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La justice réparatrice

Blog #1 groupe du jeudi matin ENP 7505

Votre enfant lance sa rondelle de hockey sur la voiture du voisin. La carrosserie est endommagée. Comment réagissez-vous? Je suis convaincue que plusieurs prendront la main de leur enfant pour aller s’expliquer avec le voisin, pour que l’enfant s’excuse, pour trouver un arrangement à l’amiable. Cette manière de gérer les situations conflictuelles s’apparente à la justice réparatrice. Je constate qu’il y a une méconnaissance du public en ce qui concerne les alternatives à l’approche traditionnelle dans le domaine de la justice criminelle. Le mouvement qui domine au Canada est la justice pénale, centrée sur la notion de punition. À mon avis, la réparation n’est pas suffisamment considérée dans la façon de répondre au crime. Aussi, la réponse au crime dans le système judiciaire actuel canadien dépersonnalise la situation délictuelle de sorte qu’elle n’appartient plus au contrevenant et à la personne victime, mais à l’État.

Qu’est ce que nous entendons par justice réparatrice? Lode Walgrave soulève que « cette approche est centrée sur le préjudice causé plus que sur l’infraction ou le délinquant. Elle vise à faire réparer les dommages causés plus qu’à rétablir l’équilibre moral rompu par l’infraction ou à assurer l’adaptation du délinquant. La place de la victime y est forcément plus centrale que dans les autres approches; le critère par lequel on évalue le succès de l’intervention est la satisfaction des parties concernées. Le rôle de l’État y est vu comme étant de l’ordre de la responsabilisation plutôt que celui de la répression ou de la fourniture de services visant à favoriser l’adaptation du délinquant »[1]. Il y a un changement de paradigme : le crime dans le cadre de la justice traditionnelle est perçu comme une atteinte à la société. Dans la perspective de la justice réparatrice, le crime est perçu comme la violation des droits d’une personne par une autre. Il s’agit d’une atteinte aux gens et aux relations. La situation appartient au délinquant et la personne victime de sorte que le règlement doit être convenu entre eux. Cette approche est humaniste.

La justice réparatrice n’est pas une nouvelle mode ou un nouveau courant de pensée. En fait, elle est érigée sur les fondements de la justice des Autochtones. À travers le processus, la personne victime peut obtenir des réponses à ses questions qui la troublent. Aussi, elle peut décrire toutes les répercussions de l’événement dans sa vie et pour son entourage. Le délinquant peut avoir un endroit pour expliquer ce qui l’a motivé à commettre le crime et les impacts dans sa vie. De son côté, il peut lui aussi obtenir des réponses à des questions et exprimer des aspects qui le hantent.

La justice réparatrice prend diverses formes. Il peut y avoir des rencontres directes entre la personne victime et le contrevenant. Parfois, d’autres personnes de l’entourage sont impliquées. Il peut aussi y avoir des échanges par lettre. Tout le processus est mené par des accompagnateurs qui se chargent de la sécurité des personnes. Ils s’assurent également que la démarche est faite selon des motifs positifs et constructifs. Donc, des conditions préalablement établies doivent être réunies comme le consentement des parties et la reconnaissance de sa responsabilité.

Mes opposants diront « le sentiment de justice de la personne victime est mieux servi par un châtiment sévère ». Plusieurs croient, à tort, que la personne victime et son entourage sont plus satisfaites lorsque l’auteur du crime se voit imposer une lourde peine. Allons-y avec une situation concrète pour illustrer mon point de vue. Est-ce automatique qu’une victime d’agression souhaite une peine d’incarcération de plusieurs années pour son agresseur? Certes, une peine importante peut permettre à la personne victime d’être soulagé et d’avoir le sentiment que justice est rendue pour les souffrances qu’elle vit. Par ailleurs, qu’en est-il du rétablissement de cette dernière, de sa guérison, de sa réparation intérieure et de la réparation pour les préjudices vécus? Certaines personnes victimes vivent un important traumatisme suite à un événement de cette nature. Certaines conséquences ne peuvent pas être amoindries par une peine d’emprisonnement. Par exemple, notre personne victime d’agression se demande si elle avait été ciblée auparavant, est-ce que l’agresseur sait où elle travaille et où elle habite, est-ce qu’il s’en prendra à ses enfants ou à sa famille, est-ce qu’il a demandé à des personnes vivant dans la société de l’attaquer à nouveau pour lui faire payer d’avoir porté plainte à la police? En somme, la personne victime se pose souvent plusieurs questions en lien avec l’acte criminel. Elle vit aussi plusieurs émotions comme la peur, la colère, la culpabilité, la honte… Elle peut faire des cauchemars à répétition et elle peut souffrir de dépression à cause de tous ces tourments qui l’habitent. La justice réparatrice permet aux personnes victimes de trouver des réponses à leurs questions, d’être libérées de leurs inquiétudes, d’exprimer à l’auteur les répercussions du délit dans leur vie. Du côté de l’auteur de l’infraction, il peut éprouver un sentiment de culpabilité énorme. En ce sens, il peut exprimer comment il a vécu la situation, comment il se sent, il peut offrir ses excuses et s’amender. Bref, la démarche peut être très constructive pour les deux parties.

