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Le financement par activité: un moyen d’améliorer notre réseau de santé?

L’explosion des dépenses de santé au Québec est un phénomène bien documenté. En 2009-2010, le gouvernement du Québec injectait 31,5 milliards $ dans son réseau de la santé, soit une hausse de 5,7% par rapport à l’année précédente. Dans la foulée du dépôt de son budget 2010-2011, le ministre des Finances du Québec, M. Raymond Bachand, brossant un sombre portrait de la situation à venir au court des prochaines décennies, expliquait en mars dernier que «la part de la santé dans les dépenses de programmes est passée de 31 % en 1980 à 45 % en 2010. À ce rythme, le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux comptera pour près des deux tiers des dépenses de programmes en 2030[1].» D’autre part, peut-on affirmer sérieusement que la qualité et la disponibilité des services de santé du Québec progressent au même rythme que leurs coûts ? Bien au contraire ! Pensons entre autres aux listes d’attente qui s’allongent, à la pénurie de médecins de famille, aux salles d’urgence bondées, etc. Les défaillances de notre réseau de santé sont illustrées en détail à tous les jours dans les médias.

 

 

Malgré cette description morose du réseau de santé québécois, on se console lorsqu’on constate que toutes les provinces canadiennes sans exception sont confrontées, à divers degrés, à la même situation. Dernièrement, c’était au tour de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) de contribuer à la question avec la publication d’une étude sur la situation économique actuelle du Canada[2]. Parmi les quelques pistes de solutions proposées pour contrôler la gestion des coûts de santé et ainsi permettre aux canadiens d’en avoir « plus pour leur argent », le rapport de l’OCDE recommande aux autorités provinciales d’opter pour un financement des hôpitaux selon le mode « par activité ». Le concept de « financement par activité » m’étant assez peu connu, il a piqué ma curiosité, ce qui m’a incité à en apprendre plus à ce sujet. J’aimerais partager avec vous les résultats de mon enquête.

 

 

Avant d’en savoir plus sur le financement par activité, commençons par le commencement : quelle méthode est actuellement utilisée par le gouvernement du Québec pour déterminer le budget qui sera accordé annuellement à chacun des hôpitaux du réseau ? On se base sur les coûts historiques, c’est-à-dire les sommes accordées l’année précédente, sommes qui sont ajustées marginalement selon des critères établis par le gouvernement. Ce mode de financement global est simple d’utilisation et prévisible. Il permet, d’une part, au gouvernement d’exercer un certain contrôle sur ses dépenses et, d’autre part, aux hôpitaux d’utiliser à leur guise les montants reçus. Le revers de la médaille est qu’il n’y a pas de lien direct entre le budget reçu par un hôpital et les coûts réels des soins qui y sont offerts, ce qui ne favorise pas l’allocation efficiente des ressources, la performance et l’innovation.

 

 

C’est pour palier à ces lacunes du mode de financement historique que de nombreux observateurs, tel l’OCDE, recommandent aux administrations publiques canadiennes de recourir plutôt à un financement basé sur les activités. Le financement par activité est une méthode utilisée pour déterminer le budget annuel accordé à un hôpital selon la valeur estimée des soins et services prodigués à ses clients.  Selon ce système, le gouvernement attribue le budget d’un l’hôpital en fonction de la valeur des soins et services de l’année précédente. Ainsi, un montant fixe est remboursé pour chaque admission, montant qui varie selon la nature des soins donnés. Par exemple, le gouvernement pourrait estimer que le coût total d’une chirurgie cardiaque, incluant tous les frais d’hospitalisation sans exception, est de 50 000$. Il remettra donc à un hôpital une somme de 50 000$ multiplié par le nombre de chirurgies cardiaques réalisées au cours de l’année. Le même exercice comptable est effectué pour tous les types de soins, ce qui, en bout de ligne, détermine le budget total accordé à l’hôpital. D’aucun prétendent que ce type de financement encourage nettement l’utilisation optimale des ressources hospitalières. L’hôpital, sachant à l’avance quel montant lui sera remboursé pour une activité donnée, fera en sorte de réaliser cette activité au plus petit coût possible pour ainsi dégager un surplus ou, à tout le moins, minimiser les pertes. Il y a ici un incitatif évident à utiliser les ressources disponibles de manière la plus efficiente possible et à revoir les processus en place de fond en comble, ce qui, ultimement, force les administrateurs de soins de santé à réévaluer les façons traditionnelles d’assurer des soins et services de santé.

