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Le club des 100 000 $ : une importance exagérée

En l’espace d’à peine trois mois, La Presse Affaires a publié deux articles (21 juillet et 21 octobre derniers – voir Références) abordant le même sujet, soit la rémunération des employés de la fonction publique et, plus précisément, l’augmentation du nombre de fonctionnaires faisant partie du « club des 100 000 $. »  


Bien sûr, ces fonctionnaires, contrairement au secteur privé, sont imputables à l’ensemble de la collectivité (principe de la reddition de compte).  En ce sens, il est tout à fait normal que la Loi sur l’accès à l’information
(L.R., 1985, chapitre A-1) pour le fédéral ou la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels  (L.R.Q., chapitre A-2.1) au Québec trouve application et que La Presse puisse obtenir le nombre de fonctionnaires qui « gagnent dans les six chiffres ».  Il n’en demeure pas moins que l’usage des mots (« le club des 100 000 $ explose » par exemple) et le traitement de la nouvelle me laissent perplexe, comme s’il était inadmissible qu’un fonctionnaire, qui agit au nom de l’État par voie d’autorité déléguée, puisse toucher une telle rémunération.

 

L’administration publique est au service du bien public et, dans ce sens, je déplore le manque de valorisation de la fonction publique québécoise au sein de la population.  Pourtant, l’administration publique est éminemment complexe : chacune des organisations publiques possède des caractéristiques qui lui sont propres.  La mission, la nature des interventions, les secteurs d’activités ainsi que les bénéficiaires des services varient de l’une à l’autre à l’intérieur de l’État. 

 

Il est extrêmement facile de véhiculer qu’il y a trop de fonctionnaires pour gérer efficacement les programmes gouvernementaux.  Encore plus facile est de prétendre que ceux-ci sont trop bien rémunérés pour le travail accompli, dans un contexte d’austérité économique où une meilleure productivité du gouvernement est souhaitée par la population.

 

Au Québec, c’est le Conseil du Trésor, conformément à la Loi sur la fonction publique (L.R.Q., chapitre F-3.1.1), qui est responsable de l’établissement, la mise en œuvre et le suivi des orientations, des politiques, des programmes et des directives en gestion des ressources humaines.

 

La gestion des ressources est marqué par un encadrement exceptionnel : « toutes les décisions souscrivent à une panoplie de règles et de procédures censée garantir aux employés que l’embauche et la promotion obéiront à des critères de compétence, et aux citoyens que les services seront offerts de manière impartiale et désintéressée.[1] » 

 

C’est à l’intérieur du mandat mentionné plus haut que le Secrétariat du Conseil du trésor, par son Sous-secrétariat au personnel de la fonction publique, produit sur une base régulière une description statistique de l’effectif de la fonction publique du Québec.  Le dernier portrait de cet effectif a été publié le 14 juillet 2009.

 

On y révèle que l’âge moyen du personnel régulier de la fonction publique était de 47,9 ans en mars 2008.  La proportion de fonctionnaires âgés de 50 ans et plus au sein de la fonction publique a augmenté de 9,9 % au cours des cinq dernières années, s’établissant à 45,4 %.

 

Il est donc concevable que ce groupe de fonctionnaires, qui représentent près de 50% des employés du secteur public et parapublic, se trouvent au maximum de leur échelle salariale et s’approchent, voire même atteignent, dans certains champs d’expertise et selon le niveau de responsabilité, la barre symbolique des 100 000 $.  Au bout du compte, ce sont 3% des fonctionnaires de l’État québécois qui gagnent ce montant dont l’ampleur est, au fil des ans et de l’inflation, de moins en moins importante. 

 

Ce contexte démographique se trouve à influencer également le salaire moyen d'un fonctionnaire québécois, qui s’élève maintenant à 50 287$ par année.  Or, faut-il le rappeler, les conditions salariales des employés de l’État québécois ne sont pas le fruit du hasard et résultent de négociations ardues entre les syndicats et le gouvernement.  Les dernières négociations ont été menées au printemps dernier par la présidente du Conseil du Trésor, Monique Gagnon-Tremblay, avec les 475 000 employés de l’État pour conclure, en bout de ligne, une nouvelle convention collective d'une durée de cinq ans, qui prévoit une augmentation salariale de 7%, somme toute raisonnable, au cours de cette période.  Pour la première fois, elle prévoit des ajustements selon la progression de l'économie québécoise.

 

Certes, la gestion par l’État québécois de ses ressources humaines, bien que très encadrée, n’est pas parfaite et peut s’améliorer, voire même se moderniser. Le contexte s’y prêtera sous peu : comme nous l’avons vu précédemment, la fonction publique québécoise est de plus en plus vieille et un grand nombre de départs à la retraite est prévu pour les prochaines années.  La taille du fameux « club des 100 000 $ » risque ainsi de diminuer.

 

Ceci dit, pour palier à ces nombreux départs, qui se traduiront par des pertes importantes d’expertise, les campagnes de recrutement de la fonction publique devront s'intensifier au cours des prochaines années.  Pour connaître du succès, ces campagnes devront valoriser les différents emplois de la fonction publique et ce, en exposant notamment les conditions de travail offertes, y compris la progression salariale applicable. Plus que l’État québécois pourra compter sur des fonctionnaires compétents et de qualité, plus la collectivité s’assurera de bénéficier des meilleurs services publics.  Pour se faire, les médias devront éviter de mener une chasse aux sorcières contre les membres, anciens ou nouveaux, du « club des 100 000 $ » et plutôt faire état des nombreux défis auxquels feront face les gestionnaires du secteur public.

