Les mesures d'équité à l'embauche pour les minorités visibles
Par Elsa Mouana - ENP7505 - Mardi soir
Le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur l’équité en matière d’emploi en 1986. Presque une décennie plus tard, elle a été remplacée par la nouvelle Loi sur l’équité en matière d’emploi de 1995 visant à :
- corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les quatre groupes désignés, soit les Autochtones, les femmes, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles;
- appliquer le principe selon lequel l’équité en matière d’emploi requiert, outre un traitement identique des personnes, des mesures spéciales et des aménagements adaptés aux différences.
En 2000, le gouvernement du Québec a enchaîné le pas en mettant sur pied la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics. À ce sujet et selon le ministère des ressources humaines et du développement social du Canada, certains progrès ont été accomplis entre 1987 et 2000 en ce qui concerne l’équité à l’embauche pour les minorités visibles :
« En 1999, les minorités visibles ont obtenu 10,7% de l’embauche, comparativement à leur taux de disponibilité de 10,3% et 14,1% des promotions, comparativement à leur taux de représentation de 10,5%. En 1987, elles avaient bénéficié de 4,8% de l’embauche et de 7,3% des promotions. [1] »
L’aspect qui nous préoccupe plus particulièrement est celui des mesures d’équité à l’embauche, spécifiquement auprès des personnes issues des communautés culturelles, puisqu’il s’agit d’une étape cruciale pour réussir l’accès à l’emploi. D’ailleurs, dès 1975, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec condamnait à l’article 10 toute discrimination fondée sur la race, la couleur (…) et les articles 16, 18 et 18.1 réfèrent à l’embauche et à certaines étapes du processus telles que : la réception, la classification et le traitement d’une demande d’emploi (a. 18) ainsi qu’à l’information demandée dans un formulaire d’emploi ou lors d’une entrevue. On peut donc facilement comprendre pourquoi ces étapes font l’objet d’une attention particulière chez la plupart des employeurs soucieux de se conformer aux lois et d’être et de demeurer des employeurs équitables.
En 1997, dans une étude de la fonction publique, intitulée Les minorités visibles et la fonction publique du Canada, le sociologue ontarien John Samuels démontrait que les groupes de minorités visibles étaient confrontés à de nombreux obstacles lors du processus de recrutement. Il met en évidence certains aspects du système de dotation qui constituent une barrière pour les candidats des minorités visibles lors du processus d'embauche. Il parle notamment des méthodes d'embauche inflexibles, des processus « manipulées en faveur de candidats présélectionnes », des préjuges « culturels » lors du processus de sélection et de la déresponsabilisation dans le processus d’équité en matière d'emploi. Il conclue que le taux d'embauche des minorités visibles au gouvernement fédéral était inférieur à celui des entreprises privées.
Une étude datant de janvier 2004, réalisée par la Direction de la population et de la recherche au Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, a mis en lumière les difficultés éprouvées par les immigrants pour trouver du travail dont une attitude négative par rapport au fait d’être immigrant pour 21 % des répondants ou relative à l’origine pour 19 %. Par ailleurs, 40 % des répondants originaires de l’Afrique hors Maghreb ont expérimenté, lors de leurs démarches de recherche d’emploi, des difficultés liées à leur origine ou au fait d’être immigrants, une proportion deux fois supérieure à la moyenne de l’ensemble des répondants.
Récemment, la publication des chiffres du dernier recensement par Statistique Canada est venue relancer le débat et tout particulièrement au sein de la communauté maghrébine. En effet, alors que le Québec affiche un taux de chômage de 7 %, celui-ci grimpe à près de 28 % chez les immigrants maghrébins, 20 % pour les personnes issues d’Afrique noire et à 17,8 % pour la communauté haïtienne. Les recherches de nature qualitative comme quantitative semblent donc refléter la réalité dont on peut être observateur au quotidien, celle de la discrimination en matière d’emplois, bien souvent basée sur une peur de la différence car incomprise.
