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Mon petit Québec

«Le monde est un piège qui prend la forme de la parole»

Jean d'Ormesson

 

Lorsque j'étais plus jeune, le Québec était un lieu de grandes réalisations : Manic 5, l'invention des lignes de haute tension, la création d'une île au milieu d'un fleuve.  Aujourd'hui, mon Québec est un lieu où un viaduc peut à tout moment céder, où la mafia contrôle les appels d'offres d'un chantier de construction, où un projet avorte par pur opportunisme électoral (la re-fusion des villes) ou par les pressions de groupes minoritaires (le projet d'agrandissement du Casino de Montréal).  Lieu de scandales de tout acabit, le Québec se retrouve à la une d'un magazine anglais comme étant The most corrupt province in Canada![1]  Les dernières nouvelles ayant trait au trafic d'influence et aux enveloppes brunes dans le monde municipal doivent réjouir l'auteur de ce papier. 

 

Dans un récent sondage, Auguste Reids (La Presse), 75%[2] des répondants disent être en accord avec ce sentiment de corruption généralisée.  Moins d’un Québécois sur dix croit le maire Vaillancourt.[3]  Une pétition sur Internet récolte plus de 200,000 noms en quelques jours, une première au Québec, pour demander la démission du premier ministre Jean Charest.  La droite semble être de mise un peu partout dans le monde politique, tant ici au centre du pays qu’à Québec où le gouvernement provincial libéral est dirigé par un ancien conservateur fédéral.  Comment en sommes-nous arrivés là nous qui avions de si grandes aspirations dans les années 60-70?

 

En effet, les années 60 et 70 ont donné naissance à un peuple et à une  identité nationale forte.  Que nous ont donné les décennies suivantes? Deux référendums, la nuit des grands couteaux (entente constitutionnelle sans l’accord du Québec), des scandales politiques, une désaffectation de l’espace public entre autres aux urnes, une syndicalisation à outrance ressemblant étrangement à l’ancien régime patronal dénoncé à ses débuts, des déficits gênants et un état lamentable des infrastructures communes, hôpitaux, écoles, routes et viaducs.  Trop d’histoires en ce sens démontrent ces tristes énumérations.  Que sont devenus nos héros et où sont ceux en devenirs?

 

Pierre Clame dans La démocratie en miettes dit que :

« …dans la plupart des sociétés, l’adoption de valeurs et de règles communes est si importante qu’elles éprouvent le besoin de se référer à une transcendance ou à des mythes pour soustraire en quelque sorte ces valeurs et ces règles au jugement des contemporains»[4]

 

Malgré les réformes substantielles entreprises par les gouvernements dans les années 70, Commission Cliche, Loi sur le financement des partis politiques, Charte des droits et libertés comment en sommes-nous arrivés à contourner des mesures que nous avions mis en place pour nous protéger d’un tel dérapage?  Comment en sommes-nous arrivés à ne plus croire en la parole des politiciens, pire à douter de nos institutions? 

 

Philippe Breton, sociologue français, dans La parole manipulée pose la question suivante: «La sensation de vivre dans un "univers menteur" n'est-elle pas à l'origine de formes nouvelles d'individualisme et de repli sur soi?  L'auteur pousse encore plus loin sa réflexion en affirmant que : «L’homme met du sens partout et que s’accorder sur un minimum de points de vue communs nécessite un gigantesque travail pour des résultats toujours assez modestes  et toujours à recommencer.»

 

Cela n’est pas sans nous rappeler le débat entourant le terme de «petit peuple » utilisé par Pauline Marois lors de la période de questions à l’Assemblée nationale?  A trop vouloir s’attarder au sens profond des mots, on finit par perdre l’essence même du discours que nous cherchions à communiquer.  Est-ce là le seul vrai enjeu de nos débats politiques?  Est-ce là le problème de notre politique actuelle?  Une difficulté de communication, de compréhension où l'information continue défile en boucle les mêmes nouvelles (qui n'a pas vu les tours jumelles s'effondrer?) réduisant ainsi la portée du vrai message pour ne retenir qu'un clip de 10 secondes à tendance sensationnelle?

