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Loi 115: les écoles passerelles respectent-elles la nation québécoise ?

 

Enjeux

La culture nationale transmise par l’éducation caractérise la société. Il revient de la responsabilité de l’État de la réguler, soit de gérer sa conservation, son développement et sa transmission, car il est responsable du bien commun et de la cohésion sociale pour favoriser un sentiment d’appartenance collectif (1a). La tension naît au Québec du moment où un « un pacte sacré (est) conclu entre les deux grandes races » (2a) et s’exemplifie au niveau de l’éducation par l’avènement de la loi 115. Dès lors la question devient de savoir quelle langue, du français ou de l'anglais, s'impose comme langue d'intégration ?  En d’autres mots, quelle est la priorité actuelle du gouvernement fédéral et/ou provincial: s’ajuster à l’ère de mondialisation en embrassant l’anglais (3) ou de défendre l’identité nationale québécoise en chérissant le français (2b) ?  

Contexte

L’équilibre des langues identitaires qui  provenait du « pacte » a subi au cours de son histoire une remise en question constante (2a), par exemple le rapport Durham (1837, (2c)) ou la constitution (1982, (2d)) en  sont des preuves. Le dilemme provient du choc entre ces deux visions: une du Canada anglais en respect avec un gouvernement central omniprésent et sur l'égalité des provinces (3) et l'autre, celle du Québec qui protège la seule nation francophone en Amérique du Nord en promouvant son autonomie et sa spécificité (2b).

Problématique

Il devient clair que les enjeux de la loi 115 dépasse le cadre juridique, elle finit par  toucher le politique, le social et l’identité collective alors que l’utilisation du bâillon étouffe le débat. Car au Québec, non seulement la langue majoritaire doit concurrencer avec la langue minoritaire, mais elle est doit aussi se heurter à l’anglais qui est massivement majoritaire au pays et sur le continent. Or le gouvernement de Lévesque (1977) cherchait à fortifier le français en adoptant la loi 101 pour éviter que le Québec  finisse par se marginaliser soi-même  (2e).  Ainsi, les écoles anglaises sont devenues exclusives aux « anglais historiques » (à des exceptions près) pour faire du français une langue d'intégration et  de cohésion sociale en rapprochant les Québécois de diverses origines (4).  Cependant, la loi 115 brise ce consensus social en allant  à l’encontre de la loi 101 et  offre carrément l’achat d’un droit constitutionnel par le biais d’écoles privées anglaises non-subventionnées (EPNS). 

Du point de vue judiciaire

Le projet de loi 115 provient d’un processus administratif judiciaire complexe et ardu. En résumé, la loi 115 se veut une réponse de Québec à l'invalidation par la Cour suprême des dispositions législatives qui restreignent l'accès à l'école anglaise et remise en question par l’affaire Nguyen (Nguyen c. Québec). Les parents Nguyen ont dû passer par le Tribunal administratif du Québec puis par la Cour supérieure, avant que la Cour d'appel du Québec ne leur donne raison en 2007. Le gouvernement Charest a conséquemment porté la cause en Cour suprême et a obtenu un sursis d'exécution. Il avait jusqu’au 22 octobre 2010 pour remédier à la loi 104 (5).

Adoptée à l'unanimité en 2002, la loi 104 permettait aux parents francophones et allophones d'inscrire leurs enfants à une EPNS anglaise, mais leurs interdisaient de se servir de ce passage pour obtenir ensuite l'accès aux écoles anglaises financées par le public. La loi 104 visait à éliminer l’abus du stratagème en amendant l’article 73 de la Charte de la langue française, pour colmater une brèche dans la loi 101 visant à exclure la prise en compte de la scolarité en anglais dans une EPNS anglaise pour devenir admissible à une école publique anglaise. Jusqu'en 2002, il suffisait de fréquenter pendant un an une EPNS anglaise pour devenir admissible au réseau d'écoles anglaises publiques aux frais de la société (5).

En 2009,  la Cour suprême juge la loi 104 anticonstitutionnelle car elle contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés au profit d’un « choix politique valide » et même si (6a),  elle était accepter de façon unanime par l’Assemblée Nationale. La loi 103 essaie de rectifier le tir en  prévoyant une liste de critères selon lesquels des élèves francophones ou allophones peuvent intégrer le système public anglophone. Après avoir étudié dans une EPNS anglaise pendant trois ans, les élèves légueront ce droit à leurs frères et sœurs et à leur descendance. De ces règlements découlent un risque d’abus lié à une marge de manœuvre accrue et imprécise autant du côté des agents publics que des parents. Des agents publics du ministère de l’Éducation doivent vérifier que ces élèves ont suivi un «parcours scolaire authentique », zone grise par excellence car ils  doivent juger de la  légitimité du parcours de la famille et ce, cas par cas alors que ce droit acheté se propage par un effet pyramidal (7).