Parmi les programmes mises en place par la fonction publique canadienne, on compte le Programme fédéral de soutien aux organismes volontaires (1978) conçu pour l’industrie privée et qui a été étendu un an plus tard (1979) aux entreprises publiques et aux organismes ayant une relation d'affaires avec le gouvernement. En 1983, ce programme était entièrement établi dans tous les ministères de la fonction publique. La même année, la juge Rosalie Abella met sur pied une commission d'enquête pour analyser la problématique de l'égalité des chances en emploi. En novembre 1984, dans son rapport nommé Égalité en matière d'emploi, la juge Abella note que « l’équité en matière d'emploi est une stratégie conçue pour effacer les effet actuels et résiduels des actes de discrimination et pour rendre équitable la concurrence pour les possibilités d'emploi pour ceux et celles qui ont été arbitrairement exclus ».
Par ailleurs, la Commission de la fonction publique (CFP) du Canada s’est vue attribuée la responsabilité de créer un système de nomination impartial et exempt d’obstacles afin d’assurer la prise de mesure d’adaptation pour les personnes participant à un processus de nomination. De fait, « la Loi canadienne sur les droits de la personnes établit, en partie, le principe de l’égalité des chances et elle interdit les pratiques d’emploi discriminatoires fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur de la peau (…). » Ainsi, « elle décrit les obligations juridiques par rapport à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation – jusqu’au point d’une contrainte excessive et elle autorise l’établissement de programmes spéciaux pour réduire les désavantages.[2] »
Une autre initiative de la CFP fut son partenariat avec le Groupe de travail sur la participation des minorités visibles dans la fonction publique fédérale. Cette association a permis l’élaboration d’un plan d’action intitulé Faire place au changement. En effet, depuis l’approbation de ce dernier par le Gouvernement du Canada en 2000, la CFP a contribué au recrutement à la fonction publique fédérale de plus de 4 000 personnes issues des groupes de minorités visibles. Avant l’accomplissement de celui-ci, les nominations des membres de minorités visibles à la fonction publique s’établissaient à 6,4 %. En 2000-2001, ce pourcentage s’est fixé à 8,3 % alors qu’en 2001-2002, l’on comptait 10,3 % de minorités visibles dans la fonction publique fédérale.
Toutefois, même si la CFP a identifié des pratiques exemplaires dès l’an 2000, elle a rapidement réexaminé la gestion des pouvoirs de recrutement et de dotation en matière d’équité en emploi dans la fonction publique au début de l’année 2003. Elle a soulevé, entre autres :
§ un manque de souplesse pour répondre aux changements démographiques dans la société canadienne et aux initiatives comme Faire place au changement ;
§ la nécessité d’une interprétation plus large de la « sous-représentation » à la base de l’utilisation et de l’application des programmes d’équité en emploi ; et
§ la nécessité de renforcer la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
De toute évidence, l’absence d’un cadre comportant des principes directeurs n’a pas permis à la CFP de combler les écarts souhaités. Le Cadre pour les programmes d’équité en emploi accède justement à l’atténuation des écarts grâce aux critères suivants :
1. le programme d’équité en emploi doit faire avancer l’égalité ;
2. le programme d’équité en emploi doit corriger un désavantage authentique ;
3. le programme d’équité en emploi doit être proportionnel au degré de sous-représentation ou au désavantage ;
4. les incidences du programme sur des tiers, comme des membres de groupes non désignés, doivent être prises en considération ; et
5. les programmes d’équité en emploi sont temporaires et leur nécessité doit être examinée périodiquement.
À ce sujet, l’Initiative d’intégration de l’équité en emploi (IIÉE) mise justement sur la mise en œuvre de politiques et de pratiques positives dans les systèmes de recrutement ainsi que de l’acquittement des autres obligations de l’employeur, comme la détermination d’obstacles à l’emploi et les mesures d’adaptation, tel que stipulé dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Donc en pratique, IIÉE concentre ses efforts sur le recrutement, compte tenu de la situation actuelle de la dotation dans la fonction publique fédérale.
