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Les jalons des premiers pas menant à la mort dans la dignité!

Les jalons des premiers pas menant à la mort en toute dignité!

 

Femme, Citoyenne du Québec, infirmière de formation et aujourd’hui gestionnaire dans le réseau de la Santé et des services Sociaux, j’ai soigné et vu un grand nombre de personnes malades, souffrantes et mourantes. Certaines ont demandé à mourir, d’autres se sont accrochées à la vie, mais toutes ont souhaité être soulagées de la douleur. Quand il est question d’euthanasie, un souvenir me revint à coup sûr, celui d’un homme au début de la quarantaine, père de jeunes enfants, souffrant d’un cancer à un stade avancé, avec un pronostic sombre : physiquement décharné et souffrant. Cet homme était hospitalisé depuis déjà quelques semaines sur le département où je travaillais et j’étais son infirmière. Un soir, vers 23 heures, il me dit en chuchotant : « toi, est-ce que tu pourrais m’injecter quelque chose pour m’aider à en finir? » Déconcertée, je m’assieds près de lui et tente de le faire verbaliser ses besoins, sa souffrance. Je lui explique que je ne peux pas lui donner un médicament pour en finir, mais que nous ferons tout pour le soulager, l’accompagner et le soutenir, etc.  Il répond, après un très long silence : « je comprends » et me souhaite bonsoir.

 

Quel ne fut pas mon étonnement lorsque, le lendemain soir, il me dit croire à une possible guérison, qu’il se sent mieux, moins souffrant et aussi que les miracles sont possibles. J’étais troublée et, en même temps, très consciente que l’on puisse changer d’idée et faire des allées retours dans les différents stades du deuil que Kübler-Ross[1] a décrits. Cette expérience a été marquante pour moi. Dès ce jour-là, j’ai su qu’en matière de désir de vivre et de mourir, rares sont les choses totalement blanches ou noires; que la douleur et le temps peuvent changer la façon de voir les choses. Vous constaterez, dans les paragraphes qui suivent, que cette expérience a fortement teinté mon opinion sur l’euthanasie.

 

 

À mon avis, il est trop tôt pour introduire l’euthanasie et l’aide au suicide dans l’arsenal des soins de santé en fin de vie. En effet, il reste à ce jour certains éléments à consolider afin de s’assurer d’avoir exploré et mis en place tous les soins en fin de vie. Ainsi, le nombre de lits en soins palliatifs reste trop peu nombreux, l’utilisation de la médication en fin de vie doit être standardisée, l’accompagnement psychologique doit être amélioré, etc. Trop tôt aussi, parce qu’une réelle marge de manœuvre existe déjà à travers le refus de traitement, la sédation palliative ainsi que la sédation terminale.

 

 

Cependant, je ne nie pas qu’il soit possible lors de situations exceptionnelles que l’euthanasie soit justifiée. Toutefois, je ne crois pas nécessaire de la légaliser pour répondre à ces situations. La preuve en est l’orientation adoptée par la Colombie-Britannique. Cette dernière laisse à son Procureur la décision de poursuivre ou non les personnes accusées d’avoir aidé, par compassion, quelqu’un à mourir. En plus d’avoir l’avantage de considérer chacun des cas individuellement, elle est un rempart contre les abus qui pourraient survenir. Enfin, elle permet de documenter et de suivre l’évolution du phénomène. Le Québec devrait prendre exemple sur cette province. Certains diront ou même crieront à l’hypocrisie de ma position, moi je considère qu’en matière de vie et de mort « ménager la chèvre et le chou » apparaît souhaitable.

 

 

Néanmoins, si l’euthanasie devait être légalisée, et si la prémisse en est la « dignité », elle devrait être disponible pour tous, personnes majeures comme mineurs, la dignité n’ayant pas d’âge. Les demandeurs devraient être aptes ou avoir prévu le tout dans un testament de vie. La pratique (je suis mal à l’aise avec ce mot, mais je n’en ai pas trouvé d’autre) devrait prévoir l’obtention de l’avis de plus d’un médecin. Des demandes répétées dans le temps, tant verbales qu’écrites seraient aussi nécessaires. Ces derniers critères agissant comme garde-fou aux décisions rapides. Les gens étant susceptibles de mourir dans différents lieux, l’euthanasie devrait être accessible en établissements comme à domicile. Enfin, seul un médecin devrait poser cet acte.

