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Blogue 1 - Emilie Champagne - Corruption et données ouvertes

Corruption et collusion : voilà deux mots qui sont aujourd’hui sur toutes lèvres. Selon l’organisme non gouvernemental Transparency International, l’indice de perception de la corruption au Canada en 2011 était de 8.7 sur 10, 10 étant l’équivalent d’un pays exemplaire en matière de transparence[1]. Pourtant, il n’y a pas de cela très longtemps, le magazine Maclean’s décernait au Québec le très controversé prix de la province la plus corrompue. Ces dernières années, nous avons assisté à une parade impressionnante de scandales : commandites, processus de nomination des juges, industrie de la construction, compteurs d’eau… la liste est longue! Plus récemment, ce sont notamment le rapport Duchesneau, les déclarations de Lino Zambito à la Commission Charbonneau et la perquisition visant le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, qui ont retenu notre attention. Tout le monde le sait; le domaine de la construction au Québec en est un particulièrement corrompu et secret, bref, un terrain de jeu fertile aux ententes collusoires et aux abus de pouvoir. Le dernier rapport du Vérificateur général du Québec nous indiquait qu’en 2007-2008 seulement, le Ministère des transports du Québec a octroyé plus de 30 900 contrats d’une valeur égale ou supérieure à 1 000$, totalisant ainsi 3,6 milliards de dollars[2]. À la Ville de Montréal, c’est 1,5 milliard de dollars qui est attribué chaque année en contrats de biens et de services[3].

Or, une question demeure : que peut-on faire? Quelles démarches pouvons-nous entreprendre pour prévenir de telles malversations? Une chose est certaine : l’administration publique doit faire preuve de plus de transparence et d’ouverture.

À l’heure du Web 2.0, ce passage vers une plus grande transparence gouvernementale peut se faire en partie à travers les données ouvertes ou open data en anglais. Mais qu’est-ce que les données ouvertes me demanderez-vous? Ce sont des données gouvernementales disponibles dans un format standardisé et ouvert sous licence non restrictive, c’est-à-dire que ce sont des données qui peuvent être collectées, enrichies et recyclées par les citoyens pour diverses fins, commerciales ou non. Comme le mentionne le rapport du député Henri-François Gautrin, un plus grand accès aux données détenues par les gouvernements « […] nourrit les débats démocratiques, renforce la confiance des citoyens et leur permet de réutiliser ces données pour y apporter une valeur ajoutée et ainsi contribuer au développement de l’économie numérique »[4]. Plusieurs initiatives au niveau municipal ont d’ailleurs démontré l’intérêt que pouvaient représenter les données ouvertes : Zonecone, site qui permet de voir les travaux routiers en cours sur un itinéraire précis, Resto-net, site qui recense les rapports d’inspections sanitaires des restaurants de Montréal, ou encore MaMairie, qui permet de suivre l’activité des élus montréalais selon son arrondissement.

Mais quel lien y a-t-il à faire avec la corruption? Prenons le cas des contrats octroyés par la Ville de Montréal par exemple. L’administration du maire Tremblay avait annoncé le 1er avril 2011 que tous les contrats conclus ayant une valeur d’au moins 25 000$ seraient désormais répertoriés dans une base de données appelé le Système électronique d’appel d’offres (SÉAO). Toutefois, différents acteurs du mouvement des données ouvertes ont fortement critiqué ce système qu’ils qualifient de « fermé ». En effet, les données contenues dans ce système ne peuvent être exportées en format ouvert, certaines informations sont payantes et les droits d’utilisation et de licence ne sont pas clairement définis, ce qui freine les développeurs qui désirent tirer profit de ces données[5]. De plus, comme l’a souligné le journal The Gazette[6], aucune législation n’existe présentement pour obliger les organismes municipaux à publier leurs appels d’offres. Ces lacunes font en sorte que les appels d’offres, les offres soumises ainsi que celles qui ont été retenues, n’y sont pas tous répertoriés.