Dans un autre ordre d’idées, Joseph Facal, président en 2003 du Conseil du Trésor et ministre responsable de l'administration et de la fonction publique du gouvernement du Québec, déclarait: « Si nous souhaitons une fonction publique représentative de l’ensemble des personnes qui composent le Québec aujourd’hui, il reste beaucoup de travail à faire… Il faut sensibiliser les gestionnaires du gouvernement qui font preuve d'une sensibilité insuffisante envers la diversité ». (Le Devoir, 25 février 2003). Cette « insensibilité » envers les minorités culturelles se retrouve même dans les milieux de travail syndicalisés, car les syndicats se voient obligés de protéger les droits acquis par leurs membres historiques soit les Québécois de souche. Pour réduire l’exclusion des minorités culturelles dans le monde du travail, le vrai défi est celui de convaincre les majorités dominantes de vraiment appliquer les programmes d'accès à l'égalité existant pour ainsi répondre à la diversité culturelle et ethnique du Québec.
Le rapport de Condition féminine Canada (1998 : 69) signale que « Les immigrantes se heurtent à d'importants obstacles qui entravent leur accès à l’emploi et leurs possibilités d'avancement. Des études menées tant en français qu’en anglais ont souligné que les immigrantes doivent composer avec de multiples niveaux de discrimination en raison […] de leur « race » ou de leur « origine ethnique ». Ces éléments de freinage à l’insertion professionnelle interviennent indépendamment du « profil sociodémographiques » des femmes immigrées, car même les jeunes très scolarisées sont victimes d'inégalité, injustice et précarité. Résultent ainsi leur situation précaire et le retardement dans l'intégration sociale et culturelle, car elles ne peuvent pas profiter « des différentes conditions facilitateurs du milieu du travail comme microcosme symbolique des […] valeurs de la société d'accueil » (Jacob et Blais, 1992; Bernier, 1993).
Selon le recensement de 1996, 17% des Canadiennes des minorités visibles détenaient un diplôme universitaire en comparaison de seulement 12% des autres Canadiennes. Pourtant, seulement 15% des premières étaient sans emploi contre 9% des secondes. Comme le souligne un rapport de l'Institut canadien de recherche sur les femmes, Vivre le racisme au féminin, le racisme des employeurs soulève de gros problèmes à cet égard, car la majorité d'entre eux porte un jugement erroné et préconçu envers les immigrantes, en tenant compte de leur couleur, leurs habitudes de travail, leurs aptitudes et compétences et leur capacité d'intégration. Cette situation persiste même si ces femmes sont surqualifiées pour les postes occupés et même dans le cas d'un emploi mal rémunéré.
Références dans le texte :
[1] Source: Site Internet, Ministère des resources humaines et du développemnt social du Canada. L’équité d’emploi au Canada et progrès accomplis ente 1987 et 1999.
[2] Commission de la fonction publique du Canada, Le rôle de la CFP dans l’équité en emploi, http://www.psc-cfp.gc.ca/ee/role_f.htm
Références bibliographiques :
Équité en milieu de Travail pour les Autochtones et les Groupes de minorités visibles – préparé par Le groupe de la politique, des rapports et de l'élaboration des données, Normes de travail et équité en milieu de travail et Ressources humaines et Développement des compétences Canada, juin 2004. JACOB, A., et D. BLAIS, 1992. Les réfugiés, tout un monde. Recension des écrits sur les politiques, programmes et services aux réfugiés. Montréal, Université du Québec à Montréal.
Références webographiques :
BOURQUE, O., Chômage des Maghrébins: «Une honte pour le Québec» http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/article/20080328/LAINFORMER/80328167
Cadre pour les programmes d’équité en emploi – Commission de la fonction publique du Canada : http://www.psccfp.gc.ca/ee/framework/framework_f.htm
Commission de la fonction publique du Canada, Le rôle de la CFP dans l’équité en emploi http://www.psc-cfp.gc.ca/ee/role_f.htm
Faire place au changement et la Commission de la fonction publique (CFP) http://www.psc-cfp.gc.ca/ee/ec-fact_f.htm
GODIN J-F., sous la supervision de Gérard Pinsonneault, (Janvier 2004), L’insertion en emploi des travailleurs admis au Québec en vertu de la grille de sélection de 1996, Direction de la population et de la recherche, Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration.BERNIER, D. 1993. Le stress des réfugiés et ses implications pour la pratique et la formation, Service social, 42, 1: 88-99.
Initiative d’intégration de l’équité en emploi – Commission de la fonction publique fédérale du Canada
Profil de carrière et représentation des groupes désignés – Commission de la fonction publique du Canada : http://www.psc-cfp.gc.ca/ee/best_practices/docs/irb-02_f.htm