Du point de vue politique

Le temps alloué par la Cour suprême s’est écoulé, le gouvernement de M. Charest évoque l’urgence pour justifier l’utilité du bâillon, une procédure législative d’exception, et force l’adoption de la loi 115. La passerelle est redevenue légale, mais les élèves devront  patienter trois ans au lieu d’une seule et les parents devront payer pendant tous ce temps des frais de scolarité astronomique à chaque semestre ou trimestre (7). Notons que juste avant le bâillon, le premier ministre annonce que la position du gouvernement est «pragmatique, juste et équilibrée»  (8).   La ministre responsable du dossier, Christine Saint-Pierre minant la solidarité ministérielle déclare que: «La solution parfaite, c'était la loi 104» (9). Ainsi, le recours à la procédure du bâillon par M. Charest montre surtout qu’il fait abstraction de tous: son parti, les partis de l’opposition, les organismes et même de la population qui ont tous jusqu’à un certain degré exprimés du ressentiment envers l'adoption de la loi passerelle.

Le vote a été adopté grâce à l'appui de 61 libéraux, sur 125 députés. Voyons les réactions. Pour l’ADQ (action démocratique du Québec) la loi 115 relève de l'improvisation la plus complète (7). Pour QS (Québec Solidaire), M. Kadhir déplore l’injustice de « permettre à quelques minorités de fortunés de pouvoir accéder à l'école publique anglaise » (10). Pour le PQ (Parti Québécois), Mme Marois fait écho à ces propos en soulignant « que vous pouvez vous acheter un droit, à partir du moment où vous en avez les moyens [...]. On crée tout compte fait deux classes de citoyens » (7) et remet en doute les critères de la loi 103 (11). En effet, combien de personnes pourront se le permettre financièrement et gagneront le droit à l’admissibilité à une école passerelle ? Ainsi pour abattre ce privilège afin de maintenir l’équilibre social, l’opposition officielle prend l'engagement qu'une fois portée au pouvoir, elle abolira la loi 115 (10a).

Du point de vue d’un organisme publique et de la population

Le CSLF (Conseil supérieur de la langue française) sert d’intermédiaire entre l’opinion publique et la ministre. Ce conseil fait partie de l’appareil de l’État mais non du gouvernement, donc il en est indépendant.  Mais le gouvernement Charest n’a pas cru bon de considérer l’opinion du CSLF (7b) ou de la manifestation du 15 octobre. De la même manière que Mme Marois, le CSLF dénonce l’approche du gouvernement de Charest au détriment de l'avenir du français, de l’égalité des chances, de la cohésion sociale; car elle augmente le risque d’abus venant d’une conception laxiste d’un « parcours authentique » qui promeut des subterfuges afin de contourner la loi et amène  la création d’une deuxième classe de citoyen exemptée de la loi 101. C’est le ciment social de la nation québécoise qui se désagrège (6).

Options

La constitution prévoit l’éducation comme étant exclusive aux provinces, mais  l’instance fédérale intervient ici pour protéger les droits des citoyens de choisir (1b). Par son geste la Cour suprême voulait que le gouvernement clarifie les critères d’admissibilité aux EPNS anglaises pour qu’elles soient conformes aux prescriptions de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Mais pourquoi ne pas réadopter la loi 104, unanime, en évoquant la légitime et constitutionnel clause dérogatoire et de continuer à tenir tête lors des prochaines contestations juridiques ? (6b). Il serait également possible, comme le propose le  CSLF, d'étendre la Loi 101 aux EPNS, donc de remettre les écoles publiques et privées sur le même pied d’égalité, de faire respecter les droits linguistiques reconnus par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et de faire primer la Chartre de la langue française (6). Le discours politique devrait traduire la spécificité du Québec dans le respect du français et des traditions démocratiques.                

