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Les coupures dans la fonction publique fédérale…une décision politique

Par Marie-Eve Briand

Nous avons appris cette semaine le décès du Caporal-chef Sylvain Lelièvre, membre actif des Forces armées canadiennes, basé à Valcartier. Il est possiblement décédé par suicide, ce qui constituerait le quatrième militaires en 10 jours à s’enlever la vie. Le Général Lawson en a profité pour répéter que le Ministère de la Défense nationale possède et gère plusieurs programmes sur la santé mentale et que de multiples services sont disponibles afin de soutenir les militaires et leur famille, particulièrement au retour de missions de combat (http://www.forces.gc.ca/fr/nouvelles/article.page?doc=declaration-du-general-lawson-sur-la-sante-mentale-au-sein-des-forces-armees-canadiennes/hosl5nff).

En tant que fonctionnaire au Ministère de la Défense nationale, je peux confirmer que les services existent, qu’ils sont accessibles et publicisés. En tant que gestionnaire, je reçois chaque année de multiples formations concernant la santé mentale (suicide, drogues et alcool, jeux compulsif, harcèlement, etc.). Je suis en mesure de reconnaître les signes précurseurs et je sais quoi faire si j’en vois. Les intervenants en santé mentale sont convaincus qu’une des meilleures façons de prévenir les conséquences dramatiques des détresses psychologiques est d’intervenir rapidement, dès les premiers signes. Généralement, ce sont les membres de l’équipe de travail qui seront les mieux en mesure d’identifier ces changements et le superviseur ou le gestionnaire a la responsabilité d’agir dans ces situations. Ça…c’est l’idéal! Malheureusement, notre réalité de travail actuelle est un obstacle à tout cela!

Compressions et décroissance

Dans les dernières années, le gouvernement a effectué plusieurs vagues de compressions budgétaires qui incluaient d’importantes coupures de personnel. Ce genre de mesure est très populaire au sein de l’électorat conservateur de l’ouest du pays, mais aussi un peu partout au pays et au sein de différents courants idéologiques. De toute façon, tout le monde sait que les fonctionnaires sont trop grassement payés et ce, pour se tourner les pouces toute la journée et inventer des mesures et des programmes inutiles et dispendieux! Quelle excellente façon d’aller chercher des votes que de couper dans tout cela!

Il est vrai que nous avons connu une croissance de la fonction publique fédérale dans la dernière décennie. Il est aussi très probable que cette administration est trop grosse actuellement et qu’il serait souhaitable de la réduire. Par contre, ce dont nous avons besoin c’est d’une administration plus efficace et parmi les facteurs de réussite pour cela, ça prend plus de pouvoir plus bas dans la chaîne et pour cela, ça prend des gens compétents et mobilisés! Malheureusement, une des conséquences des coupures de personnel est la perte d’expertise au sein de la fonction publique fédérale. En effet, certains techniciens très spécialisés ont été mis à pied récemment, comme par exemple des mécaniciens travaillant sur des types de véhicules ou des avions particuliers. Certains travaillaient depuis 20 ou 25 ans dans le domaine et nous les avons formés pour qu’ils deviennent des experts. Et bien ces techniciens ont été immédiatement embauchés par de grandes entreprises qui voient en eux une excellente opportunité grâce à leurs connaissances poussées. On assiste donc à une perte d’expertise et de mémoire corporative. Un autre effet pervers de ces coupures est la disparition des programmes de formation et de développement de carrière, dans le domaine du leadership par exemple. Ce type d’initiative permet d’attirer et de garder de jeunes professionnels prometteurs mais aussi des employés chevronnés dans la quarantaine qui désirent faire avancer ou réorienter leur carrière. Avec l’abolition de tout cela, on se retrouve face à un exil de ces gens vers le privé ainsi que des difficultés à recruter des gens de talent qui ne voient plus la fonction publique comme un employeur de choix. Pourtant, il est PRIMORDIAL d’avoir une main-d’œuvre capable et motivée pour devenir une bureaucratie plus efficace et efficiente!   

Finalement, ces coupures drastiques (en tant qu’employé de la Défense nationale, vous me pardonnerez l’utilisation de cet anglicisme!) au niveau du personnel ont été effectuées sans modifications des exigences opérationnelles et les lourdeurs administratives! Or, il est essentiel de lier les objectifs macro-financiers et les processus organisationnels et budgétaires au niveau interne (Mercier, 2002) afin de s’assurer du succès de l’exercice de restrictions budgétaires et ce, en rendant l’appareil administratif plus efficace et efficient. Par exemple, suite au scandale des commandites, les processus d’acquisitions et de passation de marchés sont devenus hyper complexes afin d’assurer la plus grande transparence possible. Cela occasionne un besoin supplémentaire en personnel puisque tout cela demande de l’expertise et du temps. Le résultat est que le travail à effectuer dépasse nos capacités et en tant que gestionnaires, on se retrouve à toujours essayer de rattraper la parade plutôt que d’être à l’avant! La principale conséquence de tout cela est que nous passons beaucoup de temps dans les opérations et peu dans le dialogue et cela pourrait créer des situations où nous sommes moins en mesure de détecter les signes avant-coureurs de la détresse psychologique. Les employés de la fonction publique sont essoufflés! Désolée de défaire vos illusions…mais ces gens compétents travaillent fort et ont une extraordinaire pouvoir de résilience! Je le note tous les jours au sein de mon équipe et de mon organisation! Seulement, l’élastique est étiré au maximum…

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Au risque de me répéter (voir blogue Noetic authority…tout mauvais? publié le 11 novembre 2013) : les décisions politiques sont prises dans une optique électorale (Public choice) et les conséquences réelles ne sont souvent pas connues du grand public. Tout ce qui compte, c’est la perception et dans ce cas-ci, le gouvernement en place semble être celui qui finalement prend action après tant d’années de laxisme! Et les grandes entreprises médiatiques de ce pays sont bien d’accord avec eux alors elles vont continuer de véhiculer ce message!

Bien sûre, certains pourraient dire qu’en tant que fonctionnaire fédérale, j’essaie par ce texte de justifier mon utilité personnelle afin de maintenir ou maximiser mes revenus et mes pouvoirs…ce qui s’inscrirait parfaitement dans le Public choice…!

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Pour en savoir plus sur le décès du Caporal-chef Lelièvre :

http://www.radio-canada.ca/regions/quebec/2013/12/04/001-suicide-militaire-valcartier.shtml

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Bibliographie

MERCIER, Jean (2002). L’administration publique : de l’École classique au nouveau management public, Sainte-Foy, PUL, ISBN 2763778313.

 

 

 

Commentaires

  • Les incontournables compressions ne font généralement pas l'objet de politiques publiques comme les les grands plans d'infrastructures qui eux "touchent" plus les médias et les "politiques"...tout court !!! D'avantage.

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