallait revoir, puisque le lien de confiance avait été si profondément brisé.
Ma conviction était qu’à ce stade-ci, la solution relevait autant de considérations d'ordre légal, que de notre capacité à recréer les ponts entre nos communautés.
Une seule certitude restait donc : pour éviter de créer deux classes de citoyens, il fallait maintenant faire de la question autochtone une priorité et s’assurer que chacun, de part et d’autre, fasse preuve d’une détermination urgente d'améliorer les choses. La réponse ne pouvait être édifiée que sur les bases de la tolérance et de l’inclusion.
Par Stéphanie Bouchard
Principes et enjeux de l'administration publique
Automne 2015
Publié le 21 octobre 2015
Commentaires
Une bien bonne réflexion