Conclusion

La situation doit être claire pour tous les citoyens et futurs citoyens sans donner des privilèges à certain surtout quand elle se nourrit de l’inégalité économique qui brime le tissu social. L’État est en charge de la démocratisation qualitative de l’éducation depuis que celle-ci est obligatoire pour tous. Nous pouvons non seulement  remettre en question le geste du gouvernement Charest, mais aussi du timing en bon français... L’échéancier donné par la Cour suprême coïncide en pleine controverse de la commission Bastarache qui porte justement  sur le rapport douteux entretenu entre notre gouvernement provincial actuel et la  justice. Apparemment, les écoles passerelles sont de généreux contributeurs à la caisse du PLQ: depuis 10 ans, 22 dirigeants de six de ces écoles de la région de Montréal ont versé au total 110 880 $ au PLQ (7). Ça sent la quête d’un support anglophone pour contrer la plus que souffrante côte de popularité de Charest alors que le gouvernement provincial devrait suivre son mandat, soit protéger le droit de TOUS les citoyens et d’affirmer la nation québécoise.

 

 Par Catherine Périllat-Turbide, ENP 7505, jeudi am


 

 

(1) Girard, André (2009). « Notes sur l’administration de l’éducation », dans Pierre P. Tremblay, L’état administrateur : modes et émergences,  Canada, 423 p., ISBN 2-7605-0889-7

-a- p.391

-b- p.395

 

(2) QUÉBEC, Affaires intergouvernementales canadiennes du ministère du Conseil exécutif (1999). Le statut politique et constitutionnel du Québec, [en ligne] http://www.saic.gouv.qc.ca/publications/documents_inst_const/statut-pol-fr.pdf

-a- p.14, discours du premier ministre Maurice Duplessis prononcé à l'ouverture de la Conférence fédérale-provinciale au sujet de la Constitution, Ottawa, du 10 au 12 janvier 1950.

-b- p.16, allocution du ministre de l'Éducation, monsieur Paul Gérin Lajoie, aux membres du Corps consulaire de Montréal, Montréal, 12 avril 1965 : « Le Québec a, sur ce continent, sa vocation propre. La plus nombreuse des communautés francophones hors de France, le Canada français, appartient à un univers culturel dont l'axe est en Europe et non en Amérique. De ce fait, le Québec est plus qu'un simple État fédéré parmi d'autres. Il est l'instrument politique d'un groupe culturel distinct et unique dans la grande Amérique du Nord ».

-c- p.9, le rapport de Durham, présenté, traduit et annoté par Marcel-Pierre HAMEL, Montréal, Les éditions du Québec : «  le caractère national qui doit être donné au Bas-Canada : ce doit être celui de l'Empire britannique, celui de la majorité de la population de l'Amérique britannique, celui de la race supérieure qui doit à une époque prochaine dominer sur tout le continent de l'Amérique du Nord. »

-d- p.4, « À cet égard, l'adoption unilatérale de la Constitution de 1982, imposant une formule d'amendement et une diminution des pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec en matière de langue et d'éducation sans l'accord du Québec, a sonné le glas du compromis établi en 1867 entre les deux peuples fondateurs qui avait alors permis la naissance de la fédération canadienne ».

-e-p.20, Notes pour une intervention de monsieur René Lévesque à la rencontre des premiers ministres à Ottawa le 9 juin 1980: « Ce droit de contrôler soi-même son destin national est le droit le plus fondamental que possède la collectivité québécoise ».

 

(3) EVEN, Len (2010). «Quebec’s self-defeating language fetish» le National Post, le 6 avril 2010 [en ligne] http://fullcomment.nationalpost.com/2010/06/04/quebecs-self-defeating-language-fetish/ . Len Even est le directeur général du collège Marianopolis, Montréal, il dit: « Quebec’s protectionism translates not just into ill-qualified immigrants, fleeing educated people, fewer services and crumbling infrastructure, but into a society that is out of synch with the rest of the world».

 

 (4) LEGAULT, José (2010). « Troubles Cardiaques ». Le Voir, 20 0ctobre 2010 [en ligne]  http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/10/20/troubles-cardiaques.aspx, (« avant 1977, 85 % des enfants d'immigrants étaient éduqués en anglais »).

