Bloque 2, Brigitte V. - Printemps québécois!
D’emblée vous croirez qu’il sera question du mouvement étudiant qui, au grand plaisir du gouvernement du jour, monopolise l’attention autant de l’électorat que des medias des quatre coins du Québec depuis plusieurs semaines. Et bien non. Le printemps québécois c’est aussi le temps des sucres, le temps du budget et, bien sûr, le temps des nids-de-poule. Puisque le temps des sucres est terminé et que le budget est resté pratiquement muet, encore une fois, sur le financement du réseau routier municipal, c’est de ce dernier enjeu dont il sera plutôt question.
Pour faire un peu d’historique, pourquoi ne pas parler que le gouvernement du Québec, dans un élan de décentralisation, a transféré aux municipalités, en 1993, la responsabilité du réseau routier local moyennant une enveloppe budgétaire relativement mince par rapport aux coûts réels d’entretien dudit réseau? Pourquoi ne pas parler du message du premier ministre du Québec lors de l’adoption du Plan québécois des infrastructures, en 2007, qui avouait que : « Les différents gouvernements qui se sont succédé au Québec au cours des 30 dernières années ont négligé l’entretien des infrastructures publiques. Collectivement, nous avions la tête ailleurs. »1 ou de celui de la ministre des Finances et présidente du conseil du trésor qui ajoutait, toujours en 2007 : « …nous proposons un projet de loi sur la bonne gestion des infrastructures. Son adoption ferait en sorte que l’époque où les Québécois assistaient au dépérissement de leurs infrastructures publiques serait à jamais terminée. »2 ? Pourquoi ne pas parler que : « …les actions des gouvernements qui se sont succédé au cours des dernières années ont contribué à la dégradation du réseau. Effectivement les budgets d’entretien ont fluctué d’année en année, répondant parfois davantage à des besoins électoraux qu’à ceux du réseau [routier] »3 ? Pourquoi ne pas parler de l’objectif de la Loi favorisant le maintien et le renouvellement des infrastructures publiques (L.R.Q., chapitre M-1.2) qui était de : « s’assurer que les investissements de l’État dans les infrastructures publiques soient faits conformément aux meilleures pratiques de gestion et de manière transparente et qu’il y ait une répartition adéquate de ces investissements entre ceux relatifs à l’entretien des infrastructures et ceux relatifs à leur développement. »4?
Pour faire le point, pourquoi ne pas parler qu’au Québec, le ministère des Transports est responsable de l’entretien de 30 000 km de routes tandis que les municipalités sont responsables de plus de 100 000 km? Pourquoi ne pas parler du rapport de gestion 2010-2011, du ministère des Transports du Québec, qui s’enorgueille d’atteindre ses objectifs de réhabilitation des chaussées fixés pour 2012? Pourquoi ne pas parler du communiqué émis par M. François Gendron, député d’Abitibi-Ouest, troisième vice-président de l’Assemblée nationale, qui dénonçait que : « Le gouvernement manque à ses responsabilités »5 et décriait l’inaction du gouvernement puisque « ce programme [d’aide à l’amélioration du réseau routier] n’a jamais été indexé depuis sa création, tandis que les coûts d’entretien, eux, ont explosé…il est évident que les municipalités ne peuvent assumer les mêmes travaux sans que ça leur en coûte le double ou presque depuis la création du programme en 1993. »6 Pourquoi ne pas parler : « du rapport Johnson, qui chiffrait à 500 millions par année pendant 10 ans les sommes nécessaires, uniquement pour résorber le déficit d’entretien du réseau routier…le Plan québécois des infrastructures, échelonné sur 15 ans, prévoit 400 millions par année en moyenne au cours des cinq prochaines années pour rattraper le temps perdu. »7
Pour essayer de comprendre, pourquoi ne pas parler que les municipalités, via l’UMQ (Union des municipalités du Québec) ou la FQM (Fédération québécoise des municipalités) restent tièdes devant le budget du Québec déposé le 20 mars dernier alors que le gouvernement annonçait l’investissement d’un maigre 9 millions auprès des MRC (Municipalités régionales de comté) au cours des deux prochaines années pour planifier les interventions à réaliser sur le réseau routier local et qu’il se dit : « …ouvert à consacrer jusqu’à 200 millions de dollars par année pour le redressement de la voirie locale. »8 alors qu’en 2002, la CRIQ (Coalition pour le renouvellement des infrastructures du Québec) déclarait que : « …375 millions $ sont nécessaires annuellement pour réhabiliter le réseau routier sous la responsabilité des municipalités. »9?
