Pour ou contre: Nos impôts servent à financer la procréation assistée?
Par Anouk Racette
ENP-7505 (cours du mardi 18h- session automne 2010)
En août 2010, le ministre Bolduc annonce le lancement de son programme pour financer la procréation assistée dans le régime centralisé de l’assurance maladie. Le programme comprend le remboursement des activités médicales, des médicaments liés à l’insémination artificielle et trois (3) cycles de fécondation in vitro. Ce programme prend ses racines dans la loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et les deux (2) règlements encadrant ces services.
L’objectif avoué de ce programme est de réglementer afin de mettre en place de meilleures pratiques et de diminuer le nombre de grossesse à bébé multiple. Ces dernières entraînant, au Québec, des frais importants dus à l’hospitalisation, les soins postnataux et l’invalidité à long terme des bébés de petits poids imputables à ces grossesses. En effet, 50% des grossesses in vitro aboutisse à des grossesses à bébé multiple. En Suède, un programme similaire a permis de réduire les grossesses multiples à 5%. Dans les 25 pays qui ont adopté des programmes similaires, force est de constater que ce genre de programme semble efficace.
La mise en place de ce programme est clairement un choix politique et social. À aucun endroit dans la charte canadienne des droits et libertés, ou dans la charte québécoise, on ne retrouve une référence au droit à avoir des enfants mais au Québec les enfants sont une valeur, à défaut d’être constitutionnelle, disons sociale. Ce programme a pu voir le jour car le gouvernement a accepté de reconnaître l’infertilité comme une maladie (comme l’avait déjà fait l’OMS en 2006). Des milliers de couple québécois veulent des enfants mais sont incapables de se reproduire. Devant ce constat, et les manifestations en faveur de l’intervention de l’état, l’état est intervenu.
En adoptant ce programme, le gouvernement prend une position ferme pour la natalité au Québec (cette mesure s’inscrit dans la lignée des programmes tels que le congé parental depuis janvier 2006, les garderies à 5$ en 1997 puis 7$, …). Bien que le choix d’avoir des enfants est un choix personnel, les groupes d’intérêt ont prôné que si plusieurs personnes avaient le même problème (au Québec 1 personne sur 8 soufrerait d’infertilité) et que le gouvernement pouvait agir, en vertu du principe d’équité, le gouvernement peut légiférer pour aider ce groupe dans leur demande, voir s’assurer que les soins fournis à travers la province soient harmonisés et ce, à des coûts comparables. D’autre part, dans un état où la population veut un meilleur équilibre, ou partage des richesses, il n’est pas surprenant que le gouvernement intervienne dans des sphères traditionnellement sous juridiction du privé.
Comme toute décision en administration publique elle est soumise à la critique de la population. Dans notre état de droit tous ont la « liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication » d’où les pages noircies par la passion que cette décision a soulevée.
Les opposants à cette législation s’appuieront sur deux principes de base soit la capacité, ou l’incapacité, de l’état à payer et le caractère universel de la législation déposée. La majorité des citoyens ne peuvent être contre une mesure de santé publique, tant pour les mères que pour les enfants à venir mais, ne peut-on pas simplement réglementer sans financer? L’état québécois a de ressources limitées, des besoins grandissants dans les CHSLD, dans les urgences pour ne nommer que ces deux derniers. Pourquoi ne pas s’occuper des québécois existants plutôt que d’en ajouter? Ce programme coûtera 25 millions la première année et jusqu’à 80 millions à terme en 2012.
D’autre part, pourquoi appliquer universellement ce programme? Certains citoyens ont les moyens de payer, ils pourraient payer. D’autres veulent des enfants mais ne vivent pas selon les conditions naturelles pour se reproduire. Pourquoi l’état devrait-il payer pour les gais, les femmes monoparentales ou les femmes qui sont à la porte de la ménopause? Les couples composés d’individus de 18 à 40 ans, seraient plus susceptibles d’être concernée par la “maladie” de l’infertilité. D’autre part, en lien avec les quotas, une sélection restrictive diminuerait probablement les listes d’attente qui seront inévitables avec l’arrivée de ce programme.
