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Blog#2; Y. D. SOMDA: Le Pôle de croissance de Bagré ou le Plan Nord à la sauce Burkinabé

Au début des années 90, de nombreux pays en développement à l’instar du Burkina Faso ont été contraints par les institutions de Bretton Woods, et cela est un truisme, de mettre en œuvre des programmes d’ajustement structurel (P.A.S.). La finalité de ces reformes était entre autres choses que l’Etat devait réduire ses dépenses dans les secteurs non productifs et se désengager de ceux certes productifs mais qui ne relèvent  pas stricto sensu de ses prérogatives régaliennes. Il s’en est suivi par conséquent, comme on le sait, une vague de privatisation à la volée. En somme, ces Etats venaient de faire ainsi, du moins officiellement pour la plupart d’entre eux, leurs premiers pas dans l’ère de l’économie libérale. Il ne s’agira pas ici de discuter du bien fondé ou non de l’idéologie libérale ; le débat ayant perdu non pas définitivement son intérêt, mais progressivement son caractère passionnant, et, par suite, son intensité depuis la fin de la guerre froide et l’institutionnalisation  du phénomène de la mondialisation avec l’avènement de l’Organisation mondiale du commerce.  Il s’agira plutôt de s’interroger sur le rôle et la place de l’Etat face aux enjeux de développement économique dans cet ère mondialisé. Plus singulièrement, au regard des aspirations légitimes des populations à un niveau de vie de plus en plus élevé et des impératifs de favoriser une croissance économique continue et durable et une répartition juste et équitable des revenus, on est en droit de s’interroger sur la nécessité pour l’Etat de jouer  un rôle important à cet effet.  Sans remettre en cause le principe du libre marché, je pense que l’Etat doit jouer un rôle dynamique et proactif, de catalyseur  de la croissance économique et de réduction de la pauvreté. C’est sans doute dans cette même veine que le Plan Nord du gouvernement de Jean Charest s’inscrit. Il  existe des exemples de telles interventions étatiques dans nombre de pays développés.

Cependant, la question mérite d’être posée, car il me semble que cela n’a pas toujours été le cas au Burkina Faso. Bien au contraire, l’évolution montre un désengagement progressif de l’Etat dans des secteurs essentiels comme l’agriculture qui occupe plus de 90% de la population active. En effet, ce secteur jadis au centre des préoccupations des autorités publiques, surtout sous la Révolution de 1983 à 1987, a cessé d’être la priorité des gouvernants. Certes, la filière coton a toujours bénéficié de l’appui des autorités. Par ailleurs, on a pu observer une multitude de programmes et des projets divers au profit de ce secteur. Cependant, force est de constater que la mauvaise gestion et les détournements des fonds alloués ont conduit le plus souvent à des échecs cuisants. Le suivi et l’évaluation de ces programmes ou projets, quant ils existent pour les projets les mieux gérés, révèlent des résultats  mitigés. L’échec du secteur agricole est sans doute l’une des causes majeures de l’échec du Cadre stratégie de lutte contre la pauvreté mis en œuvre de 2000 à 2010.  Il a fallu attendre, la crise alimentaire de 2008 et les émeutes de la faim qui en ont résultées pour observer un sursaut de volonté  de la part des autorités politiques pour appuyer le secteur de l’agriculture.

Ainsi, avec la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable1 adoptée en 2010 pour la période 2011-2015, programme de développement très ambitieux d’un coût global de 7.496,2 milliards de FCFA - et comme pour nous rappeler la loi de Wagner et le  recours à la dette, il a fallu organiser une conférence internationale à Paris du 1er au 3 février 2012 pour mobiliser les 973,15 milliards qui manquaient au financement auprès des Partenaires techniques et financiers et des opérateurs privés – L’Etat Burkinabé semble jouer désormais le rôle approprié qui est sien pour la croissance économique. Par ailleurs, il faut dire que, en tirant les leçons des échecs antérieurs,  l’agriculture semble avoir retrouvé  une place prioritaire. A ce sujet, le Projet pôle de croissance de Bagré (PPCB) en est une preuve. Le Projet consiste pour l’essentiel en une mise en valeur des terrains situés en aval du barrage hydro-électrique de Bagré d’une capacité de retenue d’environ 1,7 milliard de mètre cube d’eau. Il s’agira d’aménager des parcelles pour la culture en irrigation totale des céréales comme le riz et le maïs etc., des fruits et légumes ainsi que des zones pour les activités pastorales, la pisciculture, l’agro-industrie etc.  Entrée en vigueur le 1er novembre 2011 et inauguré seulement le 5 avril dernier, le PPCB devrait permettre à terme la création d’au moins 30.000 emplois. Selon le site d’information lefaso.net :