 

 

 

Je considère également essentiel de prévoir des moyens pour soutenir psychologiquement les cliniciens qui administreraient des euthanasies. Pour moi, la différence fondamentale entre l’euthanasie et la sédation terminale réside dans l’intention qui sous-tend l’acte posé. La sédation vise le soulagement de la douleur, peu importe les conséquences; l’euthanasie vise à mettre fin aux jours de quelqu’un, forme de soulagement ultime. Comme soignant qui pose le geste, il m’apparaît clair que la portée de ce dernier est éminemment différente en termes de vécu.

 

Selon moi, les risques de dérive possibles, si l’euthanasie était légalisée, s’articulent autour de :

·        la diminution des efforts en recherche et développement des meilleures pratiques de soins en fin de vie;

·        l’impact d’une telle décision sur le sentiment de culpabilité et d’incompréhension que pourraient ressentir des malades ne choisissant pas l’euthanasie pour eux-mêmes.

 

À preuve, tous nous avons dit ou entendus des gens dire, en regardant des personnes malades ou handicapées : « moi je ne sais pas comment il fait; je ne pourrais pas! » La manière de voir les choses est assurément très différente, selon que l’on est en santé ou malade. Il faudrait à tout prix éviter que la possibilité d’un nouveau choix, celui de l’euthanasie, ait pour effet de culpabiliser ceux qui choisissent de vivre envers et contre tout!

 

En somme, continuer à développer des connaissances sur l’euthanasie, poursuivre le déploiement de l’organisation optimale de soins en fin de vie, donner de la latitude au Procureur de la province en matière de poursuite des personnes ayant assisté ou aidé quelqu’un à mourir et suivre l’évolution du phénomène seraient les jalons des premiers pas vers l’objectif de mourir dans la dignité.

 

Finalement, je tiens à souligner l’importance de la Commission ‘Mourir en toute dignité.’ D’abord pour se pencher sur un sujet aussi important et qui transcende largement les mondes de la santé et de la justice. Aussi de permettre aux Québécois de faire connaître leurs opinons sur le sujet. Cette réflexion est tout à l’honneur de la société québécoise.

 

Marie-Ève ENP 7328



[1] Source Wikipédia Selon Elisabeth Kübler-Ross (1969), après un diagnostic de maladie terminale, on observe « cinq phases du mourir » (Five Stages of Grief).

1.        Déni (Denial) ; Exemple - « Ce n'est pas possible, ils ont dû se tromper. »

2.        Colère (Anger) ; Exemple - « Pourquoi moi et pas un autre ? Ce n'est pas juste ! »

3.        Marchandage (Bargaining) ; Exemple - « Laissez-moi vivre pour voir mes enfants diplômés. », « Je ferai ce que vous voudrez, faites-moi vivre quelques années de plus. »

4.        Dépression (Depression) ; Exemple - « Je suis si triste, pourquoi se préoccuper de quoi que ce soit ? », « Je vais mourir... Et alors ? »

5.        Acceptation (Acceptance) ; Exemple - « Maintenant, je suis prêt, j'attends mon dernier souffle avec sérénité. »

Kübler-Ross a également fait valoir que ces étapes ne sont pas nécessairement dans l'ordre indiqué ci-dessus, toutes les étapes ne sont pas non plus vécues par tous les patients. Les 5 phases peuvent être linéaires mais il arrive souvent qu'un endeuillé puisse faire des retours en arrière avant de recommencer à avancer.

 

Commentaires

  • Très bon portrait de l'état actuel des choses et des considérations à regarder avant de tomber de tout côté, noir ou blanc.
    Ouvrir la porte à la définition d'un cadre législatif commun alors que le passage de la vie à la mort et un passage en solitaire, risque de ne jamais répondre à tous les besoins soulevés par »le cas par cas». Votre texte soulève bien cette situation.

