La fermeture des lits pour les itinérants, est-ce vraiment en leur faveur?
Mise en situation :
Dans une édition de La Presse, parue le lundi 15 septembre, on a écrit un dossier sur l’itinérance où l’on dénonçait la fermeture de 200 lits. Comme alternative, le gouvernement fédéral veut mettre en place un programme basé sur l’approche « logement d’abord » qui mise à offrir des logements via le secteur privé avant de proposer toute autre intervention. C’est après s’être installé dans un logement convenable, subventionné par le gouvernement, qu’un itinérant obtiendra le soutien nécessaire dont il a besoin.
Plusieurs personnes, dont certains membres du Réseau solidarité itinérance du Québec (RSIQ), critiquent cette approche. Ils déclarent que les interventions offertes aux itinérants doivent toucher plusieurs domaines tels que «du travail de rue, du soutien alimentaire, des programmes d'insertion sociale et professionnelle ainsi que de la construction et de la rénovation de refuges et de centres de jour » (La Presse, 2013). L’accessibilité aux logements n’est pas suffisante et n’offre pas assez de soutien pour que les sans-abris puissent sortir de leur condition de vie. L’itinérance est beaucoup plus complexe qu’un simple problème de logement. On veut intervenir sur plusieurs sphères pour pouvoir réagir efficacement face à cette complexité.
Dans La Presse, le débat consistait en la fermeture des refuges, et donc au refus de l’accès à 200 lits aux itinérants. On dit que les refuges encouragent la chronicité de l’itinérance. Ils n’amènent pas les sans-abris à se trouver un hébergement permanent. Au lieu d’offrir des lits aux itinérants, on veut favoriser leur transfert à un logement. Par contre, l’accès immédiat à un lit provisoire ne sera plus possible.
Enjeux
Je dois dire que j’ai des inquiétudes concernant le retirement des lits des refuges. Je suis hésitante face à la pérennité des effets du programme fédéral qui offre « une seule et unique approche » (La Presse, 2013). Si cette approche ne fonctionne pas pour certains sans-abris, que va advenir de ces individus qui ne correspondent pas au cadre du programme fédéral? Que se passera-t-il en cas de rechute? Si le logement subventionné ne fonctionne pas pour certains individus, où iront-ils dormir? Les lits dans les refuges ne seront plus disponibles. On doit prévoir une seconde alternative pour ces personnes qui ne rentrent pas dans le profil de l’approche « logement d’abord » et qui n’ont pas réussi à s’intégrer dans ce programme.
De plus, combien de temps prendra le processus de recherche de logement pour chaque itinérant? Si un logement n’est pas trouvé dans l’immédiat, ceux-ci n’auront nulle part où aller. Il nous faut alors garder l’accès aux refuges pour qu’il y ait une solution immédiate et temporaire lors de l’attente d’un logement. Ceci sera particulièrement important lors des hivers froids du Québec. Les itinérants ont besoin de ces lits en cas d’urgence lorsqu’il fait -20°C ou -30°C. C’est une question de sécurité, et même de survie.
De plus, le programme fédéral est plutôt axé vers une sorte de clientèle. Pierre Gaudreau « craint que ce nouveau programme ne fournisse un logement qu'à une frange limitée de la population itinérante, notamment aux individus vivant dans la rue en milieu urbain et souffrant de maladie mentale. » (La Presse, 2013) Pour ceux qui ne rentrent pas dans ce descriptif, que va advenir d’eux? Où vont-ils dormir le soir? Qui va leur offrir les ressources et le soutien nécessaires pour qu’ils puissent s’en sortir?
On peut aussi se demander si tous les itinérants se sentent prêts pour un logement permanent. Logement d’abord donne accès à une habitation avant d’offrir toutes autres interventions. On ne prend pas le temps de connaître l’individu avant. Si l’itinérant n’est pas prêt à prendre la responsabilité et à entretenir un logement de manière permanente, quelles seraient ses autres possibilités? Où ira-t-il en cas de rechute? Ceci va de même pour les individus qui ne voudraient pas faire partie du programme de peur de sortir de la structure sociale qu’offre l’itinérance. Comment pouvons-nous assurer leur sécurité? On devrait pouvoir proposer d’autres formes d’assistance qui leur serviraient de renfort.
