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Blogue # 2 - J. Besry - Le privé bientôt au chevet du malade ou comment Québec amorce la privatisation de son système de santé publique

 

 

 

Le dernier budget provincial 20010/2011 avec l’introduction de la ‘’contribution santé’’ vient encore relancer le débat sur l’urgente nécessité de faire payer aux contribuables une partie des services de santé qu’ils reçoivent. S’appuyant sur l’augmentation des coûts du système et autres charges afférentes, Québec laisse entendre ne pas avoir d’autres choix, s’il veut maintenir la qualité des soins de santé offerts,  que de recourir à l’introduction de la taxe santé. Cette rupture drastique avec le modèle québécois de l’état protecteur, garant de la santé des citoyens, pose à la fois un problème d’éthique et d’écart avec les principes fondamentaux des lois canadiennes et québécoises qui régissent le système de santé. Cette nouvelle taxe santé est-elle révélatrice de la volonté de Québec de vouloir privatiser davantage le système ou tout au moins assurer sa gestion de façon partagée avec le privé comme nous l’avons vu dans d’autres formes de partenariat public-privé ? Faut-il, par ailleurs, permettre l’intrusion du privé en santé ? Voilà toutes ces questions qui feront l’objet de notre analyse dans les lignes qui suivront.

 

Le financement du système canadien de santé relève pour une grande partie de l’État. Le gouvernement fédéral revêt différents rôles dans l’administration du secteur de la santé. Il établit et administre les principes et les normes relatives aux services de santé. Il aide au financement des services de santé sociaux et territoriaux sous forme de transferts fiscaux. Il offre des services de santé directs à des groupes particuliers de Canadiens (anciens combattants, militaires etc.). Cependant, c’est au niveau provincial qu’incombent la gestion et la prestation des services de santé. Chaque province planifie, finance et évalue les soins hospitaliers et médicaux ainsi que les services de santé publique. Il faut d’ailleurs souligner que le système de santé et de services sociaux du Québec, est un modèle unique qui comporte trois caractéristiques. Les services de santé et les services sociaux sont intégrés au sein d’une même administration. Le système de santé est sous le contrôle public et il repose sur trois paliers d’intervention : central, régional et local.

 

La loi canadienne sur la santé est une législation fédérale adoptée en 1984, qui inscrit les conditions et les critères auxquels les provinces et les territoires doivent se conformer pour recevoir la totalité de la somme de paiements de transfert négociés touchant aux services médicaux. La législation encourage les provinces à entretenir des plans d'assurance de santé publique pour leurs résidents et décourage l'utilisation d'extra facturation et des redevances par utilisateur dans la livraison de services médicaux. Le but et l'effet de l'acte sont d'entretenir des standards nationaux pour la livraison de soins de santé publique.

 

Cette loi a été proposée suite à l’étude sur le système de santé présidée par le juge Emmett Hall en 1979[1]. Il révélait que certaines pratiques menaçaient de créer un système à deux vitesses qui empêchaient les Canadiens d’avoir tous les mêmes accès aux services gouvernementaux de soins de santé. En effet, dans certaines provinces, les hôpitaux avaient commencé à imposer des frais aux usagers pour certains services. De même, des médecins, se jugeant insuffisamment rémunérés par le Régime d’assurance maladie, avaient adopté la même politique avec leurs patients.[2] Une telle façon de faire fut perçue comme limitant l’accès au système de santé pour les patients à faible revenu. C’est ainsi dans cet esprit que le Fédéral adopta la loi canadienne sur la santé.

 

La loi canadienne sur la santé repose sur des principes. Mais quels sont les cinq principes fondamentaux qui en sont ses piliers fondateurs ?

 

Gestion publique : le plan de santé doit être géré sur une base non lucrative par un représentant de l’autorité publique du gouvernement de la province ou du territoire.

 

Intégralité : le plan de santé doit couvrir tous les services (médicalement nécessaires) fournis par les hôpitaux et les médecins, ainsi que certains services définis offerts par d’autres professionnels de la santé.

 

Universalité : tous les résidants assurés d’une province ou d’un territoire ont droit aux services de santé assurés selon des modalités uniformes.

 

Transférabilité : les Canadiens qui déménagent dans une autre province ou un autre territoire continuent d’être protégés par le régime de leur province ou territoire d’origine pendant la période d’attente minimale (trois mois maximum) imposée par la nouvelle juridiction. Ils doivent aussi être couverts durant leurs absences temporaires du pays.

 

Accessibilité : tous les résidants assurés auront droit à un accès raisonnable aux services de soins assurés, sans qu’ils aient à subir les contraintes de frais supplémentaires, de surfacturation et de facteurs discriminatoires tels que l’âge, l’état de santé ou la situation financière.

 

Ainsi pour certains, les principes évoqués dans cette loi sont désuets, restrictifs. Ils correspondent à une sorte de carcan juridique qui empêchent le système de santé de s’attaquer aux listes d’attentes interminables et d’être en mesure de faire face financièrement aux demandes de plus en plus nombreuses en matière de soins de santé.  À l’opposé, d’autres spécialistes pensent que cette loi est un élément qui définit l’identité canadienne. Elle symbolise les valeurs profondes des citoyens puisqu’elle s’engage à offrir à tous les canadiens les mêmes services de soins de santé.

