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stephen harper

  • Harper, le Sénat et la responsabilité ministérielle.

    Le concept de responsabilité ministérielle n’est pas méconnu pour ceux et celles qui œuvrent de près ou de loin dans la sphère politique canadienne et québécoise. En vertu de ce concept, ultimement, un ministre est responsable des actions de son ministère. Si l’on pousse la définition plus largement, dans un système parlementaire de Westminster (tel qu’au Canada et au Québec), le premier ministre est ultimement responsable de l’action de son gouvernement – et donc de facto de ses ministres. Mais la question se pose, le premier ministre est-il responsable des actions des sénateurs qu’il nomme et qui se retrouvent sous sa bannière?

    Très présent dans l’actualité dernièrement, le Sénat canadien, qui normalement est très discret et quasi-absent du paysage politique à l’extérieur des limites de la ville d’Ottawa, s’est retrouvé plus d’une fois à la première page. Les actions de plusieurs sénateurs, tant libéraux que conservateurs, reflètent une image d’un club prestigieux où il est permis d'empocher l’argent des contribuables par l’entremise d’un généreux salaire, compte de dépenses et réclamation de voyages et de résidence en échange de quelques jours de présence dans la Haute chambre et au sein de quelques commissions sénatoriales.

    Sans être élus, les sénateurs donnent l’impression d’une déconnexion totale avec la population qu’ils représentent supposément. Par exemple, le sénateur Mike Duffy, a de peine et misère été capable de prouver qu’il est réellement résident de l’Île-du-Prince-Édouard – la province qu’il représente au Sénat. D’ailleurs, à ce jour, le sénateur Duffy n’a toujours pas été en mesure de produire une carte d’assurance maladie ou un permis de conduire de la petite province maritime reconnue pour ses patates et Anne aux pignons verts.

    L’humoriste canadien Rick Mercer, un peu l’Infoman du Canada anglais, mais avec un penchant plus politisé, disait dernièrement dans un de ses légendaires commentaires vidéo, que le problème du Sénat ce n’est pas tant l’institution en soi, mais ceux qui y siègent. Et qui nomme ceux et celles qui y siègent? Le premier ministre. « I blame the Big Guy », dit-il dans son commentaire, liant ainsi la qualité de la Haute chambre directement au premier ministre Harper. Il a tout à fait raison de le faire, car en fin de compte, la décision revient à Haper.




    Depuis sa prise du pouvoir, le premier ministre Harper a nommé plus de la moitié des sénateurs qui siègent actuellement à la Haute chambre. 53 des 105 sièges sont occupés par des sénateurs nommés dernièrement par celui qui voulait réformer l’institution à son arrivée au pouvoir. Sept ans plus tard, rien n’a bougé. Harper a-t-il changé d’avis? Je crois plutôt qu’il a réalisé l’énorme potentiel que referme un sénat qui penche en sa faveur. Fini les bâtons dans les roues, le gouvernement Harper a une main mise sur le Sénat lui permettant de faire adopter, sans trop de contradiction, des nouveaux projets de loi afin d’obtenir la sanction royale et une mise en application rapide. Le rôle des sénateurs est donc réduit à celui d’estampeurs, car aucun réel débat n’a lieu.

    Il faut dire que les choix du premier ministre pour les postes de sénateurs laissent à désirer parfois. L’exemple le plus clair est de loin le choix de Jacques Demers, ancien entraîneur-chef de la Ligue nationale de hockey. Absolument rien dans la carrière de cet homme ne laissait entrevoir le moindre changement de carrière vers la politique. Le choix de Demers est avant tout stratégique; il est populaire au Québec (ou du moins l’était avant sa nomination), il est facilement reconnaissable, même le Canada anglais le connaît très bien – il est populiste, facile d’approche et il connait bien le hockey, le sport favori du premier ministre. Jouer un match avec les Sénateurs d’Ottawa était possiblement le seul contact qu’avait eu Demers avec la politique avant de devenir sénateur sur la colline et non dans l’aréna.

    D’autres choix douteux, comme le Sénateur Patrick Brazeau, Léo Housakos (un ami de l’ex-attaché de presse de Harper, Dimitri Soudas), Josée Verner (candidate du parti conservateur défaite dans la région de Québec), Claude Carignan (ex-maire de Saint-Eustache et également candidat défait aux dernières élections), et plusieurs autres, nous laissent à croire que le processus de nomination n’est pas très rigoureux.

    Nous savons tous qu’il s’agit de nominations partisanes – mais n’y aurait-il pas moyen de rendre le processus plus ouvert? Plus axé vers des individus qui disposent d’un curriculum intéressant? Pour l’instant, malgré les problèmes qui font surface, rien ne semble entrevoir que le premier ministre changera si tôt, le fonctionnement du Sénat canadien. Il aurait pourtant avantage à le faire, car pour l’instant, ses sénateurs lui font plus de tort que de bien.

    Examinons en profondeur la définition de la responsabilité ministérielle : « Individuellement, le ministre est comptable non seulement de sa conduite en tant que chef du ministère, mais également de la conduite de ceux qui relèvent et reçoivent leurs instructions de lui. » (1) La logique serait donc que, puisque les sénateurs conservateurs sont nommés par le premier ministre lui-même, puisqu’ils appartiennent au même caucus que lui et comme il y a un lien direct – le premier ministre serait donc responsable des sénateurs nommés sous son règne. J’étire l’élastique un peu, mais le lien est facile à faire tout de même.

