Des congés payés pour les minorités religieuses, une pratique d’administration publique déraisonnable de la CSDM
Comme en faisait état un article paru dans le journal La Presse du 29 août 2013, la commission scolaire de Montréal (CSDM) octroie des congés religieux rémunérés à ses employés en plus des congés fériés prévus dans la Loi sur les normes du travail. Ce texte critique cette pratique de gestion. L’argumentaire de la discussion s’appuiera sur trois grands principes d’administration publique dans un état parlementaire de droit. La conclusion proposera une avenue de solution pour assurer l’équité entre les travailleurs et le respect de la Charte canadienne des droits et libertés.
Quel est le problème?
La problématique des demandes pour des congés religieux n’est pas nouvelle et en 2007 la CSDM a accordé 369 congés payés supplémentaires pour motifs religieux (1). À la suite d’une demande écrite, les employés pratiquant une religion non chrétienne peuvent obtenir un congé s’il figure dans une liste de 8 fêtes religieuses. La situation prévaut encore à l’été 2013, car 489 jours de congés religieux en plus des congés fériés ont été permis, occasionnant des coûts de 164 000$ (2).
Des principes d’administration publique mis à mal
1. CSDM une institution administrative du secteur parapublic avec une instance politique délibérante
La commission scolaire détient une mission, une structure globale et des pouvoirs qui sont édictés par la Loi sur l’instruction publique et œuvre au bien d’intérêt public. Toutefois, comme le rappelle Dufour (3), une commission scolaire est une forme de gouvernement décentralisé, car elles possèdent un pouvoir de taxation et sont gouvernées par des commissaires élus par la population résidante d’une ville lors d’élections scolaires tous les 4 ans. C’est un organisme avec une structure politique et une structure administrative, qui gère de façon autonome ses effectifs et ses ressources, de même que la production des services éducatifs selon ses propres modalités. Néanmoins, ces derniers sont fortement orientés et contrôlés par des exigences, programmes et le 2/3 du financement provenant du Ministère de l’éducation, des loisirs et des sports (4).
Les décisions prises par les gestionnaires de la CSDM doivent être approuvées selon d’autres modalités qu’une entreprise privée. Dans un cas comme celui d’une pratique de congés payés pour motif religieux, l’instance politique doit en débattre et les commissaires scolaires adopter une motion ou voter un règlement ou une politique encadrant cette pratique. Ce rôle délibératif est une obligation dans notre système politique représentatif. Bien que cela soit une responsabilité pour les parlementaires, il apparaît nécessaire d’étendre ce devoir aux élus des commissions scolaires. Il ne s’agit pas de débattre de chaque cas personnel, ce qui relève plutôt de la gestion, mais des principes, politiques et normes qui encadrent cette gérance et qui doivent être clarifiés.
2. Une iniquité entre les travailleurs de l’administration publique
Dans la société québécoise, il existe des congés fériés qui ont leur origine dans l’histoire politico-religieuse catholique du Québec. Ces congés sont maintenant des jours de congés pour tous, autant pour les pratiquants chrétiens que pour les autres travailleurs, qu’ils soient non croyant ou fervents de d’autres religions. C’est un fait enchâssé dans une loi sur les normes du travail. La Loi sur les normes du travail encadre les jours fériés pour tous les résidents du Québec. Des exemptions sont prévues pour les services essentiels (services incendies) ou selon les besoins spécifiques des entreprises (ex. : restauration), mais des indemnités doivent être données à ses travailleurs qui doivent œuvrer lors des congés fériés. Les conventions collectives adoptées par vote majoritaire des travailleurs membres des syndicats précisent les modalités de travail régissant les différents corps de métiers et professions de la CSDM. L’ensemble du personnel syndiqué de la CSDM est donc soumis à ces conventions collectives. Conséquemment, il existe une législation acceptée par la majorité de la population et qui profite à tous. Il y a des conventions collectives adoptées démocratiquement qui les appuient.
Mercier (5) stipule que les fonctionnaires doivent « agir de façon impartiale et équitable et le faire selon des procédures établi par la législation et les règlements ». Cet énoncé peut aussi baliser le traitement des employés, qui doit être équitable. Pourquoi créer deux catégories de travailleurs, donc une aurait des accommodements qui s’avèrent aussi être des privilèges rémunérés? Et les critères pour octroyer ces privilèges ne sont basés sur le mérite ou des compétences pertinentes ou des habiletés reliées à l’emploi. Ils sont essentiellement un critère qui s’inscrit dans un choix religieux. Des avantages offerts à certains membres de la fonction publique sur la base de leur choix personnel religieux n’est pas cohérent avec une vision wébérienne (6) concernant une administration publique compétente, spécialisée et non politique.
