Blogue 1 - Éducation, Sommet et Gouvernance (Charles-Émile René)
Le Sommet sur l’enseignement supérieur vient tout juste de se terminer et déjà la question d’une loi-cadre sur les universités ou bien celle d’un Conseil national des universités prendra une place de plus en plus grande dans la sphère publique via les différents médias d’information. Le Ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, s’est prononcé avant la tenue du sommet sur le fait qu’il désirait « une administration plus transparente des universités », en d’autres mots, il plaide en faveur d’une gouvernance plus efficace de la part de ces institutions du savoir[1].
Le ministre Duchesne veut mettre l’accent sur la transparence dans le processus de gestion des universités considérant que la population, plus particulièrement les contribuables, a le droit de savoir où vont les dollars des impôts qui sont payés à chaque année et comment ceux-ci sont administrés par les gestionnaires des universités et les fonctionnaires du Ministère de l’Enseignement supérieur. La transparence est un enjeu de l’administration publique de plus en plus important depuis quelques années traduisant un « passage de la responsabilité ministérielle à la responsabilité administrative », c’est-à-dire que « le retrait des politiciens de la gouverne résulte du transferts de certaines redditions de comptes vers les professionnels, notamment, la délégation aux gestionnaires du leadership de l’administration, non pas sur les plans légal et politique, mais sur le plans normatif »[2].
Depuis le début des années 1980, la transparence dans la gestion des affaires publiques est un des enjeux majeurs qui s’est imposé avec l’émergence du nouveau management public et des principes qu’il prescrit. C’est ce que le gouvernement péquiste tente de mettre en œuvre dans le dossier de l’enseignement supérieur. La gouvernance est ainsi un terme, mais également une philosophie empruntée au monde de l’entreprise privée et qui s’est vue « implantée dans le champ de la vie publique par Margaret Thatcher au tournant des années 1980, la gouvernance justifiera ainsi une mutation du rôle de l’État » soit, de manière plus explicite, « sous couvert de réaffirmer la nécessité d’une saine gestion des institutions publiques, le terme désignera non seulement la mise en œuvre de mécanismes de surveillance et de reddition de comptes, mais également la volonté de gérer l’État à la manière prétendument efficace d’une entreprise »[3].
Les propos pré-sommet du ministre Duchesne ne font que confirmer la direction prise par le gouvernement sur la question de l’enseignement supérieur puisque celui-ci se prononce en faveur d’ « une reddition de comptes « plus ciblée » et « efficace », un suivi systématique, des conseils d’administration plus solides et capables de « challenger les recteurs » […] une uniformisation des états financiers […] la paperasse qu’auront à fournir les recteurs sera simplifiée »[4]. Comme nous l’avons appris grâce à notre professeur Rémy Trudel : « en administration publique, tout doit être approuvé et tout doit faire l’objet de reddition de comptes ». Le ministre Duchesne s’engage ainsi dans cette voie en plaidant pour une plus grande transparence dans le processus administratif des universités que ce soit au niveau de la fonction publique aussi bien que des gestionnaires des institutions concernées.
L’efficacité visée par le gouvernement à travers le processus de reddition de comptes est un des principes du nouveau management public. Ce que cela veut dire en termes clairs, c’est que le gouvernement prône une gestion des affaires publiques par laquelle on croit qu’ « il est possible de mesurer les résultats de toutes les activités de façon valide et fiable »[5]. Cette orientation est très critiquée par une partie de la population, notamment, le mouvement étudiant et autres organismes sociaux durant la dernière année. Les propos du philosophe Alain Deneault le démontre de manière limpide pourquoi cette manière de gérer la chose publique est critiquée : « une telle mutation promeut le management d’entreprise et la théorie des organisations au rang de la pensée politique », la gouvernance devient ainsi « une politique « sans gouvernement »»[6].
En analysant minutieusement le discours des gouvernements depuis quelques années, on observe qu’un changement de sémantique c’est produit et qu’il n’est pas anodin. On passe alors d’un État-providence qui a pour but une juste redistribution des richesses entre les différentes classes sociales vers un lexique que l’on peut catégoriser sous l’appellation de « bonne gouvernance ». On découvre alors que l’État-providence n’est plus le centre nerveux de la société politique, mais que c’est maintenant la « bonne gouvernance » qui est le centre de cette réalité sociale.
