Mourir dans la dignité
Le 4 décembre 2009 l’Assemblée nationale a adopté une motion demandant la constitution d’une commission spéciale. Cette dernière est chargée d’étudier la question du droit de mourir dans la dignité et, le cas échéant, d’examiner les modalités de son application. Les parlementaires ont commencé des consultations publiques à travers plusieurs régions du Québec. Cependant on peut se demander si c’est vraiment le rôle de l’État d’intervenir sur cette question. Quelles sont les raisons qui font que l’État engage le débat public sur la liaison complexe entre la dignité humaine et le droit de mourir ou plus largement entre le choix individuel de vivre ou de mourir dans certaines circonstances et l’État de droit et son système de santé?
Depuis une trentaine d‘année au Canada comme au Québec, nos institutions politiques, administratives et judiciaires sont de plus en plus interpellées par sa population sur des questions relatives à l’euthanasie ou au suicide assisté. Ces demandes de la population rendent compte d’une volonté de mettre fin à des souffrances ; soit en obtenant un acte consistant à provoquer de façon intentionnelle la mort (euthanasie), soit en bénéficiant de l’aide de quelqu’un (fournir le moyen de se suicider ou l’information sur le procédé) afin de pouvoir se donner volontairement la mort (suicide assisté). Des causes ont été largement médiatisées comme en 1992 celle de Nancy B. Sans espoir de guérison suite à une maladie dégénérative, elle réclamait le droit d’être débranchée du respirateur artificiel. Une autre histoire, celle de Sue Rodriguez en 1993 qui a demandé publiquement le suicide assisté alors que sa maladie dégénérative incurable ne lui permettait plus de se donner elle-même la mort. Dans les deux cas, on peut parler de véritable combat juridique qui a été amené sur la place publique par la voix des médias. Ce combat a conduit Nancy B jusqu’à la Cour supérieure du Québec qui lui a accordé le droit d’être débranchée. Pour Sue Rodriguez, sa requête a été rejetée par la Cour suprême du Canada. Les démarches de ces deux citoyennes illustrent l’interpellation des représentants des institutions judiciaires mais aussi plus largement de la société par la voix des journalistes qui rendent publiques et confrontent la population à ces questions de dignité en fin de vie mais aussi aux décisions de justice associées. L’actualité continue de rapporter des cas de citoyennes ou de citoyens affirmant avoir aidé un proche à mourir ou des malades qui réclament que l’on respecte leur décision d’être aider à en finir avec la vie. Ces cas font réagir et permettent de faire évoluer l’opinion publique jusqu’à susciter le besoin de créer une commission parlementaire.
D’autres voix se font entendre. Elles viennent d’organisme en lien avec le réseau québécois de la santé et des services sociaux ou directement auprès de la population par l’intermédiaire de sondage d’opinions. Véronique Hivon, députée de Joliette et vice-présidente de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité précise dans le document de consultation que le Collège des médecins du Québec, la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et les sondages de la population québécoise « établissent des taux d’appui importants à une aide médicale à mourir dans certaines circonstances ». Bien entendu, dans notre société démocratique et pluraliste d’autres voies s’opposent à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. L’existence même de ce débat depuis plusieurs années justifie encore l’intervention de l’État à l’écoute des services à produire reliés à la demande sociale qui évolue dans le temps. En effet, dans nos sociétés occidentales, l’État doit permettre aux citoyens d’accéder à des droits et de pouvoir les faire exercer.
La population Canadienne connaît comme dans la plupart des pays développés une amélioration importante des conditions de vie. L’espérance de vie augmente et le pays montre une inversion de sa pyramide des âges. Au Québec par exemple, alors que le tiers de la population était âgé de moins de quatorze ans en 1950, les analystes prévoient qu’en 2030 le tiers de la population aura plus de soixante cinq ans. Avec ce vieillissement de la population, il est fort à parier que « nos aînés du quatrième âge » risquent de souffrir d’une perte d’autonomie et peut-être même d’un manque de dignité quant aux soins qu’ils peuvent espérer. Ce qui amène l’État à renforcer son intervention dans le sens du droit à la vie en santé et des soins assurés dans la dignité des personnes.
Quelles sont les bases actuelles au niveau de la loi au Québec ?