 

 

Les détracteurs du modèle de financement par activité avancent que, pour des raisons de rentabilité, la quantité des activités de santé serait favorisée au détriment de la qualité ; que les hôpitaux auraient avantage à prioriser les cas les plus simples au détriment des opérations plus complexes ; et finalement, que les hôpitaux plus petits ou situés en région éloignée seraient les grands perdants d’une telle forme de financement, étant donné des contraintes telles qu’un volume d’activités moindre ou un accès plus difficile à la main d’œuvre spécialisée[3]. Par ailleurs, une difficulté intrinsèque à ce mode de financement vient du fait que, pour être réellement efficient, l’estimation des coûts remboursés pour chaque type d’activité doit être déterminée le plus justement possible et de manière continue, ce qui, admettons-le, est plutôt compliqué dans la réalité.

 

 

Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Suède et la Norvège sont des exemples de pays où le financement par activité des soins de santé est utilisé à divers degrés et sous des formes différentes. Certains états ont même développé un système hybride combinant le financement historique à celui par activité. Quant à savoir si le financement par activité favoriserait effectivement l’allocation efficace des ressources investies en santé, les études empiriques qui s’y sont intéressées ne permettent pas de dégager des évidences claires. Certaines études démontrent que le financement par activité améliore l’accès aux soins grâce à une réduction des listes d’attente. D’autres études, par ailleurs,  montrent une hausse substantielle des coûts de santé. Au Royaume-Uni, on observe une présence de plus en plus marquée des cliniques privées depuis l’adoption d’un mode de financement par activité. Quant aux États-Unis, des cas répandus d’abus du système par des hôpitaux américains illustrent les effets pervers que peut entrainer le financement par activité[4].

 

 

Malgré ses effets incertains, je crois que le Ministère de la santé du Québec devrait envisager le recours au financement par activité, et ce dans le but de stimuler l’efficacité et l’innovation de notre réseau de santé. Pour être utile, je suis d’avis qu’un tel changement des pratiques budgétaires devrait respecter certaines conditions. D’abord, il faudrait que le financement par activité soit introduit à petite échelle, sur un nombre limité d’activités et d’établissements de santé. De cette manière, il serait plus simple de mesurer ses impacts réels sur l’offre de services de santé.  Aussi, pourquoi ne pas en profiter pour introduire le principe de financement par activité en l’appliquant aux services de santé pour lesquels les délais d’attente sont les plus élevés ?  Se faisant, il serait intéressant de voir si, par exemple, une hausse des frais remboursés pour chacune de ces activités amènerait une baisse des listes d’attente associées à ces services. Mais au-delà de ces conditions, je pense que la pierre d’assise d’un recours au financement par activité vraiment efficace réside dans sa méthode de détermination des coûts remboursés. Il faudra que cette méthode fasse en sorte que les frais remboursés associés à une activité donnée reflète avec le plus d’exactitude possible et de manière continue le coût réel de cette dernière, sans quoi le principe même de financement par activité perdra toute sa pertinence.

 

 

Lors d’une entrevue à RDI en janvier dernier, le fiscaliste Luc Godbout, mandaté par le ministre Bachand pour proposer des initiatives novatrices qui viseraient à améliorer l’état des finances publiques du Québec, envisageait que le financement par activité soit éventuellement utilisé par notre gouvernement pour l’attribution des budgets hospitaliers[5]. Y a-t-il possibilité que Québec recourt prochainement à cette avenue? Lorsqu’on constate à quel point il est difficile pour le gouvernement de changer les façons de financer le réseau de santé, il est permis d’en douter. Pensons au projet de ticket modérateur introduit dans le dernier budget Bachand qui a été abandonné le mois dernier.  

 

 

Jean-François Morel

ENP-7328, jeudi PM, automne 2010

Enjeux contemporains de gestion dans les organisations

des services de santé et de services sociaux

 

 



[1] Ministère des Finances du Québec : Budget 2010-2011 - Communiqué no 3 de 6 – Mieux financer le système de santé et le rendre plus performant http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Mars2010/30/c6548.html

[2] Organisation de coopération et de développement économique : Études économique de l’OCDE : Canada, septembre 2010.  http://www.oecd.org/dataoecd/28/1/45981325.pdf

[3] Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé : « Modèle de financement par activité dans les hôpitaux canadiens » http://www.cadth.ca/index.php/fr/hta/reports-publications/health-technology-update/ht-update-12/activity-based-funding-models-in-canadian-hospitals

[4] Canadian Doctors for Medicare : « Activity-Based Funding (ABF)” http://www.canadiandoctorsformedicare.ca/abf-bulletins.html

[5] Radio-canada.ca : « 10 pistes « concrètes » pour Québec » http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2010/01/27/005-rapport-prebudgetaire.shtml

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