 

 

Éric Trudel-Morin

 

 

RÉFÉRENCES

 

BROUSSEAU-POULIOT, Vincent. « Les fonctionnaires plus nombreux à gagner 100 000$ », La Presse,  21 juillet 2010.

 

CHOUINARD, Tommy.  « Québec et le Front commun s'entendent », La Presse, 25 juin 2010.

 

CROTEAU, Martin.  « Fonction publique fédérale: le club des 100 000$ explose », La Presse, 21 octobre 2010.

 

SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR (2009). L’effectif de la fonction publique du Québec 2007-2008, [en ligne], http://www.tresor.gouv.qc.ca/



[1] TREMBLAY, P. P. (dir.) (1997).  L’État administrateur, modes et émergences, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 423 pages, p. 158

Commentaires

  • Euloge à la fonction publique!
    Je viens par laprésente intervention appuyer la réflexion de notre collègue Éric. En effet, on ne peut que constater avec regret le mépris avec lequel une certaine presse en mal de sensation se plaït à dévaloriser le travail abattu par de centaines d'hommes et femmes qui se sacrifient tous les jours pour faire fonctionner l'administration publique tant au Canada en général qu'au Québec en particulier.
    Tout porte à croire le statut de fonctionnaire rimerait avec la précarité pour ne pas dire la misère la plus absolue!
    À entendre, voir et lire ce qui se livre dans nos organes de presse, on en arrive presque à la conclusion que les fontionnaires de l'État ne méritent en rien de vivre dans une certaine aisance! Cet article dont nous avons tous eu échos oublie de mentionner qu'à diplôme égal, les fonctionnaires gagnent moins que leurs collègues qui évoluent dans le secteur privé. Faut-il rappeler que plus souvent ceux qui s'engagent pour une carrière dans la fonction publique, et ce, à quelque niveau que ce soit le font d'abord dans le but de servir leurs concitoyens! D'ailleurs, à cet effet, Denis Proulx dans son texte intitulé La motivation du service public énumère trois facteurs qui sous-tendent la motivation des agents du service public: la motivation par la tâche, la motivation par la mission et la motivation du secteur public. Et l'auteur ajoute dans le même texte le fait que, d'après les recherches, les employés du secteur public sont moins motivés que ceux du secteur privé par les incitatifs de rémunération et de promotion.
    Certes, nous reconnaissons qu'il y a certains individus qui en abusent, mais de façon générale, ce sont ces femmes et ces hommes qui font que l'administration publique fonctionne et, par ricochet, la démocratie. Le travail qu'ils réalisent, bien souvent en sacrifiant leur propre vie que celle de leurs familles mérite un certain minimum de respect.
    De lire Le club des 100. 000 explose sous-entend ni plus ni moins qu'un bande d'incompétents qui ne font absolument rien et qui gangnent de gros salaires. J'ai presque envie de paraphraser Beaumarchais en disant: Aux qualités que l'on exige des fonctionnaires, combien de journalistes (presse privée) seraient fonctionnaires!
    Quelle manie ont les gens, quel malin plaisir éprouvent-ils à dénigrer notre fonction publique!
    Toutes les statistiques qui sortent sur la fonction publique dans les journaux ont toujours poursuivi un seul but: montrer que tout va mal. Enfin, se demande -t-on seulement comment depuis des années ça va si mal,mais que, paradoxalement, notre fonction publique fonctionne, c'est le cas de le dire, à un tel point que son expertise est sollicité ailleurs à travers le monde. On est vraiment jamais prophète chez soi.
    Sadisme, quand tu nous prend!

  • Je ne peux qu'être tout à fait d'accord avec votre réflexion.
    Il est surprenant de constater que l'on porte une attention particulière aux fonctionnaires dont le salaire dépasse les 100 000$. Considère-t-on le fonctionnaire comme un employé de deuxième niveau. Les gestionnaires du secteur public ont un parcours universitaire semblable à ceux du secteur privé, mais ils n'en retirent pas la même reconnaissance. Je suis persuadé qu'une majorité de la population aurait tendance à reconnaître que le gestionnaire du secteur privé travaille plus fort que celui du secteur public. Par contre, monsieur Joseph Facal, qui a entre autres été Président du Conseil du Trésor de janvier 2002 à avril 2003 et responsable d'un budget de 53,6 milliards de dollars a dit ceci aux journalistes de la presse le 19 septembre 2005: «Même si leurs tâches se ressemblent en nature et en responsabilité, les gestionnaires du secteur public jonglent avec plus de boules en l'air que ceux du secteur privé. Leur travail est infiniment plus compliqué qu'on l'imagine»

    Alors, pourquoi dénigrer constamment cette fonction publique dont ses membres sont aux services de l'État et de la population. Je serais curieux de connaître le salaire de ces journalistes qui décrivent le «club des 100 000$», leur compte de dépenses et tous les avantages reliés à leur emploi. Est-ce le fait que les fonctionnaires sont aux services de l'État qu'ils doivent être considérés comme des serviteurs et être payés en conséquence. Comme vous le relater, ce n'est que 3% des fonctionnaires qui gagnent plus de 100 000$ et de ce groupe il y a, selon l'article, des cadres, des médecins et des juristes. Donc, pas de quoi en faire un drame.

    Stéphane Castilloux
    ENP-7505

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