    « L’on attend de la mise en œuvre du Projet 450 000 tonnes de production agro-pastorale (céréales, légumineuses, fruits et légumes) ; 1 250 tonnes de poissons ; 2 400 tonnes d’aliments pour bétail. De quoi contribuer significativement à l’autosuffisance alimentaire. En effet, Bagré dispose de grands atouts dans le domaine agricole. Le potentiel irrigable atteint 57 800 hectares avec des possibilités de sécurisation foncière sur 500 000 hectares déclarés d’utilité publique. Le barrage de Bagré a une capacité d’environ 1,7 milliards de mètres cubes. Les terres de la localité sont favorables à plusieurs types de production agro-sylvo-pastorale. L’on peut y faire de la production céréalière, la production horticole, la production d’oléagineux, la production d’aliments de batail avec l’existence d’une usine d’une capacité de 3 000 tonnes et l’aquaculture. »2

D’un coût total de 133,7 millions de Dollars US, dont 115 millions soit 86%  du coût total est financé par la Banque Mondiale et le reste partagé entre l’Etat (8%) et les bénéficiaires (6%), le PPCB fait « du secteur agricole un levier de la croissance économique »3. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est le fait que ce Projet reçoit un soutien conséquent de la Banque Mondiale, comme quoi, cette intervention de l’Etat est de bon goût. Et ici l’endettement de l’Etat semble ne pas correspondre à un « payement d’épicerie », mais plutôt un investissement productif à la condition que le projet soit très bien géré. Car, à la différence du Plan Nord québécois, sur lequel il ne peut peser à priori une présomption de mauvaise gouvernance, en raison notamment du contrôle très parcimonieux du Conseil du trésor et de l’Assemblée Nationale et même de la vigilance de l’opinion nationale, on ne peut accorder un tel bénéfice du crédit à la mise en œuvre du PPCB. Ici, le principe c’est la présomption, sans doute réfutable, de la mauvaise gouvernance qui pèse sur la mise en œuvre d’un tel Projet, au regard bien entendu des antécédents en matière de gestion des projets. Ainsi, même si le projet suscite de fortes espérances au sein de la population, il n’en demeure pas moins que l’opinion nationale en générale reste sceptique quant à sa mise en œuvre efficiente. Et cette donne semble ne pas échapper aux autorités qui s’emploient à prendre toutes les mesures pour assurer le succès de sa mise en œuvre. Cela d’autant plus que du succès de « Bagrépôle » dépendent la mise en œuvre d’autres pôles de croissance dans différente régions du Burkina Faso. Cette prise de conscience ne peut être exprimée plus clairement qu’en reproduisant ici in extenso un extrait d’un article du journal Bandré paru dans la presse nationale :

« Lors du lancement du Bagrépole le 05 avril dernier, le Premier ministre Luc Adolph TIAO, a évoqué avec une certaine insistance, la nécessité de mettre des soins dans l’exécution des projets en cours car le Président du Faso voudrait qu’à l’heure de son bilan, il puisse effectivement dire qu’il a apporté quelque chose de positif et de substantiel dans le développement de son pays. On remarque que le régime fait un point d’honneur, l’aboutissement des actions déjà engagées. (…) Pendant une bonne partie de sa présidence, les actions de Blaise dans le domaine économique, ont été marquées par des approximations, de l’improvisation et du populisme. Résultat, à la veille de la fin de son règne, le Président se rend compte de la misère extrême de ses concitoyens. On peut certes, contempler les immeubles de Ouaga et les villas dans les villes du Burkina mais la réalité reste implacable. C’est-à-dire que la prise de conscience du Président et de ses hommes du fait qu’une minorité de Burkinabé dont ils font partie s’est enrichie mais que la population est plus pauvre et qu’il faut travailler à améliorer ses conditions d’existence, cette prise de conscience, disons-nous, est un grand pas ! »4.