Imaginons un peu à quoi ressemblerait la situation si toutes ces données se retrouvaient sur le SÉAO. Les citoyens pourraient extraire cette information et l’analyser afin de déterminer si des actes de corruption ou de collision ont été commis. Par acte de corruption ou de collusion, nous pouvons penser à des ententes frauduleuses entre différents soumissionnaires pour décrocher un contrat ou faire augmenter leurs tarifs ou encore à des entreprises contrôlées par les mêmes personnes dans le but également de hausser les prix demandés par  les soumissionnaires. Ces situations ont pour conséquences de créer de la « fausse » concurrence et de faire lourdement gonfler les coûts qui, à la fin de la journée, sont assumés par les contribuables. Les tactiques décrites précédemment pourraient toutefois être décelées grâce aux données ouvertes. En effet, la disponibilité de ces informations pourrait dissuader les entrepreneurs de s’adonner à de telles pratiques puisqu’ils seraient sous la loupe des citoyens, journalistes, enquêteurs et autres organismes qui surveilleraient l’attribution des contrats et leur prix. Bref, l’ouverture de ces données pourrait favoriser une plus saine concurrence lorsque vient le temps de lancer des appels d’offres publics et nous pourrions ainsi éviter un gaspillage des fonds publics.

Qu’on se le tienne toutefois pour dit : je ne prétends pas que les données ouvertes constituent LA solution aux problèmes de corruption et de collusion dont souffrent le Québec et nos municipalités. Je soumets toutefois qu’une politique de données ouvertes forte et effective serait un pas dans la bonne direction et aiderait à prévenir de tels dérapages. La préservation de la confiance des citoyens à l’égard des institutions publiques est primordiale dans une société de droit comme la nôtre, mais pour ce faire, nos gouvernements doivent absolument agir de façon proactive et faire preuve de plus de transparence.

 



[1] TRANSPARENCY INTERNATIONAL (Page consultée le 4 octobre 2012). Site de l’organisme Transparency International, [en ligne], http://cpi.transparency.org/cpi2011/results/

[2] VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC (2009). Rapport du Vérificateur général du Québec à l'Assemblée nationale pour l'année 2009-2010, Tome II. « Chapitre 4 : Ministère des Transports du Québec : gestion de contrats présentant des situations à risque, p. 4-3 » http://www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2009-2010-T2/fr_Rapport2009-2010-T2.pdf (Page consultée le 4 octobre 2012)

[3] THE GAZETTE (Page consultée le 4 octobre 2012). Site du journal montréalais The Gazette, [en ligne],

http://www.montrealgazette.com/business/Secret+Society+Montreal+ignoring+transparency/5410459/story.html

[4] GAUTRIN, Henri-François (2012). Rapport « Gouverner ensemble : comment le web 2.0 améliora-t-il les services aux citoyens? », Québec,  Groupe de travail sur le Web 2.0, p. 60, http://www.mce.gouv.qc.ca/publications/rapport-gautrin-web-2-2012-03-06.pdf (Page consultée le 4 octobre 2012)

[5] QUÉBEC OUVERT (Page consultée le 4 octobre 2012). Site de Québec Ouvert, [en ligne], http://quebecouvert.org/article/post/le-systeme-electronique-drappels-droffres-du-quebec-ferme

[6] THE GAZETTE (Page consultée le 4 octobre 2012). Site du journal montréalais The Gazette, [en ligne], http://www.montrealgazette.com/business/Secret+Society+Montreal+ignoring+transparency/5410459/story.html

Commentaires

  • En effet, je crois que l’accès à des données ouvertes facilement compréhensible pour les citoyens est une étape fondamentale du développement de nos administrations publiques, autant pour favoriser de meilleurs comportements des fonctionnaires et des élus que pour assurer une reddition de compte plus complète aux citoyens. À l’aide des outils informatiques actuels, nous pouvons nous doter de moyens pour rendre accessible les données relatives aux interventions étatiques. Par contre, il faudra porter une attention particulière à respecter plusieurs principes afin que ces systèmes soient adéquats. Premièrement, le principe d’équité qui demande que chaque citoyen soit capable d’avoir accès aux données et de les comprendre. Deuxièmement, le principe de légalité puisque les données disponibles devront respecter la Loi à l’accès de l’information et la Charte des droits et libertés. Enfin, il faudra tenir compte du coût de montage et d’entretien d’une telle banque de données. Je crois qu’un système de données est une étape primordiale dans le développement de notre administration publique.

