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Blogue 2_Sébastien Girard_La justice du risque comme condition à TransCanada

Les besoins énergétiques croissants de la population mondiale sont inextricablement liés aux préoccupations environnementales causées par le réchauffement climatique. Cela entraîne des dilemmes éthiques importants de la part de nos dirigeants politiques, mais aussi pour tous les fonctionnaires œuvrant dans l’administration publique. Le projet de pipeline Énergie-Est de TransCanada ne fait pas exception à ce nouveau paradigme. Comment faire en effet pour jumeler croissance économique et développement durable ? Pour bien comprendre les tenants et aboutissants liés à cette question épineuse, il faudra d’abord décrire le projet d’oléoduc ainsi que ses risques environnementaux afférents pour ensuite proposer une solution novatrice en guise de réponse.

Une vue d’ensemble du projet

L’oléoduc Énergie-Est de TransCanada sera d’une longueur de 4600 kilomètres et acheminera, selon les évaluations de la multinationale, environ 1,1 millions de baril de pétrole brut en provenance de l’Alberta en direction des raffineries de l’Est du Canada (TransCanada, 2014). Sur une capacité de production de 1,9 millions de baril par jour en 2012, le lecteur comprendra qu’il s’agit de la majeure partie de l’écoulement pétrolier de la province qui transigera par cet oléoduc (Alberta, 2014). Le plan de l’entreprise se recoupe en trois volets distincts. Premièrement, la conversion d’un gazoduc existant en un pipeline pour le transport pétrolier. Deuxièmement, la construction de nouveaux oléoducs en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Troisièmement, la mise sur pied d’autres infrastructures connexes, des stations de pompage ainsi que des terminaux de réservoirs afin de transporter le pétrole en provenance de l’Alberta en direction du Québec et du Nouveau-Brunswick (TransCanada, 2014).

Le but principal de ce projet est de trouver des marchés d’exportation au pétrole brut issu de la production de sables bitumineux en Alberta. La demande mondiale de pétrole étant en constante augmentation, il s’agit d’un terreau fertile pour la production de cette énergie fossile dont le coût d’extraction est particulièrement élevé. Comme le démontre une étude du World Energy Outlook en 2012, l’on s’attend à ce que la demande mondiale de pétrole croisse de 0,5 % par année jusqu’en 2035 (Canada, 2014). De plus, comme le souligne Glen Hodgson, les États-Unis qui sont le principal marché d’exportation des sables bitumineux canadiens, accroissent considérablement leur propre production intérieure de pétrole grâce aux nouvelles technologies d’extraction, réduisant du même coup leur dépendance au pétrole étranger (Hodgson, 2014). Cette nouvelle réalité oblige l’industrie à diversifier ses marchés d’exportation. L’enjeu est tel que devant le manque d’acceptabilité sociale des projets de pipelines Keystone XL (i.e. vers le sud) et Northern Gateway (i.e.vers l’ouest), le gouvernement provincial albertain ainsi que le gouvernement fédéral ont envisagé de faire converger l’or noir vers les territoires du Nord-ouest avant d’arrêter leur position sur le projet Énergie-Est (Feteke, 2012). En effet, la température hostile du nord canadien se prêtait mal à la construction et à l’entretien de telles infrastructures (Feteke, 2012).

Les risques environnementaux

Le transport de pétrole par oléoduc comporte des risques importants de déversement avec des conséquences qui peuvent être tragiques pour les écosystèmes et les communautés environnantes, en particulier si les entreprises n’évaluent pas correctement ou négligent ce risque. À titre d’exemple, le déversement au Michigan de 20 000 barils de pétrole dans la Rivière Kalamazoo en 2010 par la société Enbridge (Radio-Canada, 2012). Des documents ont d’ailleurs démontré la négligence de l’entreprise qui a mis 17 heures pour détecter le déversement, alors qu’elle avait déclaré 10 jours avant la catastrophe qu’il lui faudrait tout au plus huit minutes pour réagir  (Radio-Canada, 2012). Le nettoyage du déversement n’est pas encore terminé et le coût de celui-ci s’élève jusqu’à maintenant à 1 milliard de dollars (Québec solidaire, 2014). D’ailleurs, cet incident a créé un précédent qui a agi comme catalyseur aux opposants à la construction du pipeline Northern Gateway vers l’ouest canadien (Lemphers, 2012).