    Les sénateurs doivent depuis 2011, soumettre un rapport financier trimestriel de leurs dépenses. Il s’agit d’une pratique relativement nouvelle pour les non-élus qui auparavant n’étaient pas soumis à des contrôles financiers rigoureux et encore moins publics. Le débat actuel, qui affecte certains sénateurs, tourne autour des réclamations de voyage et des allocations; il est entendu qu’un sénateur ou sénatrice doit habiter la province qu’il ou elle représente. Comme je l’ai mentionné plus, le sénateur Duffy est actuellement dans l’eau chaude avec cette histoire précise, s’ajoute à cela le sénateur Brazeau ainsi que la sénatrice Pamela Wallin. (2)

    Le premier ministre a d’ailleurs été questionné en chambre dernièrement au sujet des dépenses de voyage de la sénatrice conservatrice et ex-journaliste. Il a affirmé avoir scruté les dépenses de la sénatrice Wallin et que celles-ci étaient comparables aux dépenses de n’importe quel autre politicien originaire de la région qu’elle représente. Soulignons que la sénatrice Wallin représente la Saskatchewan au Sénat.

    À elle seule, la sénatrice Wallin a réclamé plus de 29,423 $ pour des voyages entre Ottawa et la Saskatchewan – elle a également réclamé 321,027 $ pour des voyages « autres », qu’à sa province de résidence. D’ailleurs, le critique néo-démocrate Charlie Angus s’est penché sur le sujet de la résidence primaire de la sénatrice en dénichant dans le registre des propriétés saskatchewannaises, les papiers liés à la propriété de la sénatrice Wallin à Fishing Lake en Saskatchewan. La sénatrice est en effet propriétaire d’un chalet à Fishing Lake – mais les papiers indiquent que la propriété est enregistrée à « Mme Pamela Wallin de l’avenue Palmerston à Toronto », preuve possible que la résidence primaire de la sénatrice serait plutôt située dans la capitale ontarienne.(3) Un coup de plus pour le Sénat et ses membres, qui j’en suis certain, aimeraient retrouver l’indifférence généralisée dont ils bénéficiaient avant l’éruption de ces différentes affaires.

    Actuellement, plusieurs sénateurs, dont la sénatrice Wallin, sont soumis à une vérification de leurs dépenses par la firme externe Deloitte. Bien que l’exercice en soi pourrait révéler des anomalies, il serait surprenant, selon le sénateur David Tkatchuk, président du comité d’économie interne du Sénat, que les résultats des audits soient connus par le public. « Nous ne sommes pas intéressés à les rendre publics, dit-il. S’il y a quelque chose qui aura un impact sur nos affaires publiques, alors nous le rendrons public, autrement, il n’y a pas raison de le faire. » Clairement, le sénateur Tkatchuk est familier avec le concept de la reddition de comptes qui s’applique aux institutions gouvernementales. Le public canadien à le droit de savoir. Le gouvernement à l’obligation de l’informer.

    Ne se mêlant pas plus qu’il le faut à cette affaire qui brasse dans l’habituellement tranquille Sénat, le premier ministre Harper se contente de prendre ses distances des sénateurs qu’il a pourtant lui-même choisis. Si l’on revient à la question initiale – le premier ministre est-il responsable des actes des sénateurs qu’il nomme? La réponse devrait être oui. Logiquement, éthiquement même, la réponse devrait être qu’un premier ministre qui donne accès à la Haute chambre à des Canadiens et Canadiennes de son choix doit en être responsable et assumer les conséquences de leurs actions. De ce fait, devant les actes attribués à « ses » sénateurs, le premier ministre Harper devrait étudier en profondeur les prochaines actions qu’il pourrait entreprendre : arrêter la nomination de sénateurs partisans tant qu’un processus démocratique n’est pas mis en place, éliminer le Sénat une fois pour tout et entamer une réforme drastique et nécessaire du Parlement ou tout simplement assumer la responsabilité d’avoir fait de mauvais choix de sénateurs et démissionner de son poste de premier ministre.

    L’institution qu’est le Parlement canadien doit refléter la société moderne que nous sommes devenus. Le Sénat canadien est clairement pris dans le passé. Le premier ministre devra se prononcer rapidement et efficacement sur le sujet.

     

    Justin Maurais, le 26 février, 2013

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    (1) Parlement du Canada, "Gouvernement responsable et obligation ministérielle de rendre des comptes" [en ligne]

    (2) Les membres du Sénat ont actuellement droit de réclamer jusqu'èa 22,000$ par année s'ils habitent à plus de 100 km de la colline du Parlement. S'ils habitent une résidence secondaire, ils peuvent réclamer 29$ par jour ainsi que 89$ pour des frais de repas. S'ils choissent de loger dans un hôtel, le maximum remboursable est alors de 200$ par jour.  

    (3) TORONTO STAR, Les Whittington, Bruce Campion-Smith, 13 février 2013, "Prime Minister Harper defends Senator Wallin's steep travel expense bill" [en ligne]