La question qui a monopolisé le débat public au cours des douze derniers mois, les frais de scolarité, en est la preuve. Bien que le gouvernement ait décidé, et ce bien avant le processus de consultation que représentait le Sommet sur l’enseignement supérieur, que l’indexation des frais de scolarité serait la solution retenue, le fait que la privatisation des services publics qui est une idée-force du nouveau management public soit de plus en plus acceptée par une partie importante de la population démontre la révolution idéologique qui s’est opérée depuis les années Thatcher à travers les sociétés occidentales plus particulièrement.
L’épistémè propre au champ d’étude de l’administration publique s’est vue modifiée par l’arrivée de ce nouveau courant de pensée et qui se définit, selon Michel Foucault, comme étant « tous ces phénomènes de rapport entre les sciences ou entre les différents discours dans les divers secteurs scientifiques qui constituent ce que j’appelle épistémè d’une époque »[7].
Les frais de scolarité sont un phénomène particulier qui nous permet d’observer, dans une perspective de longue durée, l’influence générale que la gouvernance et le nouveau management public ont eue sur l’ensemble des secteurs d’activités de la société.
Je crois qu’il est pertinent de terminer ce premier blogue avec les mots du philosophe Alain Deneault à propos de la privatisation qu’engendre la gouvernance puisque celle-ci représente « le collectif à l’état de fantasme. Un mirage. Car la privatisation du bien public ne procède de rien d’autre que de la privation […] Privatiser un bien consiste pour les uns à en priver les autres du moment qu’ils ne paient pas un droit de passage afin d’y accéder »[8].
[1] Lisa-Marie Gervais, « Sommet sur l’enseignement supérieur - Pour une gouvernance «efficace» », (2013) En ligne. http://www.ledevoir.com/societe/education/371733/sommet-sur-l-enseignement-superieur-pour-une-gouvernance-efficace (page consultée le 5 mars 2013).
[2] Sutherland, S. L. et J. R. Mitchell, « L’Administration et le Parlement » dans Jacques Bourgault, Maurice Demers et Cynthia Williams, dir., Administration publique et management public – Expériences canadiennes (Québec: Les publications du Québec, 1997), 35.
[3] Alain Deneault, Gouvernance. Le management totalitaire (Montréal : Lux éditeur, 2013), 11.
[4] Lisa-Marie Gervais, « Sommet sur l’enseignement supérieur - Pour une gouvernance «efficace» », (2013) En ligne. http://www.ledevoir.com/societe/education/371733/sommet-sur-l-enseignement-superieur-pour-une-gouvernance-efficace (page consultée le 5 mars 2013).
[5] Sutherland, S. L. et J. R. Mitchell, « L’Administration et le Parlement » dans Jacques Bourgault, Maurice Demers et Cynthia Williams, dir., Administration publique et management public – Expériences canadiennes (Québec: Les publications du Québec, 1997), 35.
[6] Alain Deneault, Gouvernance. Le management totalitaire (Montréal: Lux éditeur, 2013), 18.
[7] Michel Foucault, Dits et écrits I : 1954-1975 (Paris: Gallimard, 2001), 1239.
[8] Alain Deneault, Gouvernance. Le management totalitaire (Montréal: Lux éditeur, 2013), 49.
Commentaires
L'une des raisons pour laquelle la hausse des frais de scolarité est un sujet si controversé est, entre autres, en raison d'une ambiguïté sur la nature de l'éducation. Rares sont les membres du mouvement étudiant qui s'opposeront à l'idée que l'éducation est un droit. À vrai dire, ceux-ci le répètent haut et fort lors de débats ou manifestations. À l'opposé, les gens pour l'indexation ou s'identifiant en tant qu'adultes responsables affirmeront plutôt que l'éducation est un bien comme un autre. Un investissement. Un service facilement quantifiable en raison de l'argent qu'il rapportera à long terme. Les deux positions sont pleines de bon sens et d'émotions. Toutefois, toutes les négociations portant sur la hausse des frais de scolarité seront un échec aussi longtemps que notre société ne sera pas sur la même page à ce sujet. Il va de même pour l'application de la bonne gouvernance dans ce dossier.