L’Alberta est aussi grandement touchée par les fuites dans son réseau de pipelines. En 2010, l’Energy Resource Conservation Board, l’organe régulateur de la province en matière de pipeline, disposait que 640 incidents se sont produits sur le territoire albertain (Lemphers, 2012). L’institut Pembina attribue ces fuites à un manque de surveillance des entreprises pétrolières couplé à du laxisme des autorités provinciales de s’assurer du développement sécuritaire, efficient et respectueux de l’environnement (Lemphers, 2012). Par ailleurs, une étude d’Entec produite récemment a démontré que le tracé de l’oléoduc Énergie-Est et la technique de forage directionnel horizontale prévue pour enfouir la pipeline sous les rivière des Outaouais et Etchemin étaient impraticable, parce que trop risquée (Corbeil, 2014). Rien pour assurer l’acceptabilité sociale d’un tel projet.

Étant donné que le transport interprovincial est de compétence fédérale, le Québec ne pourrait pas interdire la construction du pipeline, ni du terminal pétrolier comme le soulignent à juste titre les juristes Jean Baril et David Robitaille (Baril et Robitaille, 2014). Cependant, les entreprises de transport interprovincial doivent se soumettre aux lois québécoises qui n’imposent pas des « conditions excessivement lourdes aux activités essentielles de l’entreprise »(Baril et Robitaille, 2014). En effet, rien n’empêcherait Québec de prendre des mesures créatives pour obliger les compagnies de transport interprovincial à prendre en charge adéquatement et rigoureusement le risque associé au transport du pétrole sur le territoire,  dans l’optique de faire évoluer le droit applicable.

Comment le Québec doit-il se positionner pour prévenir ces risques ?

Le Québec contribue aussi à l’augmentation de la demande mondiale de pétrole. En effet, même si la principale ressource des Québécois est l’électricité (40%), ils sont aussi des grands consommateurs de pétrole (39%) (Chassin, 2013). D’ailleurs, le pétrole alimente essentiellement les besoins québécois en matière de transport (69%), et dans une moindre mesure les secteurs industriel, commercial et résidentiel (Chassin, 2013). La tendance en demande énergétique est à la hausse, les Québécois ayant augmenté leur consommation de pétrole de 8% entre 1984 à 2009 (Chassin, 2013). Or, malgré la production considérable de pétrole provenant des provinces de l’ouest, notre approvisionnement pétrolier provient à 70%  d’Europe et d’Afrique (plus particulièrement de la Norvège et de l’Algérie) (Contant, 2013), ce qui occupe la plus grande part de nos importations et par ricochet de notre balance commerciale.

Ainsi, au-delà de l’aspect légal qui compliquerait la tâche de Québec de refuser purement et simplement la construction de l’oléoduc en question, notre demande en énergie fossile augmente constamment pour un secteur qui est difficilement remplaçable à court terme par notre électricité. C’est d’ailleurs pourquoi Yourri Chassin déclare que le Québec a probablement atteint un plateau en matière de production hydroélectrique (Chassin, 2013). Si, comme le prévoit TransCanada, le Québec devient moins dépendant du pétrole étranger, des économies d’échelle pourraient être réalisées, économies  qui pourraient ensuite être investis à l’intérieur de programme de développement durable. De plus, le secteur pétro chimique québécois accueille favorablement le projet d’oléoduc Énergie Est puisque cela lui permettra de diversifier ses sources d’approvisionnement (Riendeau, 2014). Étant donné que les coûts liés au transport du pétrole provenant de l’étranger sont assez élevés, de même que les coûts occasionnés par la grande fluctuation du pétrole de la Mer du Nord (Norvège), la rentabilité du secteur de la raffinerie au Québec est affectée de même que son avantage concurrentiel (Riendeau, 2014). Il ne faut pas négliger l’importance du secteur pétro chimique au Québec qui emploie 1500 travailleurs dans des postes de hautes qualités en plus de générer des livraisons d’une valeur de 1,5 milliards par année, en grande partie destinée à l’exportation (Québec, 2014).

