Pas de paix sans État et pas d’État sans contrat social
Les évènements du 11 septembre 2001 marquèrent le début de la guerre contre le terrorisme et par conséquent le début de la guerre en Afghanistan en décembre 2001. Depuis le début de la mission, nous recensons une perte de 152 militaires, deux travailleuses humanitaires, un journaliste et un diplomate. Cette guerre ne fait pas l’unanimité chez les Québécois. Elle pourrait coûter jusqu’à 18,1 milliards de dollars aux Canadiens si la mission se termine en 2011. [1] Toutefois, le gouvernement conservateur ne semble pas avoir l’intention de rappeler l’armée et l’opération pourrait donc être encore plus dispendieuse. De plus, sa pertinence est sévèrement minée par les déclarations de certains généraux militaires, dont Rick Hillier et Wesley Clark, qui croient que la mission en Afghanistan est vouée à l’échec. [2] [3] Pourquoi donc s’entêter à y rester? Ce texte se veut un plaidoyer pour le retrait de l’équipe tactique des forces armées Canadienne. Après un résumé de l’opération, nous observerons les facteurs qui justifient un changement des objectifs de la mission et un retrait de l’équipe tactique.
Le Canada intervient afin d’«aider les Afghans à reconstruire leur pays et à en faire une société stable, démocratique et autonome.»[4] Plus spécifiquement, les objectifs canadiens quant à l’Afghanistan sont de renforcer les institutions démocratiques et judiciaires afghanes, de faciliter la réconciliation politique entre les divers groupes afin d’assurer la pérennité de la paix, d’accroître la sécurité transfrontalière avec le Pakistan, d’augmenter la capacité d’action de l’armée et de la police nationale Afghane et de fournir les services essentiels à la population comme l’accès à l’eau, l’éducation et les routes. [5]
Pour réaliser ces objectifs, les forces armées canadiennes (FOC) composées d’environ 3000 soldats sont réparties en six équipes qui ont des objectifs précis. Parmi les différentes équipes, l’équipe provinciale de reconstruction «facilite la prestation d’aide à la reconstruction et au développement fournie par différents donneurs ou entrepreneurs étrangers.»[6] C’est d’ailleurs, à mon avis, le genre d’intervention que devrait faire l’armée canadienne en Afghanistan, soit une aide à la reconstruction et au développement. Complètement à l’opposé, le groupe tactique composé d’environ 1300 soldats participe à la plupart des combats et détient la mission d’épauler l’armée afghane dans la sécurisation de la province de Kandahar. C’est cette équipe qui a subi le plus de pertes à ce jour. [7] Ce type d’intervention n’est pas en respect des pratiques habituelles des FOC. En effet, le retrait de l’équipe tactique serait souhaitable puisque son mandat va à l’encontre de la souveraineté de l’État et est irréalisable considérant la situation sociologique du pays. La démarche canadienne actuelle pourrait se comparer à la théorie du FOCO d’Ernesto Guevara : selon cette théorie, le soutient populaire n’est pas nécessaire pour amorcer une révolution et le début d’une guerre peut créer d’elle-même la dynamique nécessaire au changement.[8] L’échec de la révolution bolivienne initié par le Che nous démontre bien que l’appui du peuple est nécessaire afin d’instiguer tout type de changement au niveau politique. L’Afghanistan ne peut avoir cet appui pour devenir un État démocratique, car il est composé d’une multitude de groupes ethniques n’utilisant pas une langue commune.
Rousseau définit l’essence du contrat social dans les termes suivants : «Chacun de nous met en commun sa volonté, ses biens, sa force et sa personne, sous la direction de la volonté générale, et nous recevons tous en corps chaque membre comme parti inaliénable du tout.» [9]
En appliquant la définition rousseauiste à notre époque, il semble impossible d’avoir une volonté générale lorsqu’il n’y a pas de cohésion entre les différentes ethnies d’un territoire. L’Afghanistan est divisé en plusieurs groupes ethniques dont les Pachtouns (38%), les Tadjiks (25%), les Hazaras ( 19%) les Ouzbeks (6%) et plusieurs autres petits groupes qui possèdent chacun leur langue et leurs coutumes.[10] Ils n’ont donc pas d’us et coutumes communs sur lesquels pourrait reposer une constitution respectueuse de chacun.