La Commission Bouchard-Taylor (9) a évoqué différents jugements des tribunaux statuant sur l’aspect discriminatoire des congés pour motifs religieux dans un calendrier scolaire rigide. Les professeurs demandant des congés religieux peuvent difficilement reprendre ces journées en dehors du calendrier scolaire, car les écoles sont fermées l’été et dans le temps des fêtes. Conséquemment, les congés pour motifs religieux devaient être payés. Toutefois, au principe de non-discrimination doit être accolé celui du traitement équitable dans une même catégorie professionnelle. À cet effet, la Commission scolaire Marguerite Bourgeois a réglé le problème en enlevant cette possibilité dans la convention collective. En attendant que les parlementaires adoptent des législations en ce sens, cette question doit être traitée dans les conventions collectives. Toutefois, cette avenue est bien imparfaite à long terme en raison de la variabilité dans les résultats des négociations des conventions collectives.
3. Une institution publique non confessionnelle et neutre
Depuis 2000, grâce à la Loi 118 qui prescrit le statut non-confessionnel des écoles publiques, la CSDM est un réseau scolaire linguistique plutôt que religieux. Cette loi québécoise a même requis une modification de l’article 93 de la Constitution canadienne en 1998 (7).
Les employés de cette institution doivent manifester un devoir de réserve quant à leurs opinions politiques et religieuses lors de l’exercice de leurs fonctions, particulièrement lorsqu’ils sont en présence de la clientèle. Comme le rappellent Rocher et Baril (8), la laïcité des administrations publiques doit « être réelle et apparente » et les symboles religieux ostensibles constituent la manifestation d’une pratique religieuse que la personne veut afficher. Ceci est d’autant plus important pour l’apparence de justice et de neutralité que doivent afficher les employés détenant un pouvoir de sanction comme les juges et procureurs, les policiers et les agents correctionnels (pouvoir judiciaire et pénal). D’ailleurs, le projet de Charte des valeurs québécoise (10) reprend ce principe énoncé quelques années auparavant dans le rapport de la Commission Bouchard-Taylor (9).
Néanmoins, le port de signes religieux n’entrave pas forcément la qualité de la prestation de travail d’un employé d’une commission scolaire, et les interdire constituerait fort possiblement une entrave à la liberté d’expression tel que stipulée dans la Charte canadienne des droits et libertés qui a force de loi constitutionnelle (11). Par contre, en raison de nos valeurs collectives et des principes d’équité dans les lois du travail et de la fonction publique, il faut préciser ces accommodements. À cet effet, les congés rémunérés pour motifs religieux constituent une question importante à régler. C’est un sujet un peu moins sensible du point de vue de la liberté d’expression, mais qui concourt à la justice sociale et au vivre ensemble dans la diversité.
En conclusion, une solution raisonnable et équitable existe
Il ne s’agit pas d’empêcher les employés de la commission scolaire de pratiquer leur religion en dehors des murs de l’institution scolaire. Il ne s’agit pas non plus d’avoir une pratique de gestion rigide qui interdit tout accommodement pour motif personnel et religieux. Les congés religieux devraient être accordés sur demande, selon des procédures et critères clairs. Dans tous les cas, ces congés pour motif religieux devraient être pris à même la banque de congé de l’employé. Si cette banque de congé (vacance et congé personnel) est épuisée, cela devrait être considéré comme un congé exceptionnel et sans solde. Nos élus de l’Assemblée nationale se doit de légiférer pour encadrer la problématique, évitant ainsi au pouvoir judiciaire de se substituer à leurs responsabilités.
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Références :
(1) CSDM (octobre 2007). La diversité culturelle, linguistique et religieuse à la Commission scolaire de Montréal Pour un accommodement raisonnable réciproque. Mémoire déposé à la Commission Taylor Bouchard sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles.
(2) Gagnon, K. ( 29 août 2013). « Congés religieux en milieu scolaire: tous ne sont pas égaux ». Journal LaPresse.
(3) Dufour, C. (2011 : 33). « Les différents types d’états ». Dans Nelson Michaud (dir.). Secrets d’états. Presses de l’université Laval, pp21-40.
(4) CSDM. Budget 2012-2013. Sommaire des revenus par activités. [en ligne] http://www.csdm.qc.ca/CSDM/CSDMChiffres/Budget.aspx
(5) (6) Mercier, J. (2002, 2011:7). L’administration publique. Presses de l’Université Laval.
(7) Constitution canadienne (1999). (Page consultée le 26 septembre 2013) [en ligne] http://www.canlii.org/fr/ca/const/const1867.html
(8) Baril, D. Rocher, G. au nom des Intellectuels pour la laïcité. (2010 : 7). La laïcité: Une valeur fondatrice essentielle de la société québécoise. Mémoire présentée lors de la consultation sur le Projet de loi no 94 (Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements). Page consultée le 27 septembre 2013. [en ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CI/mandats/Mandat-12329/memoires-deposes.html.
(9) Commission Bouchard-Taylor (2008) FONDER L’AVENIR. Le temps de la conciliation. Rapport. (Page consultée le 27 septembre 2013). [en ligne] http://www.accommodements-quebec.ca/documentation/rapports/rapport-final-integral-fr.pdf.
(10) Gouvernement du Québec (septembre 2013). Proposition gouvernementales Charte des valeurs québécoises.[en ligne] http://www.nosvaleurs.gouv.qc.ca/fr
(11) Professeur Trudel (2013) Notes de cours ENP7505.