    Il faut peut-être avant de penser à comment mourir penser à comment vivre. Comme c'est le cas pour les yougourts, la vie c'est toujours «meilleur avant».

  • Je trouve que tu nuances bien ton propos mais cela ne suffit pas à me convaincre. Nous sommes dans une société du "ici et maintenant". Les pays qui ont établis des processus pour encadrer l'euthanasie ou la mort assistée font les démarches et répondent aux demandes en quelques semaines. Le but de ce délai est de bien examiner la demande et de d'établir que la demande est justifiée et raisonnée par la personne. Étant infirmier, moi aussi, j'ai eu à quelques reprises des demandes similaires à celle qui t'a été faite mais cela ne m'a pas bouleversé...j'étais déjà positionné par rapport à cette question et je continue de croire que c'est le choix ultime après une vie bien remplie!

  • J’ai aimé la façon dont tu as présenté les différents aspects du débat.
    Ton exemple nous montrant le changement de vision d’un homme atteint par le cancer présente les dangers potentiels associés à la légalisation de l’euthanasie et à un prise de décision trop rapide.
    Cette exemple m’amène à faire un parallèle avec les enjeux sur l’abolition de la peine de mort abolit en 1976 où la possibilité d’une erreur judiciaire aboutissant à la mort d’un individu innocent a été un argument de taille dans son abolition.
    Transposé au débat sur l’euthanasie assistée, le seul fait de savoir qu’une personne aurait pu retourner à une vie normale si son combat avait duré assez longtemps est-il un argument assez fort pour ne pas légaliser l’euthanasie assistée?
    Tel que vous dites , il est difficile de nier « qu’il soit possible lors de situations exceptionnelles que l’euthanasie soit justifiée ». D’un autre côté, j’ose espérer que nous n’arriverons pas à un compromis ou il est plus facile de mourir que de vivre.

    Nicholas Borne
    Enap 7505

  • J’ai beaucoup apprécié la clarté de ton propos. Il est intéressant de constater que j’ai les mêmes arguments que toi pour expliquer mon avis sur le sujet, même si j’en arrive à une conclusion autre. Je m’explique. Quand tu écris que certains éléments restent à consolider afin de s’assurer d’avoir exploré et mis en place tous les soins en fin de vie (lits en soins palliatifs, l’utilisation de la médication, l’accompagnement psychologique, etc) et qu’il existe déjà une marge de manœuvre à travers le refus de traitement, la sédation palliative ainsi que la sédation terminale, j’ajoute alors, pourquoi ne pas donner aussi le choix de l’euthanasie et du suicide assisté? Ceci dans la mesure où l’encadrement clinique et législatif est rigoureux, clair et suivi de près pour justement éviter tout dérapage, comme tu le rapporte.

    Je suis bien d,accord qu’il faut absolument poursuivre les démarches et donner le financement nécessaire pour développer les connaissances qui appuieront les meilleures pratiques en matière de soins en fin de vie. Il s’agit ici de vivre dignement jusqu’à la mort. Au moment où il faut faire des choix où sera investi notre argent, il est important de faire valoir que de financer ces services coûtera beaucoup d’argent. Si on ne le fait pas, je crois qu’il y aura un risque de dérapage, par manque de soutien et de suivi.

    Enfin, je suis aussi d’accord avec toi, personne ne peut juger de ce qu’est une vie de qualité. Il faut accompagner la personne pour qui sa vie ne fait plus de sens, peu importe le moment. On ne sait jamais, une journée, une semaine, un mois de plus peut faire la différence pour la personne en fin de vie ou pour son entourage. C’est délicat tout ça, il faut prendre le temps de bien encadrer la décision. Cependant, je souhaite avoir le choix de terminer ma vie comme je l’ai vécue, c’est-à-dire en ayant la liberté de choisir, mais je ne souhaite pas le faire seule et je souhaite être traité dignement et ce jusqu’à la fin.

    Merci Marie-Eve, ton article m’a permis de pousser un peu plus loin ma réflexion.

    Manon Lacroix
    ENP7328

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