 

Cela me rappelle L'écran du bonheur de Jacques Goodbout dans lequel celui-ci mentionnait en 1986: «L'influence des vidéo-clips sur la démocratie a peut-être dépassé l'effet d'entraînement visé par l'industrie du disque.  L'impact audiovisuel fut au départ, fulgurant: un langage primaire au niveau des sons et des paroles, inlassablement repris, de courte durée, s'adressant aux adolescents et à ceux  qui le restent, fit rapidement croire qu'était venu le temps de tout penser en vidéo-clips.9

 

Pour l'auteur Philippe Breton cela questionne les nouvelles sources de l'individualisme qu'on vit en ce moment.  Celles-ci se traduiraient par un effacement du lien et des tissus sociaux.   Ce qui pour l'auteur s'expliquerait par un désynchronisme social, le contraire d'une société holiste.  «Les sociétés individualistes cultivent pour le meilleur comme pour le pire, toutes les formes de la désynchronisation sociale, qui est le prix de l'autonomie des individus.»

 

Il conclut que dans un monde où plus personne ne fait partie de rien, nous sommes « bien peu résistant devant la manipulation ».  En partant de ce constat, nous pourrions croire que toute forme d'éthique, ce qui semble lourdement manquée actuellement à beaucoup de nos politiciens, pourrait s’avérer impossible à appliquer.  En effet, si on se fie à la définition de Boisvert, Jutras, Legault Marchildon: « L'éthique est le seul mode de régulation des comportements qui provient d'abord du jugement personnel de l'individu »[5]. Cette part de jugement individuel ne pourrait exister en raison de cette désynchronisation sociale.  Toujours selon ces auteurs, c'est le caractère « autorégulatoire qui distingue l'éthique des autres modes de régulation parce qu'il laisse une grande place à l’autonomie et à la responsabilité individuelles[6].  Tenant compte de ces affirmations, la solution serait-elle de briser l’isolement en revenant à des projets collectifs et rassembleurs, tant politiques que sociaux, avec à leurs bases une vraie participation sociale du citoyen aux mécanismes décisionnels.  Ceci me rappelle la campagne référendaire du OUI de 95 qui proposait des projets de société comme nous n’en avons pas vus depuis. 

 

Toutefois, à la base de tous projets de cette nature un état des lieux devrait être fait afin de faire place aux vrais échanges ayant comme assise l’éthique.  Sans celle-ci aucune réappropriation de l’espace public par le citoyen ne saurait être possible si celui-ci ne croit pas aux instances qu’il interpelle car « ...l'éthique nous fait comprendre que les divers modes de régulation des comportements sont à la fois distincts, emboités et complémentaires (...) elle interroge  les repères traditionnels - lois, règles, normes, mœurs vertus et valeurs »[7]

 

Avec de grands « success stories » internationaux tels que le Cirque du Soleil, les mises en scène de Robert Lepage, les cinéastes tels que Arcand, Girard, Villeneuve, le Québec, entre autre l’administration publique, doit, pour ne pas se s’éteindre, innover et travailler à être parmi les meilleurs, et ce, dans une perspective de mondialisation. 

 

Sans cette réussite, le Québec restera, selon moi, le parent pauvre de ce pays et pour plusieurs, un p’tit Québec, voir un petit peuple.  Petit, oui, mais si grand quand il se donne les moyens de porter sa parole et son identité au-delà de ses frontières.  Toutefois la dichotomie politique et identitaire propre à notre histoire de minoritaire ferait-elle de nous un perpétuel peuple en quête de l'impossible étoile?

 

Est-ce que le Québec, bulle de langue française au nord d'un continent, serait en fin de compte comme le dirait Boris Cyrulnik à propos de la résilience:  Un merveilleux malheur...?[8]

 

 

Sylvain Le May

2e cycle

École Nationale d'Administration Public



[1] Macleans, septembre 2010

[2] Journal La Presse 20 novembre 2010

[3] Journal La Presse, 20 novembre 2010

[4] Calame, Pierre, La démocratie en miettes (2003), Les fondements éthiques de la gouvernance et l’institution de la communauté, http://www.institut-gouvernance.org/fr/analyse/fiche-analyse-312.html

9 Godbout Jacques, L'écran du bonheur, La vie en vidéoclips, Boréal compact, Édition 1995, page 101

[5] Boisvert, Jutras, Legault Marchildon, Petit manuel d'éthique appliquée à la gestion, 2003, Liber, chapitre 4, p.44.

[6] ibid

[7] Boisvert, Jutras, Legault Marchildon, Petit manuel d'éthique appliquée à la gestion, 2003, Liber, chapitre 4, p. 55

[8] Un Merveilleux Malheur (Odile Jacob, 1999) Boris Cyrulnik est aussi l’auteur d’une douzaine d’autres livres, dont Naissance du sens (Hachette, La Villette, 1991) et L’ensorcellement du monde (Odile Jacob, 1997).

 

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