Le projet Énergie Est peut donc générer des retombées économiques notables. Afin de bien prévenir les risques d’externalités qui peuvent être occasionnés par le pipeline à l’endroit des collectivités, il serait judicieux de mettre en place un fond d’indemnisation collectif. La qualité de l’environnement est une ressource qui se prête mal à l’appropriation individuelle. Il s’agit d’une ressource à accès libre qui se définie comme étant une chose « dont l’usage appartient à tous et que nul ne peut s’approprier individuellement (Mackaay et Rousseau, p. 71, 2014). » Dans un tel cas de figure, « la surconsommation et le sous-investissement s’entretiennent mutuellement (Mackaay et Rousseau, p. 71,  2014). » En ce sens, accorder l’exclusivité sur le droit à la qualité de l’environnement des collectivités à des entreprises pétrolières dont leur intérêt principal est de maximiser leur profit en faisant l’extraction de ressources naturelles conduirait de manière prévisible à des abus. Il existe en effet une rareté de plus en plus tangible à un environnement de qualité causée par l’usage concurrent de cette ressource qu’en font d’une part les multinationales de production ou de transport de ressources naturelles et d’autre part les citoyens situés à proximité des activités de ces entreprises qui aspirent à une bonne qualité d’environnement.

La loi sur la qualité de l’environnement à son article 31 e) 1, délègue un pouvoir au ministre  de : « mettre en place des mesures prévoyant le recours à des instruments économiques […] en vue de protéger l'environnement et d'atteindre des objectifs en matière de qualité de l'environnement pour l'ensemble ou une partie du territoire du Québec […]. »

Un fond d’indemnisation collectif basé sur le risque de dommage environnemental serait donc une bonne manière de résoudre ce problème d’usage concurrent. TransCanada serait dans l’obligation de verser à l’État du Québec une prime qui serait plus ou moins élevée en fonction des précautions que l’entreprise a prises pour prévenir les dommages à l’environnement. La prime peut se calculer en fonction de la probabilité qu’un sinistre survienne, multiplié par le coût du dommage potentiel (Mackaay et Rousseau, p.71, 2008).  Dans l’hypothèse où TransCanada utiliserait le tronçon de gazoduc âgé de 50 ans pour transporter du pétrole brut issu des sables bitumineux, le risque augmenterait ce qui aurait une répercussion directe sur la prime de l’entreprise.

En résumé, c’est l’entreprise qui assumerait le coût du risque, donnant ainsi les moyens nécessaire aux municipalités et au gouvernement provincial d’absorber les dommages, en plus d’agir comme un moyen de répartition des richesses issus de l’extraction et de l’exportation du pétrole. De plus, il serait dans l’intérêt des actionnaires que l’entreprise agisse de manière transparente et en collaboration avec les communautés pour que diminue sa prime. Par ailleurs, on inciterait l’entreprise à innover puisqu’il serait dans son intérêt de trouver des moyens plus sécuritaires pour transporter l’or noir.  En outre, TransCanada devrait assumer un risque résiduel, puisqu’il existe toujours un risque au transport de pétrole par pipeline, ce qui aurait nécessairement un impact sur le prix du brut. Si toutes les juridictions mondiales adoptent un tel programme, on peut s’attendre à une augmentation du prix de l’essence ce qui inciterait probablement les consommateurs à utiliser avec parcimonie cette ressource en plus de rendre l’utilisation des énergies renouvelables plus attrayante.

 

Pour conclure, il n’existe pas de solution toute dessinée pour résoudre un dilemme aussi complexe que le transport des sables bitumineux sur le territoire québécois. Il existe des risques considérables essuyés pour le moment, en grande partie, par la population du Québec. Toutefois, le gouvernement pourrait mettre en place un fond d’indemnisation collectif où ce sont les entreprises pétrolières qui supporteraient ce risque. On redistribuerait ainsi la richesse en plus de donner un moyen financier important aux différents paliers de gouvernement concernés pour réagir face aux éventuels déversements. Les entreprises pétrolières auraient aussi intérêt à diminuer le risque, donc à prendre des précautions en agissant en citoyennes corporatives exemplaires.