Par contre, dans l’article, on dit qu’en tant qu’itinérant « tranquillement, tu noues des liens, tu te crées un réseau et c’est là que s’installe une certaine zone de confort qui mène souvent à une itinérance dite chronique ». Premièrement, les refuges n’offrent pas seulement des lits, mais aussi des services de soutien et des interventions pour aider les sans-abris à se sortir du cercle vicieux qu’est l’itinérance. Deuxièmement, que fait-on de la liberté de choix? Si certains itinérants sont plus confortables à recevoir des services et du soutien dans un refuge avant d’obtenir un logement permanent, pourquoi leur enlèverons-nous ce droit? Nous ne pouvons pas prendre cette décision pour eux. Ils sont des êtres humains et donc ils devraient avoir la liberté de choisir ce qui est mieux pour eux.
Enfin, on peut aussi se demander dans quel intérêt le programme de « logement d’abord » a été instauré. Lorsque les sans-abris couchent dans les refuges, ils sont obligés de quitter les lieux à sept heures du matin. Ils passent donc toute la journée dans la rue. C’est beaucoup plus cher pour le gouvernement de laisser un sans-abri dans la rue que d’investir dans des logements de soutien (ACMFI, s.d.). Ce n’est donc pas dans l’intérêt du public que les itinérants profitent des refuges. De plus, certaines personnes peuvent trouver la présence d’itinérants en ville dérangeante. On pourrait alors vouloir les placer le plus rapidement possible pour diminuer cet inconvénient. À mon avis, ce sujet ne tient pas compte de l’intérêt des itinérants. Je ne veux pas insinuer que c’est un choix d’être un sans-abri. Au contraire, dans l’article, une policière affirme que « c’est trop difficile, exigeant, le mot survie est bien choisi. C’est l’absence d’autres options qui fait qu’une personne se retrouve à la rue ». Cependant, je crois qu’il est quand même nécessaire de leur offrir plusieurs options. Les itinérants ont le droit d’avoir une porte de sortie au cas où l’un de ces choix ne fonctionnerait pas. Les logements sociaux devraient faire partie d’une solution possible. Par contre, on devrait garder les refuges ouverts pour pouvoir proposer plusieurs interventions diversifiées aux itinérants.
PL
Références
Meunier, H. (2014, 15 septembre). Fermer des refuges pour vaincre l’itinérance. La Presse. Repéré à http://www.lapresse.ca/actualites/national/201409/15/01-4800290-fermer-des-refuges-pour-vaincre-litinerance.php
La Presse. (2013, 8 septembre). Lutte contre l'itinérance : un programme fédéral contesté au Québec. Repéré à http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/09/08/005-lutte-itinerance-conservateurs.shtml
ACMFI. (s.d.). Le coût de l’itinérance. Repéré à http://fr.caeh.ca/au-sujet-de-litinerance/the-cost-of-homelessness/
RAPSIM (http://www.rapsim.org/56/Accueil.montreal)
Gagnon, K. (2014, 13 juin). Itinérance: un programme Chez soi version québécoise? La Presse. Repéré à http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201406/13/01-4775422-itinerance-un-programme-chez-soi-version-quebecoise.php
Commentaires
Une question d'actualité qui nous montre bien la complexité de l'administration publique. La question des itinérants est une illustration particulièrement bonne d,une solution non moins urgente ....dans la pratique. merci PL
Effectivement, le problème de l'itinérance est très complexe. Je crois que ces refuges permettaient aux travailleurs de rue et travailleurs sociaux, d'aller à l'origine du problème, avec la clientèle concernée. Différentes situations amènent les gens dans la rue: problèmes de santé mentale, troubles financiers, abus de substances, structure familiale difficile etc. Ce sont les points à travailler, avant de convaincre la personne de vivre dans un logement. Autrement, le mode de vie d'itinérance continuera à l'intérieur du logement. J'écoutais aux nouvelles, qu'on allait mettre sur pied un : Protecteur des sans abris, à suivre...