 

La privatisation existe déjà dans le système de santé québécois sous certains aspects comme la possibilité de recourir à des assurances privées[3] (rôles supplémentaires et complémentaires). La question est de savoir si nous pensons qu’il serait pertinent de laisser davantage de place au privé dans le système de santé. Certains partisans de l’amendement de la loi canadienne sur la santé, craignent que les coûts de santé n’augmentent plus rapidement que la capacité de payer du gouvernement. Selon eux, la loi amendée permettrait l’injection de fonds supplémentaires provenant de sources privées, sans pénalités pour les provinces et les territoires. Par ailleurs, son amendement permettrait également aux patients d’avoir rapidement accès à certains services comme l’imagerie par résonance magnétique pour les diagnostics et la chirurgie, ce qui les empêcherait de recourir à des ressources privées extérieures.  

 

D’un autre côté, quels seraient réellement les impacts négatifs d’ouvrir davantage la porte au privé ? Le privé serait soit disant plus performant, plus efficace et plus rentable. Cependant, certains services de soins sont déjà privatisés. 30% des dépenses de santé proviennent  directement de la poche des patients. L’accès, par exemple, aux dentistes, aux optométristes est directement lié à la capacité de payer, ce qui accentue les disparités entre ceux qui peuvent se les payer et ceux qui n’en n’ont pas les moyens.

Durant ces dernières années, le développement du privé pour les services de diagnostics s’est particulièrement accru (cliniques privées pour des mammographies, des radiographies, des examens de résonance magnétique). Le privé offre certes davantage de services. Nous devons, néanmoins, avoir à l’esprit quels en sont les véritables bénéficiaires ? Cette offre de services est-elle accessible à tous les citoyens ? Le principe d’accessibilité est-il maintenu ? Malheureusement, ce ne sont uniquement  que les personnes qui en ont les moyens financiers ou qui ont des assurances qui peuvent bénéficier de ces diagnostics plus rapides et donc des traitements plus rapides !

 

Le privé est-il vraiment une solution pour désengorger le réseau public ? La pénurie de personnel dans le réseau public s’aggrave depuis qu’on a de plus en plus recours au privé. Certains médecins se désaffilient du système public. Des infirmières et d’autres professionnels de la santé quittent leurs postes pour aller travailler dans le privé. Ainsi, le développement d’un système semble bel et bien se faire au détriment de l’autre. L’État paie cher les services du privé (Loi 33)[4] qu’il pourrait offrir à un meilleur coût s’il investissait davantage dans le réseau public ou bien s’il disposait des ressources humaines dont il a besoin. En fait, le développement de deux systèmes parallèles réduit l’accès aux services pour les plus pauvres et nuit au développement du système public.

 

Comment le gouvernement envisage t-il de maintenir des services de santé de qualité ? La réponse est-elle dans le budget 2010-2011 ? Celui-ci prévoit l’instauration « d’une contribution santé annuelle »qui est censée assurer un financement adéquat  des services de santé et des services sociaux. Cette « taxe » va contribuer à la réduction additionnelle des dépenses du gouvernement. Ses revenus seront versés au nouveau « Fonds pour le financement des établissements de santé ». Cette contribution santé sera de 25 $ en 2010, de 100 $ en 2011 et de 200 $ à compter de 2012.[5] Ce budget provincial mentionne également « un recours plus important à la tarification, qui repose sur le principe d’un contribution additionnelle demandée aux plus grands utilisateurs de services publics ».[6] N’est-ce pas là un moyen pour le gouvernement de mettre en place une forme de « ticket modérateur » déguisé ? Ces mesures ne vont-elles pas toucher de plein fouet les contribuables à faibles et moyens revenus ? Sont-elles éthiquement acceptables ? De plus, ne vont-elles à l’encontre même des valeurs et des principes ancrés dans la loi canadienne sur la santé ? Ces mesures semblent finalement traduirent un « retour en arrière » et contreviennent aux raisons mêmes pour lesquelles la loi canadienne sur la santé a été instaurée (création d’un système de santé à deux vitesses, surfacturation, inaccessibilité aux soins pour certaines catégories de la population etc.).

 

 

Le système public de santé a été, est et ne doit-il pas continuer d’être un des principaux outils de redistribution de la richesse collective ? Si le gouvernement allait de l’avant avec la privatisation du système de santé et des services sociaux, ne serait-il pas clairement une atteinte au droit à l’égalité ? L’acceptation du privé en santé ne reviendrait t-il pas à s’éloigner du partage de la richesse en fonction du bien commun et à instaurer pour ainsi dire la « marchandisation » de la santé ?

 

 

Joëlle Besry

 



[1] L’étude sur la santé présidée le juge Hall a été rendue publique en 1980.

[2] Les frais supplémentaires imposés aux patients correspondaient en réalité à une « surfacturation des services ».

[3] Jugement Chaoulli (juin 2005) : la Cour suprême détermine que les Québécois ont le droit de contracter une assurance privée, pour se faire soigner au privé, si les délais d’attente  le justifient. Ainsi elle a remis en question le monopole de l’assurance santé au Québec.

[4] L’adoption de la Loi 33 (décembre 2006) permet aux citoyens d’avoir recours au privé, aux frais de l’État, pour les opérations de la cataracte, de la hanche et du genou lorsque les délais d’attente le justifient.

[5] Budget 2010-2011, les orientations économiques et budgétaires du gouvernement, p. A.33.

[6] Idem, p A.39.

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