À mon avis, nous aurions intérêt à développer la justice réparatrice et ses fondements dans notre réponse aux situations déviantes et criminelles. Les avantages sont considérables. D’abord, ce mode de règlement est moins coûteux et plus rapide que le système traditionnel. D’ailleurs, il y a de sévères critiques à l’égard des coûts élevés et des délais importants au niveau du traitement des dossiers dans l’appareil judiciaire. Pour poursuivre, une démarche de dialogue (direct ou indirect) est très exigeante pour le contrevenant. Elle a pour effet de responsabiliser ce dernier et ultimement elle peut mener à la dissuasion. Dans cette optique, des études démontrent qu’il y a diminution du taux de récidive pour les personnes ayant participé à une telle démarche.[2] Les études révèlent aussi que les parties sont très satisfaites du processus et des résultats. Toutes les personnes ont l’occasion de s’exprimer et d’entendre ce que les autres veulent exprimer afin de soulager leur souffrance. Ainsi, il y a une meilleure compréhension de l’événement de toutes les parties. La décision finale est convenue par les personnes directement concernées par l’événement ce qui peut répondre à leurs besoins de manière plus satisfaisante. Enfin, les personnes victimes et le responsable du délit peuvent tourner la page plus facilement en ayant certains moyens qui peuvent contribuer à leur rétablissement. [3]

Qui d’entre nous n’a jamais posé un geste « déviant »? Est-ce que nous méritions d’être sévèrement réprimandés? De comprendre les conséquences de ses gestes pour autrui et d’avoir à faire face à la personne touchée par la situation nous amène à réfléchir, à faire des prises de conscience et à modifier nos comportements. Recevoir des explications et des excuses peut permettre à la personne victime de comprendre, d’être rassurée et soulagée. La punition et la répression ne sont pas toujours nécessaires. Dans cette optique, il doit y avoir différents modes de réponse au crime. La justice réparatrice n’est pas suffisamment développée au Québec et au Canada. De telles initiatives doivent être encouragées.   

 Isabelle Rouleau-Danis



Commentaires

  • Bonjour

    Votre sujet m'interpelle particulièrement dans le conexte politique actuel. À vrai dire, je suis plutôt inquiet du tournant très répressif en ce qui concerne la justice au Canada. La lourdeur des peines est au sein même du programme des Conservateurs. L'approche humanisme de la justice réparatrice peut être beaucoup plus constructive envers les victimes, qui y trouverons une véritable tribune afin de signifier les préjudices qu'elles ont vécu et pourrons demander réparation de façon créative. Les contrevenants seront véritablement confrontés à leurs gestes et leurs conséquences. Ces derniers seront en mesure de débuter un véritable processus de changement dans un contexte autre que la répression et la vangeance. Je suis tout à fait en accord avec votre raisonnement.

  • Je suis également très inquiète des changements que le gouverment veux apporter au niveau de la justice, notamment au niveau de la justice des mineurs. Le Québec se démarque particulièrement de par ses différents programmes.

    Si tu désires en connaître davantage sur la justice réparatrice, je t'invite à consulter le site du ROJAQ (Regroupement des organismes de justice alternatives du Québec). Merci pour ton commentaire, c'est intéressant de savoir que je ne suis pas seule avec mes craintes!

  • Je suis tout à fait d'accord avec vous que la justice réparatrice n'est pas assez connu et promu au Québec et encore moins au Canada.

    Le Québec semble toutefois se démarquer du Canada par rapport à sa gestion du crime, en favorisant davantage la réadaptation plutôt que seulement la répression, mais l'on gagnerait, selon moi, comme société à utiliser la justice réparatrice. Il y a une notion de responsabilité individuelle que l'acteur du délit doit assumer, ce n'est pas à l'État d'assumer seul la responsabilité de protéger ces citoyens. La "conséquence" sur l'acteur de délit est selon moi beaucoup plus importante s'il doit faire face à la victime, s'expliquer, s'excuser, etc. que s'il doit seulement passer du temps en prison en attendant que son temps soit fait.

    Il est inquietant de voir le gouvernement Conservateur vouloir renforcer les peines pour les adolescents délinquants, qu'ils soient traités comme des adultes. L'adolescent n'a pas la maturité cognitive d'un adulte et sans vouloir minimiser les gestes qu'ils peuvent causer, son analyse de la situation et des conséquences est beaucoup plus naive et inconsciente que celle d'un adulte. Ce qui renforce l'idée que la réadaptation est très importante chez eux. Il peut arriver à tous de faire des "erreurs", mais de quoi l'on se souvient le plus : du temps passer en chambre "en punition" ou de la fois où nous avons dû aller s'excuser chez notre voisin et avoir dû couper son gazon un été de temps pour rembourser "réparer" sa fenêtre?
    Carolyne Gingras (jeudi pm)

  • Les modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents que les conservateurs veulent apporter me font sérieusement peur à moi aussi. Le Québec travail depuis 25 ans à développer un modèle qui favorise la réadaptation et la réparation. Harper nous casse les pieds depuis son entrée au pouvoir. Tu m'as l'air familiaire avec le réseau de la justice des mineurs.

    Par ailleurs, je t'invite à consulter le site du ROJAQ (Regroupement des organismes de justice alternative du Québec) si tu veux en savoir davantage au sujet des différentes initiatives en matière de justice réparatrice. Merci d'avoir pris un petit moment pour me tansmettre ton feedbadk, je suis en quelque sorte rassurée de constater que d'autres ont une vision similaire à la mienne.

  • À lire avec grand intérêt. Proftrudel

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