Pour dénoncer, pourquoi ne pas parler du Programme de transfert de la taxe d’accise sur l’essence et la contribution du Québec qui, depuis 2007, accorde aux municipalités une aide financière fixe pour la réhabilitation de leurs infrastructures, essentiellement d’eau et d’égoût, sans égard aux infrastructures routières? Pourquoi ne pas parler que le gouvernement du Québec finance la mise à niveau des infrastructures routières sous sa responsabilité au détriment de l’entretien normal et préventif des infrastructures routières qu’il a transférées aux municipalités? Pourquoi ne pas parler que : « les travaux d’entretien préventif, de préservation et de remise en état effectués au bon endroit et au bon moment permettent de faire passer la durée de vie utile de routes d’environ 17 à 50 ans. »10
Parce que ce n’est pas cela qui retient l’attention. Parce que « le monde oublie ». Parce que cela ne soulèvera pas de foules ni d’opinion publique négative envers le gouvernement. Parce que les municipalités vont s’arranger avec ça en taxant davantage.
Les municipalités ont cependant hérité de nombreuses responsabilités et obligations aux cours des dernières années : qu’on pense à la voirie locale, bien sûr, mais aussi à la sécurité publique (schéma de couvertures de risques en sécurité incendie), à l’environnement (stratégie d’économie de l’eau potable), à l’assainissement des eaux usées ou encore au développement économique (politique nationale de la ruralité). Les municipalités ne peuvent, elles non plus, soutirer à leurs contribuables plus que leur capacité de payer. Les municipalités doivent, elles aussi, avoir le souci de répartir le fardeau fiscal aux générations bénéficiaires.
Voilà qui nous ramène, encore et toujours, face à des choix… À des principes et des enjeux! Les municipalités prendront-elles le taureau par les cornes pour améliorer LEUR désormais réseau routier en endettant davantage, localement, les générations futures, sans égard à la possibilité d’un éventuel engagement du gouvernement, à plus ou moins long terme, à prendre ses responsabilités, ou feront-elles, à l’heure des décisions, comme le gouvernement du Québec, des choix « gradualiste » en les faisant paraître pour des « rationaliste »? Car, c’est ici, ce que le gouvernement a servi à tous. Alors que 63.1 % de ses infrastructures routières étaient en bon état en 2001, elles le sont maintenant pour 72.2 % d’entre elles en 2010. Aucune étude n’indique cependant quelle est le taux des routes en bon état pour celles relevant des municipalités qui sont sous financés depuis au moins 20 ans. Qui oserait dire que ce sont les municipalités, en acceptant que les compensations financières pour l’entretien du réseau routier local ne soient pas indexées depuis 20 ans, qui ont financé l’amélioration du réseau routier sous la responsabilité du ministère des Transports du Québec? Comme le gouvernement du Québec entend rattraper le déficit d’entretien de ses infrastructures routières en 2022, qui assumera le déficit d’entretien, voire le transfert financier inapproprié vers les municipalités, des infrastructures routières sous la responsabilité de celles-ci? Si cela doit être les municipalités, et bien que le gouvernement demande au législateur de modifier la Loi afin que les règlements d’emprunt à cet effet ne soient pas soumis à l’approbation référendaire! Si cela doit être les municipalités, alors que le gouvernement, par souci d’équité (comme pour les frais scolaires) ajuste les transferts, de façon à rattraper 20 ans de manque à gagner, qu’il aurait dû accorder aux municipalités, de façon juste et responsable!
Le printemps québécois, c’est, bien sûr, le temps des sucres, le temps du budget et le temps des nids-de-poule. Le temps des sucres s’est achevé promptement cette année à cause des températures trop clémentes. Le temps des nids-de-poule s’est achevé promptement cette année grâce à des températures très clémentes. Le gouvernement québécois n’a toujours pas réglé la grève étudiante cette année, pourquoi? Parce que ça fait son affaire…parce ce que quand on parle de cela, on ne parle pas d’autres choses!
Brigitte V.
Principes et enjeux, groupe du jeudi soir
Énap - campus de Montréal
1. Gouvernement du Québec, Plan québécois des infrastructures, message du Premier Ministre du Québec, monsieur Jean Charest, 2007.
2. Gouvernement du Québec, Plan québécois des infrastructures, message de la Ministre des Finances et Présidente du Conseil du Trésor, madame Monique Jérôme-Forget, 2007.
3. André Légaré & Associés inc., L’entretien du réseau routier du Québec, l’exigence de solutions durables, novembre 2005.
4. Loi favorisant le maintien et le renouvellement des infrastructures publiques (L.R.Q., chapitre M-1.2), art. 1.
5. GENDRON, François, Communiqué, Programme d’aide à l’entretien du réseau routier local 2011, « Le gouvernement manque à ses responsabilités », Amos, 29 avril 2011.
6. Idem 5
7. SANSFAÇON, Jean-Robert, Infrastructures – Les routes…et le reste, Le Devoir.com, 8 août 2011.
8. Fédération québécoise des municipalités (FQM), Communiqué, Réaction de la FQM au budget : des mesures positives qui tarderont à se matérialiser pour les municipalités, 20 mars 2012.
9. Idem 3
10. Bureau du vérificateur provincial de l’Ontario, op. cit., p.383, tiré de André Légaré & Associés inc., L’entretien du réseau routier du Québec, l’exigence de solutions durables, novembre 2005
Commentaires
Bien reçu Brigitte. Au banc des corrections déjà!