Références 

Projet Oléoduc Énergie Est (page consultée le 11 novembre 2014). Site de TransCanada, [En ligne], http://www.transcanada.com/oleoduc-energie-est.html

ALBERTA, Ministère des ressources naturelles (2014). Alberta Oil Sands Industry, Quaterly Update, [En ligne], Alberta, le ministère, http://albertacanada.com/files/albertacanada/AOSID_QuarterlyUpdate_Fall2014.pdf (page consultée le 11 novembre 2014)

BARIL, Jean et ROBITAILLE, David (Page consultée le 12 novembre). « Les lois du Québec sont applicables », dans le Devoir, [En ligne],

http://www.ledevoir.com/politique/quebec/422552/oleoduc-energie-est-les-lois-du-quebec-sont-applicables

CANADA, Gouvernement du Canada (2014), Les sables bitumineux Une ressource énergétique pour le Canada , l’Amérique du Nord et le marché mondial, [En ligne], Canada, http://www.nrcan.gc.ca/sites/www.nrcan.gc.ca/files/energy/pdf/eneene/pubpub/pdf/OS-brochure-fra.pdf (page consultée le 11 novembre 2014)

CONTANT, Alain (Page consultée le 12 novembre 2014). « La place du pétrole au Québec », dans Magazine Force, [En ligne] http://www.magazineforces.com/energie/la-place-du-petrole-au-quebec

CORBEIL, Michel (Page consultée le 26 novembre), « Oléoduc Énergie-Est: traversée «infaisable» pour les rivières Etchemin et Outaouais », dans le Soleil, [En ligne]

http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/environnement/201411/10/01-4817717-oleoduc-energie-est-traversee-infaisable-pour-les-rivieres-etchemin-et-outaouais.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4816259_article_POS2

CHASSIN, Youri (Page consultée le 12 novembre 2014). «La réalité énergétique du Québec », dans Institut économique de Montréal, avril 2013, [En ligne] http://www.iedm.org/files/note-energie-quebec13.pdf

Ejan MACKAAY et Stéphane ROUSSEAU, Analyse économique du droit, Montréal, les Éditions Thémis, 2008,

Fuite dans la rivière Kalamazoo en 2010 : Enbridge avait ignoré les avertissements

(page consultée le 11 novembre 2014),  Site de Radio-Canada, [En ligne], http://ici.radio-canada.ca/regions/alberta/2012/06/23/001-rapport-fuite-enbridge-kalamazoo.shtml

HODGSON, Glen (page consultée le 11 novembre 2014). « Time is Running out for a Canadian Energy Delivery Strategy», dans le Conference Board du Canada, [En ligne], http://www.conferenceboard.ca/press/speech_oped/14-07-04/time_is_running_out_for_a_canadian_energy_delivery_strategy.aspx

FETEKE, Jason (Page consultée le 11 novembre 2014). «Pipeline protests spur companies to consider shipping oilsands crude by rail», dans Canada.com, [En ligne],  http://www.canada.com/business/Pipeline+protests+spur+companies+consider+shipping+oilsands+crude+rail/7072289/story.html

Mémoire de la Commission Environnement et Énergie de Québec solidaire présenté à la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (Page consultée le 26 novembre 2014), Le Québec, une nation phare pour le monde. D’une politique énergétique audacieuse vers une réelle indépendance face aux énergies fossiles, [En ligne] http://www.mern.gouv.qc.ca/energie/politique/memoires/20131011_435_Quebec_solidaire_M.pdf

LAMPHERS, Nathan (page consultée le 12 novembre 2014), « Pipeline spills and safety violations justify an independent review», dans Institut Pembina, [En ligne] http://www.pembina.org/blog/639

RIENDEAU, Roger (Page consultée le 13 novembre 2014). « Raffinage de l’or noir, un avenir lié aux sources d’approvisionnement et à la main d’œuvre »,  dans Magazine de circuit industriel, avril 2014, [En ligne]  http://magazinemci.com/2014/04/15/raffinage-de-lor-noir-un-avenir-lie-aux-sources-dapprovisionnement-et-a-la-main-doeuvre/

QUÉBEC, ministère de l’économie, innovation et exportation (2014), S’informer pétrochimie, [En ligne] http://www.economie.gouv.qc.ca/objectifs/informer/par-secteur-dactivite/chimie/petrochimie/page/le-secteur-10825/?tx_igaffichagepages_pi1%5Bmode%5D=single&tx_igaffichagepages_pi1%5BbackPid%5D=12832&tx_igaffichagepages_pi1%5BcurrentCat%5D=&cHash=8ce8229c8f335ce9fcebda398a151142

 

 

Commentaires

  • Sébastien... Bien reçu pour nourrir nos connaissances et mieux se former une opinion. Bonnes suites.

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