De plus, les FOCS font face à une guerre de guérilla qui selon Kiras doit reposer sur certains préceptes afin d’avoir le dessus sur une armée conventionnelle. Ces préceptes sont le temps, le territoire, le support ainsi que la légitimité.[11] Les guérilleros semblent avoir le dessus sur les FOC sur tous les points et particulièrement au niveau de la légitimité, car l’Islam joue un grand rôle dans la délégitimation de la mission canadienne. En effet, selon Oleson, contrairement au modèle occidental, le modèle islamique de légitimation reposerait sur la souveraineté divine et son objectif final serait d’éliminer « the lordship of man over man and to establish the kingdom of God on Earth». [12] Le schéma ci-dessous démontre le processus décisionnel islamique selon Oleson.
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Bref, le Canada ne doit pas nécessairement retirer tous ses soldats de l’Afghanistan, mais au moins ceux de l’équipe tactique qui se battent sur une base régulière afin de sécuriser la province de Kandahar. Cette équipe doit se retirer, car elle ne pourra pas réussir à instaurer la paix de façon permanente sans un appui massif de la population locale qui, comme nous l’avons vu, est peu probable dû à la nature pluriethnique de l’Afghanistan. C’est donc sur l’éducation de la population afghane que devraient se concentrer les FOC afin de pouvoir bénéficier d’un support et d’une légitimité accrue. De plus, le Canada se doit d’aider économiquement l’Afghanistan à travers le développement de nouveaux secteurs économiques. En ce moment, la culture de l’opium occupe une très grande place dans l’économie afghane et freine son développement.[14] C’est le peuple afghan qui se débarrassera de la tyrannie des talibans, mais pour ce faire il doit pouvoir vivre de cultures alternatives à l’opium et détenir une éducation suffisante pour comprendre la source de son aliénation.
Dominic Fontaine
Bibliographie
Baylis, John et al. 2007. Strategy in the contemporary world : an introduction to strategic studies. Oxford : Oxford University Press 392p.
Canada. Ministère de la Défense nationale.2010. Approche du Canada. En ligne.
Cox, Jim. Division des affaires politiques et sociales. 2007. Afghanistan : La mission militaire Canadienne. En ligne. http://www2.parl.gc.ca/content/lop/researchpublications/prb0719-f.htm
Olesen, Asts. 1995. Islam and politics in Afghanistan. Surrey : Curzon Press. 351p.
Rotberg, Robert. 2007. Building a new Afghanistan. Washington, D.C : Brookings Institution Press 242 p.
Rousseau, Jean-Jacques. 1964(1887), Du contrat social. Paris : Édition Gallimard 535p.
Université Laval. 2009. Afghanistan. En ligne. http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/afghanistan.htm
[1] http://www.ledevoir.com/politique/canada/210042/200-millions-par-mois-pour-la-guerre-en-afghanistan
[2] http://www.ledevoir.com/politique/canada/272685/l-otan-en-afghanistan-la-mission-etait-vouee-a-l-echec-dit-le-general-rick-hillier
[3] http://www.cyberpresse.ca/international/moyen-orient/200909/29/01-906801-la-strategie-en-afghanistan-est-vouee-a-lechec.php
[4] Canada. Ministère de la défense nationale.2010. Approche du Canada. En ligne.
http://www.afghanistan.gc.ca/canada-afghanistan/approach-approche/index.aspx?lang=fra&menu_id=13&menu=L
[6] Cox, Jim. Division des affaires politiques et sociales. 2007. Afghanistan : La mission militaire Canadienne. En ligne. http://www2.parl.gc.ca/content/lop/researchpublications/prb0719-f.htm
[8] Baylis, John et al. 2007. Strategy in the contemporary world : an introduction to strategic studies. Oxford : Oxford University Press 216
[10] Université Laval. 2009. Afghanistan. En ligne. http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/afghanistan.htm