Blog 2 - Jean-François Cusson - En bon père de famille...
Le Québec traverse actuellement la plus importante grève étudiante de son histoire. En tant qu’étudiant en administration publique, ce conflit m’interpelle à plusieurs égards. Évidemment, mon statut d’étudiant fait en sorte que je suis directement concerné par les événements actuels. Cela dit, je suis avant tout un travailleur – cadre dans l’administration municipale – et les coûts de la formation que je suis présentement à l’ENAP seront, au final, défrayés par mon employeur. On pourrait donc penser que je n’ai pas vraiment à me soucier de la hausse massive des frais de scolarité annoncée par le gouvernement Charest puisque je n’en ferai pas, au sens propre comme au figuré, les frais.
Cette hausse anticipée n’aura pas d’impact sur mes finances, déjà bien affectée par les dettes contractées par de précédentes études. Et pourtant, j’ai le sentiment que la situation m’affecte au plus haut point, en tant que citoyen, étudiant et gestionnaire dans l’administration publique. Je voulais donc prendre le temps, ici, de présenter pêle-mêle quelques réflexions suscitées par cette situation.
En administration publique, on entend souvent l’expression « gérer en bon père de famille » (Bonus pater familia) pour qualifier les comportements et attitudes que devrait adopter les gestionnaires, le gouvernement, et plus largement, l’appareil de l’état. Cette expression signifie que le gestionnaire ou la personne morale en position d’autorité doit agir afin d’assurer la sécurité et l’équité pour ses administrés, en omettant de prendre des risques inconsidérés ou de lésés indument un membre de sa « famille ».
Dans l’état actuel des choses, il me semble que le gouvernement adopte une posture en totale contradiction avec ce principe, pourtant universellement reconnu dans les canons du droit public.
Le principe d’équité
La génération qui fréquente aujourd’hui les Cégeps et universités fera, si toutefois aucune modification à la décision du gouvernement n’est prise, les frais d’une mesure tout à fait inéquitable de la part de son père symbolique. Ainsi, pourquoi une génération aurait-elle à subir une augmentation de 75 % sans broncher, votée par des gens qui auront pu profiter d’un système d’éducation supérieur ouvert et accessible ? Si, comme le gouvernement libéral l’affirme, les frais de scolarité n’ont jamais été aussi bas (en dollars constants) depuis 1968, comment peut-on justifier d’en faire assumer le rattrapage par une seule génération ?
On pourrait rétorquer à cela qu’il n’apparaît pas équitable pour les contribuables n’ayant pas fréquenté l’université de devoir payer –via leurs taxes et impôts – pour ceux qui y étudient et qui auront, selon toute vraisemblance, un meilleur salaire qu’eux après leur diplômation. J’opposerai à cet argument simpliste celui des garderies à 7$ : pourquoi les gens sans enfant devraient-ils contribuer à payer pour ceux qui font garder les leurs à prix modique ? Parce que, comme le soulignait d’ailleurs une étude récente[1], c’est profitable pour la société dans son ensemble. Comme les études universitaires…
Le principe d’équité est aussi mis en cause, considérant la hausse prévue, en ce qui a trait à la question de l’accessibilité des études supérieures. Le gouvernement a beau bonifier le programme de prêts et bourses (c’est-à-dire, essentiellement, octroyer plus de prêts et faire en sorte, au final, d’alourdir encore plus le fardeau de la dette chez les étudiants), la hausse aura nécessairement un impact sur la fréquentation et l’accessibilité de l’université. Au Royaume-Uni, par exemple, la récente hausse des droits de scolarité a été marqué par une diminution d’environ 12 % de la fréquentation universitaire. Et on ne se le cachera pas, ce ne sont pas les plus nantis que freinent de telles hausses; ce sont au contraire les plus défavorisés, les jeunes issus de familles plus pauvres qui, loin d’entrevoir avec ravissement un avenir meilleur grâce à la poursuite d’études supérieures, voient plutôt poindre devant eu le spectre d’une dette importante.