Au regard du Code criminel du Canada, l’euthanasie et le suicide assisté sont des actes criminels. Cependant depuis une vingtaine d’année lorsqu’on étudie les sentences de tribunaux canadiens à l’égard d’acte d’euthanasie ou de suicide, elles s’avèrent souvent légères, voire symboliques. Les autres principales dispositions émanent des chartes canadienne et québécoise ainsi que de la loi sur les services de santé et les services sociaux ainsi du Code civil du Québec. Ces lois abordent surtout le respect du droit à la dignité de la personne, du droit à son intégrité (protection physique et psychologique), du droit de consentir ou non à un traitement lorsque la personne majeure est capable de comprendre les informations sur la nature d’une maladie et du traitement. Il est possible d’exprimer ses volontés sur les soins acceptables en fin de vie à l’avance dans un testament de vie ou donner un mandat en prévision d’inaptitude. Ce cadre légal ne répond pas suffisamment aux préoccupations actuelles de mourir dans la dignité exprimée par l’opinion publique. L’État aura pour rôle de se positionner sur la question et d’ajuster les balises législatives en conséquence. En effet, des situations paradoxales se multiplient : les lois disent que les actes d’euthanasie ou de suicide assisté sont criminels et d’un autre côté on observe que les tribunaux en charge de faire appliquer les lois donnent des sentences symboliques à ces actes. Une personne majeure sous certaines conditions peut actuellement refuser un traitement même si cette décision peut entraîner sa mort mais on lui refuse l’aide à mourir ou le droit de mourir pour mettre fin à ses souffrances si elle le manifeste.
L’État comme État providence intervient et assure un rôle social. Au Québec, cela prend une forme particulière sur le fond et la forme. Sur la forme, la tradition du débat et de la consultation de la population est de mise afin de trouver une adhésion et adapter un projet de société réglementé par des droits. Sur le fond, à l’instar des autres sociétés occidentales, le Québec propose un modèle d’État protégeant les québécois qui expriment largement leurs besoins. Sur la question de mourir dans la dignité, c’est aussi la revendication de services de santé et de soins adaptés afin que l’on traite la personne avec respect en temps que personne humaine libre et responsable de consentir à un traitement ou d’abréger ses souffrances. Cela questionne aussi l’accès raisonnable à tous aux soins de santé, l’un des cinq principes de la Loi canadienne sur la santé. En effet, les soins palliatifs donnés aux adultes souffrants d’une maladie incurable et surtout d’un cancer en phase terminale en centre hospitalier ou à domicile sont encore insuffisants et n’arrivent pas à répondre aux besoins de la population. Les soins palliatifs visent le confort de la personne en la soulageant des souffrances physiques ou psychologiques. Ces soins se traduisent souvent par administrer une médication qui rend la personne inconsciente (sédation palliative) parfois même jusqu’au décès (sédation terminale). Y aurait-il plus de vertu à exercer un acharnement thérapeutique auprès d’une personne malade au stade terminal sans espoir d’amélioration que d’accepter à sa demande l’aide ou l’acte pour mettre fin à des souffrances? Plutôt que d’opposer ces actes qui s’exercent de plus en plus, il y aurait plus à gagner en les intégrant aux pratiques de soins palliatifs en encadrant légalement les circonstances et les responsabilités du demandeur, de sa famille et du personnel médical et en éduquant les gens à ce sujet.
Dans un État providence interventionniste, il y a une dimension idéologique. L’État affirme ses valeurs et sa volonté de proposer un modèle de société plus social qui le caractérise. En conservant les services de soin palliatif et en encadrant l’euthanasie ou le suicide assisté, l’État québécois présenterait un projet de société progressiste mais devra faire face avec courage à de nombreux obstacles et oppositions. D’abord il doit définir ce droit, puis faire des choix budgétaires pour mettre en place les services de santé accessibles, suffisants, adaptés aux besoins réels de sa population et en tentant de maîtriser les coûts excessifs de ses décisions. C’est un défi complexe que tentent de relever aussi d’autres sociétés occidentales confrontées comme au Québec par la croissance continue des dépenses de l’État (loi de Wagner) et à la récente crise économique. Prendre position sur la question de mourir dans la dignité c’est pour moi une marque de confiance en l’avenir et compter sur la responsabilisation de tous les acteurs : demandeur, famille et amis, personnel médical, justice, etc. Accéder aux soins palliatifs et détenir ce droit de mourir dignement constituerait un choix réconfortant que les personnes décident ou non d’y recourir. Choisir de ne plus souffrir, se préparer à partir, faire ses adieux à ses proches et se laisser endormir ne serait-ce pas une fin digne quand il n’y a plus d’espoir d’amélioration ni d’apaisement possible?
Ludovic Forêt
ENP7505 cours Rémy Trudel du Mardi groupe 23