Cette prise de conscience est d’autant plus un grand pas qu’il s’agit ici d’enjeux essentiels tels que la croissance économique, la réduction de la pauvreté, la lutte contre le chômage, et par delà tout , l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Car comme aime à le répéter le politicien Laurent Bado, la priorité des priorités, la locomotive doit être l’agriculture et l’élévage. Il se  justifie en ces termes :

« … pendant la campagne présidentielle de 2005, tous les candidats, pour plaire aux pauvres, disaient que leur priorité, c’est la santé et l’éducation. J’étais seul à dire que c’était l’agriculture et l’élevage pour la simple raison que ceux qui tombent malades sont ceux qui ne mangent pas ou qui mangent mal ! C’est vrai ou faux ? Donc, plus l’agriculture et l’élevage augmenteront, plus la maladie diminuera. De même, à quoi sert de développer l’éducation, si c’est le chômage qui attend nos diplômés ? Par contre, quand l’agriculture et l’élevage d’abord, quand l’industrie et le commerce ensuite se porteront bien, la santé et l’éducation se porteront très bien »5

Les responsables politiques semblent partager aujourd’hui son point de vue.

En définitive, je souligne ici l’importance des enjeux économiques et le rôle positifs que doit jouer l’Etat. L’Etat doit intervenir certes, non pas avec amateurisme, mais avec professionnalisme. A cet effet, le mode de désignation des concepteurs et gestionnaires des programmes et projets y relatifs doit reposer sur des critères sérieux et non plus seulement sur les affinités politiques. L’Etat doit disposer non seulement de personnel bien formé et hautement compétent, mais aussi et surtout intègre. Et c’est là un autre enjeu !

 

 



2Projet pôle de croissance de Bagré : Une opportunité de tendre vers l’autosuffisance alimentaire, http://www.lefaso.net/spip.php?article47407&rubrique3

3 Pôle de croissance de Bagré : faire du secteur agricole un levier de la croissance économique » ;  http://www.lepays.bf/?POLE-DE-CROISSANCE-DE-BAGRE,5017

4 Blaise Compaoré hâte le pas ; http://www.lefaso.net/spip.php?article47434&rubrique21

Commentaires

  • Vivement qu,on atteigne l,auto suffisance alimentaire tant prônée depuis la révolution d'août1983.

    le thème est fort intéressant et illustre bien le rôle d,agent de développement économique et social de l,administration publique.En tant que pays en voie de développement, l,administration publique est le levier principal pour provoquer un changement durable dans la société ( jean mercier.l'administration publique, de lÉcole classique au nouveau management public. les presses de l'université laval, 2002. p.277 et suivants.
    Dans votre développement,vous posez le problème de l,intégrité des gestionnaires quant à la bonne gestion du projet. quelle solution pouvez vous proposer pour permettre aux burkinabè de retrouver leur intégrité?

  • Les Burkinabé ont longtemps eu la réputation d'hommes intègres et sont aujourd'hui encore qualifiés tels, à tort bien entendu. soyons clair, je ne dis pas qu'il n'existe plus d'hommes intègres au Burkina. Mais, ils sont désormais mis en minorité dans l'administration publique. Les fonctionnaires s'étant transformés en grand nombre en sportifs de haut niveau dans la corruption, les détournements de deniers publics etc. Le noeud gordien du problème c'est qu'il s'est créée au fil des ans une culture de l'impunité et même de la récompense des fonctionnaires indélicats. On le sait, le choix des directeurs de projets et autres gestionnaires de l'administration publique a reposé sur des critères d'affinité politiques, personnelles et non pas sur la compétence ou l'intégrité. La solution se dégage de cette analyse. Il faut juste revenir au valeurs traditionnelles c'est à dire la promotion de l'excellence et du mérite, la sanction sans pitié des gens qui dérivent, engager une lutte sans merci contre la corruption et surtout veiller à assurer à tous les Burkinabé une sécurité de bien être social. Les gens ont perdu leur intégrité justement parce qu'ils ont le sentiment que personnes ne s'occupe de l'intérêt général et que les hauts dignitaires sont plus soucieux de leur propre bien-être que du reste de la population. Aujourd'hui, ces responsables semblent l'avoir bien compris et je pense sont sur la bonne voix pour redonner aux Burkinabé leur qualité ancestrale la plus notoire au plan mondiale.: L'intégrité.

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