  • Un effort qui ...vaut la peine d'être lu et relu...! Prof

  • Je trouve cette suggestion excellente et ce serait effectivement équitable pour tous et amènerait certainement une saine concurrence. Déjà pour l'octroi de contrats, le meilleur prix est toujours celui que l'on regarde en premier et de là on se questionne lorsque la réponse à l'offre est à coûts si dérisoires à un point tel qu'il est pratiquement impossible pour un soumissionnaire de faire quelque profit que ce soit. Un soumissionnaire avec de telles intentions serait très téméraire s'il faisait publiquement de telles offres et la question serait facilement contrôlée. Ma préoccupation dans tout celà est que dans les circonstances actuelles, je ne crois pas que ce rêve que je partage avec vous madame Champagne se réalise dans les prochaines années. Il y a beaucoup trop de ménage à faire dans notre administration publique. Lorsque le temps sera venu de rendre toute cette information publique, d'autres modes de corruption auront déjà été mis en application et nous serons continuellement sceptiques et à la mercie de ses criminelles sans coeur. Monsieur Duchesneau disait à Arcand ce matin que certaines personnes avaient fait des commentaires à l'effet qu'il y a longtemps qu'une forme de tolérance et du jeu de l'autruche se fait et que de prendre un pourcentage de profits pour des contrats était normale et acceptable parce qu'il ne s'agissait pas de crime violent. M. Duchesneau n'était évidemment pas de cet avis et moi non plus d'ailleurs. La population a parfois cette tolérance et ferme les yeux sur des évidences mêmes et si elles avaient été dénoncées, nous n'en serions pas arrivés à cette corruption qui a pris des proportions catastrophiques. Tout cela ne date pas d'hier. Selon moi, ce sera la plus grosse commission de l'histoire du Québec. Mon rêve à moi est que la population se réveille et contribue à bâtir un Québec respectable avec une population qui se tient debout, protège ses droits et ses pairs au lieu de se taire et de faire semblant qu'ils n'ont rien vu.
    Anne-Marie Vézina

  • Bonjour Émilie,

    Je trouve que la ville de Montréal veut démontrer à la population qu’elle souhaite s’attaquer à la corruption et à la collusion en mettant divers moyens en place pour la combattre mais on peut se demander jusqu’à quel point ceux-ci sont vraiment efficaces. Comme tu le mentionnes dans ton blogue, les données ouvertes, ou « open data », constituent un excellent moyen. Or, on a l’impression qu’en cette matière, la ville fait les choses à moitié en n’affichant publiquement que les appels d’offre et les contrats octroyés qui ont une valeur de moins de 25 000$, en faisant payer les gens pour obtenir les données ou en utilisant un système fermé qui ne permet pas de les exporter comme dans un système ouvert. Je crois que si la vile voulait vraiment faire preuve de transparence, elle ne mettrait pas autant de limites à son système d’affichage public.

    Il existe un moyen extraordinaire de combattre la collusion et la corruption dans le domaine de la construction. Celui-ci a été présenté à l’émission « Une Heure sur terre », diffusée sur les ondes de Radio-Canada le 12 octobre dernier. On y présentait le Department of investigation (DOI), l’escouade anti-corruption de la ville de New-York qui sert de modèle un peu partout dans le monde. L’industrie de la construction a généré, à New-York en 2011, 60 milliards de dollars de revenus et la mafia y est très active. Avec un budget de fonctionnement de 20 millions de dollars, le DOI a réussi à récupérer 500 millions de dollars liés à la corruption en 2011. C’est ce qu’on appelle un bon investissement! Pour y parvenir, le DOI utilise une série d’importants pouvoirs que même le FBI n’a pas comme le DOI d’accès aux contrats, aux bases de données et aux locaux de la ville et ce, sans avoir besoin d’un mandat de perquisition. De plus, ce n’est pas la règle du plus bas soumissionnaire qui prévaut à New-York. La réputation de l’entrepreneur est importante. Pour pouvoir soumissionner sur un projet, les compagnies doivent obtenir un certificat de bonne conduite et ne pas avoir déjà été reconnues coupable de corruption. Enfin, une fois le contrat accordé, le DOI continue d’assurer la surveillance pendant l’exécution des travaux en envoyant des inspecteurs sur place pour s’assurer que les budgets et les délais seront respectés.

    Richard Deschamps, qui aspirait à succéder à la mairie de Montréal suite à la démission de Gérald Tremblay, avait d’ailleurs l’intention de mettre sur pied un bureau comme celui du DOI de New-York. Or, c’est Michael Applebaum qui a finalement été élu maire. Celui-ci a plutôt annoncé la création, dans les 100 premiers jours de son mandat, d’un comité-conseil en matière de lutte à la corruption et à la collusion. J’ai très hâte de voir les recommandations qui seront faites par ce comité et surtout, quelles seront celles qui seront mise en place. Je crois que c’est à ce moment seulement que nous saurons jusqu’à quel point les anciens élus du parti de Gérald Tremblay, dont fait partie le nouveau maire M. Applebaum, souhaitent que le système de collusion et de corruption soit combattu.

    Louis Falardeau

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