(5) RADIO-CANADA, La Presse Canadienne (2009). « Jugement crucial sur la loi 101 », 22 ocobre 2009,  [en ligne]  

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2009/10/22/001-cour_langue_chartes.shtml

 

(6) QUEBEC, Conseil Supérieur de la langue française (2009). Avis sur l’accès à l’école anglaise à la suite du jugement de la Cour-suprême du 22 octobre 2009 [en ligne]  http://www.cslf.gouv.qc.ca/le-conseil/discours-et-allocutions/detail/article/avis-sur-lacces-a-lecole-anglaise-a-la-suite-du-jugement-de-la-cour-supreme-du-22-octobre-2009 -a-Le juge Louis Lebel  déclare que : « Les objectifs visés par les mesures adoptées par le législateur québécois sont suffisamment importants et légitimes pour justifier l'atteinte aux droits garantis, mais les moyens choisis ne sont pas proportionnels aux objectifs recherchés. [...]  Le refus de prendre en compte le parcours d'un enfant dans une EPNS, imposé par l'alinéa 2 de l'article 73 de la Charte de la langue française, est total et sans nuance, et paraît excessif par rapport à la gravité du problème de l'accès quasi automatique aux écoles de la minorité linguistique par l'intermédiaire d'écoles passerelles. »

-b- « Selon l’article 72 de la CLF, l’enseignement se donne en langue française à tous les élèves, tant à la maternelle qu’aux niveaux primaire et secondaire, sur le territoire du Québec. Cette règle exprime un choix politique valide ».

 

(7) RADIO-CANADA, La Presse Canadienne (2010). Nuit du bâillon : le projet de loi 115 adopté, 19 octobre 2010 [en ligne]  http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/10/19/001-loi115_baillon_mardi.shtml

-a-Les EPNS anglaises sont: Selwyn House Westmount, la St. George School Montreal, l'Institut Garvey, de St-Laurent, l'Académie Marie-Laurier, de Brossard, The Priory School, de Montréal, et le Lower Canada College. Par exemple les coûts pour  Selwyn sont frais de scolarité: 13 550 $, repas, activités supplémentaires, livres : 5 215 $, programme d’ordinateurs portables : fondation Lucas : 1 000 $, total : 19 765 $.

-b- parmi  36 mémoires sur 43 portant sur la loi 103 et déposés devant la commission parlementaire

 

(8) CYBERPRESSE, La Presse Canadienne (2010). La loi 115 adoptée, 19 octobre 2010, [en ligne]  http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201010/19/01-4333811-la-loi-115-adoptee.php)

 

(9) LEGAULT, José (2010). « La loi 104 était la «solution parfaite»...». Le Voir,  0ctobre 2010 [en ligne] http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/10/18/171-la-loi-104-233-tait-la-solution-parfaite-187.aspx).

 

 (10) RADIO-CANADA, La Presse Canadienne (2010).Pauline Marois en mode électoral , [en ligne]  http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/10/19/002-loi115_reax.shtml). 

-a- Mme Marois a dit « Lorsque nous formerons le gouvernement, je prends l'engagement formel, comme chef du Parti québécois, d'abroger la loi 115, pour revenir à la Charte de la langue française, donc à l'application de la loi 101 »

(11) Vincent Marissal, La Presse (2010).  « On respire par le nez (et en français) », La Presse, 19 octobre 2010, [en ligne]   http://www.cyberpresse.ca/chroniqueurs/vincent-marissal/201010/19/01-4333797-on-respire-par-le-nez-et-en francais.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4333811_article_POS4

 

 

 

Commentaires

  • La chose qui m’a frappé d’emblée à la lecture de ce blogue est l’emploi du mot « race » en référence à deux groupes se partageant le territoire du Québec soit, les francophones et les anglophones. Ayant une formation en anthropologie, le concept de race désigne pour moi une catégorisation de l’espèce humaine basée sur des critères biologiques. Le Petit Robert définit d’ailleurs la race comme « une subdivision de l’espèce humaine d’après des caractères physiques héréditaires ». Pour moi, au Québec nous sommes en présence de deux groupes culturels distincts et non de races distinctes puisque ce ne sont pas des traits physiques qui nous séparent. Monsieur Duplessis dans son discours aurait plutôt dû référer à deux peuples distincts ou encore à deux groupes culturels ou ethniques distincts. S’il est vrai que les mentalités ont bien changées depuis l’époque où M. Duplessis prononça son discours (1950), le terme de race est encore trop souvent utilisé hors contexte. D’ailleurs de nombreux biologistes remettent en cause la pertinence de la notion de race lorsque l’on réfère à l’espèce humaine puisque « la classification raciale prétend ordonner ce qui dans la diversité humaine est génétique. Considérer comme race tout ce qui est génétiquement différent conduit cependant à faire de chaque être humain, ensemble unique de gènes, une race en soi. » (Pierre BONTE et Michel IZARD, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, 1991, p.611.)

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