À l’opposé, les partisans défendront que ces nouveaux enfants, provenant de toutes les classes sociales, fourniront 1400 nouveaux contribuables. Ils considèrent l’importance du besoin humain basé sur des principes sociaux à défaut de légaux. Ils considèrent que le financement diminue le stress, la frustration, la dépression, les malaises physiques ainsi que le déséquilibre des individus et des couples qui entament une démarche pour enfanter mais qui vivent la déception entraînée par l’échec du plan de vie. Sans s’opposer au concept de la capacité de l’état à payer, ces derniers diront qu’il faut continuer d’investir dans les enfants au Québec si on veut ralentir la tendance de notre courbe démographique inversée. D’autre part, ils rappellent que des quotas sont imposés pour chaque année contrôlant les coûts associés à ce programme.
Sur la base des éléments mentionnés précédemment, je suis obligée d’admettre que ce programme n’augure pas une rentabilité financière digne d’une grande entreprise même si, d’après les prévisions, les économies en soins périnataux devraient compenser les coûts du programme. Heureusement pour le Québec, les décisions en administration publique ne sont pas essentiellement prises en fonction de la rentabilité et du profit. L’administration publique se préoccupe des intérêts de la société et des générations futures.
En contre partie, les dépenses doivent être approuvées et conformes aux ententes préétablies. Le ministre de la santé est imputable des dépenses de ce programme. Les dépenses associées à ce programme deviennent des dépenses actives avec des objectifs sociaux pour remédier aux inégalités, pour soutenir tous les québécois qui veulent des enfants. D’autre part, la réponse à la préoccupation en lien avec l’universalité trouve son fondement en partie dans les principes de la Loi Canadienne sur la santé. En effet, en plus de la gestion publique, de l’intégralité, de l’accessibilité et de la transférabilité, le régime québécois, pour être subventionné, doit également être universel. Ce principe peut être contesté mais, dans les faits, il est incontournable s’il n’y a pas de contre-indication médicale. D’autre part, la charte québécoise des droits et libertés garantie l’égalité. Bien qu’elle ne soit pas constitutionnelle (contrairement à la charte canadienne), elle fait partie des lois constituantes de l’état québécois.
Finalement, je conclurai en rappelant que l’administration publique est au-delà de la science, il comprend une part artistique. Lorsqu’il y a des besoins qui émergent et que l’état a la volonté d’aller dans une direction, de répondre à ce besoin, l’état peut innover en se basant sur différents modèles.
Commentaires
Au-delà de la juste question de la disponibilité des fonds du gouvernement du Québec pour mettre en place ce vaste programme et assumer les coûts des traitements de fécondation assistée, se pose la question de la disponibilité des places dans les maternités de nos hôpitaux. Plusieurs articles ont paru récemment dans nos quotidiens faisant état des craintes des gynécologues et autres médecins du réseau de la santé. En effet, les hôpitaux ne disposent présentement pas de suffisamment de lits ni du personnel requis pour faire face au mini baby boom que connait présentement le Québec. Qu'arrivera-t-il lorsque le nombre de femmes enceintes explosera grâce à ce nouveau programme ? Comment trouveront-elles un médecin pour assurer le suivi de leurs grossesses ? Où ces femmes accoucheront-elles? Mais surtout, dans quelles conditions ? Il est avéré que les femmes ayant recours à la fécondation in vitro ont plus de chance d’avoir des grossesses à risque et d’accoucher prématurément. Les services de néonatalogie de la région de Montréal fonctionnent déjà à plein régime. Est-ce que le gouvernement du Québec s’est même posé ces questions avant de lancer son programme, au demeurant très intéressant pour les couples infertiles ? Avons-nous collectivement les moyens de ces ambitions ?