Un père veille à la sécurité de ses enfants…
D’autre part, l’un des aspects qui me dérange le plus dans le conflit actuel – parce qu’il s’agit bien d’un conflit et d’une grève, et non d’un boycott comme le clame à tort et à travers le gouvernement – c’est l’intransigeance et l’absence choquante d’ouverture à la discussion de la part de Québec. Devant un tel mutisme, il est bien normal que la situation en vienne à dégénérer. Pour moi, les débordements dont nous pouvons être témoin à l’heure où j’écris ces lignes doivent être directement attribués au laisser-aller du gouvernement en place, qui persiste et signe dans sa stratégie de la terre brûlée et de l’épuisement du mouvement étudiant.
Dans l’état actuel des choses, il m’apparaît du devoir du gouvernement d’apaiser la situation et de proposer un dialogue. Au lieu de quoi, on semble délibérément attendre que des actes regrettables soient commis (menaces physiques sur des élus, saccages de bureau de ministres ou de sociétés d’état, etc.) afin de décrédibiliser le mouvement dans son ensemble et faire paraître ses militants comme des enfants qu’il faut discipliner (quand on ne le traite pas, tout bonnement, d’enfants-gâtés). Qui plus est, on assiste depuis quelques jours à des scènes absolument disgracieuses opposant des étudiants qui veulent assister à leurs cours à ceux qui tiennent les piquets de grève devant les établissements scolaires. Voilà bien une situation qui découle, encore une fois, de l’obstination malsaine du gouvernement (qui, ayant cédé sur de mauvaises décisions par la passé, semble dans la position absurde de devoir défendre coûte que coûte une mesure regrettable sous peine de se voir accolé, pour la énième fois, l’étiquette de la mollesse et de l’inconséquence).
En l’absence du père, le juge !
Cette contestation a été marquée dans les derniers jours pas un phénomène assez inusité – du moins en ce qui concerne le mouvement étudiant – la judiciarisation du conflit. En effet, depuis près d’un mois, les demandes et les jugements en injonction se multiplient auprès des tribunaux québécois pour forcer la tenue ou la reprise de certains cours.
Du point de vue de l’administration publique, l’actualité récente pose ainsi la question du rôle qu’on a joué les tribunaux dans la relation conflictuel entre, d’une part, le gouvernement et les établissements d’enseignement supérieur et, d’autre part, une bonne proportion des étudiants et les associations et fédérations qui les représentent.
Dans ce dossier, les requêtes en injonctions m’apparaissent soit 1- strictement égoïste (argument selon lequel la grève cause un préjudice personnel), soit 2 – strictement administrative (les établissements d’enseignement ne considèrent que les problèmes administratifs reliés à l’annulation ou à la prolongation d’une session). Paradoxalement, ces recours en justice sont rendus presque nécessaires considérant l’inaction du gouvernement : devant l’impasse qui perdure, il est tout à fait normal que des étudiants cherchent à sauver les meubles. De la même façon, il est tout aussi normal de voir les administrations des Cégeps et universités recourir à ces mesures étant donné la situation chaotique et ingérable dans laquelle les placerait l’annulation d’une session d’étude. L’absence d’ouverture du gouvernement les propulse dans une impasse où elles auront à se dépêtrer avec les contrats de travail du corps enseignant, la surutilisation des locaux et l’arrivée de nouvelles cohortes d’étudiants.
Il est malheureux de constater que, dans ce dossier, le gouvernement semble avoir complètement abdiquer ses responsabilités. À tous points de vue, il ne gère pas la situation en bon père de famille. Qui plus est, il s’attaque à un groupe de la société qui n’a pas encore un grand pouvoir économique, qui, du moins lors des derniers scrutins électoraux, s’abstient plus qu’il ne vote et qui est facilement infantilisable aux yeux de l’opinion publique.
Le bon père de famille est celui qui voit à long terme et gère les actifs dont il dispose de façon à les faire fructifier, sans prendre de risque indu. Nous nous trouvons malheureusement face à un mauvais père qui, comme s’il pouvait compenser ainsi, abuse du paternalisme.
[1] Radio-Canada.ca, « Les garderies à 7 $ sont rentables, selon une étude », http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2012/04/12/016-garderie-subventionnees-rentables.shtml (consulté le 14-04-12)
Commentaires
Bien reçu Jean-François. Au banc des corrections déjà!
Finit le mauvais père, la bonne mère est arrivée!
Effectivement le gouvernement en place durant la grève étudiante a abusé de son pouvoir exécutif. Non seulement a-t-il adopté une loi complètement ridicule (Loi spéciale 78), mais il a surtout réussi à briser le lien de confiance entre les étudiants et son gouvernement. Par son manque de dialogue, sa fermeture d'esprit et par son entêtement, il a soulevé la colère de non seulement une majorité d'étudiants québécois, mais de toute une population et même de citoyens étrangers!
Et oui, imaginez-vous que même en France dans la ville de Toulouse cet été, on pouvait entendre des gens taper sur leurs casseroles et scander: « Charest, t'es mort!, retourne dans ton plan nord! »
Maintenant que le père Charest est effectivement mort aux urnes lors des dernières élections et que la nouvelle mère du Québec, Mme Marois assurera de diriger le Québec, qu'adviendra-t-il du conflit étudiant?
Mme Marois semble avoir apaisé les étudiants qui étaient en grève par la promesse de l'abolition d'une part de la hausse des frais de scolarité et d'autre part de cette loi spéciale 78. Cela constitue d'excellentes nouvelles pour les étudiants qui sont pour la plupart bien occupés ces temps-ci par le rattrappage de leur session d'hiver qui a été interrompue.
Toutefois, si Mme Marois a pu profiter de ce conflit étudiant pour se faire élire première ministre du Québec, est-ce parce que les étudiants voulaient vraiment la voir élue ou parce qu'ils voulaient plutôt voir Charest disparaître jusque dans son plan nord?! Quels seront les effets réels sur ce conflit pour lequel les étudiants subissent toujours les contre-coups?
Est-ce que Mme Marois va vouloir trop materner au point de s'écarter du problème réel, soit la nécessité de restructurer le système administratif dans le système d'éducation au Québec (là où il faudrait vraiment couper)ou continuera-t-elle simplement d'éteindre les feux crées par les libéraux?
À suivre!
Dyna Hamdani
Au moment d'écrire ces lignes, la menace de grève des étudiants refait surface, du moins pour une journée. Je ne suis pas un fan fini de Jean Charest mais je lui lève mon chapeau pour s'être tenu debout devant ces manifestants. Dans ce dossier je pense simplement que les Québécois cherchaient une cause pour manifester et montrer au reste du monde que nous aussi ¨on est capable de brasser¨. Comme père de famille de 3 enfants je ne demande pas mieux que la gratuité scolaire jusqu'au doctorat mais comme payeur de taxes je crois qu'il faut fermer le robinet de l'État providence. Il me semble que des deux côtés on retrouve des gens intelligents et responsables. Jamais je n'ai entendu parler de négociations relatives à peut-être une remise sur l'investissement en tenant compte de la capacité de payer de l'individu. J'ai du mal à comprendre qu'un petit salarié paie plus d'impôts pour permettre à un étudiant de devenir médecin et que ce dernier devienne millionnaire en ouvrant sa clinique privée de chirurgie pour servir les mieux nantis de la société. je ne pense pas qu'il s'agit là d'un enrichissement collectif ! Un père peut aider ses enfants à démarrer dans la vie mais le faire à la hauteur de ses moyens est un geste intelligent et responsable. Oui pour l'accessibilité mais pas sur la VISA ! Je crois qu'il faut choisir dans le menu et fermer le buffet !