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Dans les eaux troubles du 2-22 Sainte-Catherine et du Quadrilatère Saint-Laurent

 

Blogue #2

Par ÉLISABETH CÔTÉ, groupe de Montréal du jeudi soir, ENP 7505

Dans les eaux troubles du 2-22 Sainte-Catherine et du Quadrilatère Saint-Laurent

S’il est un projet qui traverse un chemin parsemé d’embûches et qui met en lumière la complexité de certains principes de l’administration publique, c’est bien celui du Quartier des Spectacles, à Montréal. Au cœur du projet, la revitalisation de l’axe Sainte-Catherine/Saint-Laurent anime les passions et intérêts de nombreux critiques, groupes de pression, citoyens ou journalistes, que ce soit sur le plan de l’urbanisme ou sur le plan de la transparence. Tout récemment, ce sont les aléas entourant la construction des immeubles 2-22 Sainte-Catherine et Quadrilatère Saint-Laurent qui ont retenu l’attention et nous amène à poser des constats sur trois plans : les partenariats public-privés (PPP), la question de la transparence en administration publique et les groupes de pression.

 

Un exemple de PPP


Engagé en 2003 à la suite du Sommet de Montréal dans le but de mettre en valeur plus de 80 lieux de diffusion culturels, ainsi qu’un nombre de festivals internationaux et événements d’envergure, le projet de Quartier des spectacles occupe le quadrilatère formé des rues Saint-Hubert, Sherbrooke, City Coucillors et du boulevard René-Lévesque. Pour gérer le projet, on a formé le Partenariat du Quartier des spectacles, composé de 16 membres provenant des milieux de la culture, de l’immobilier, de l’éducation, des affaires, de résidants, de la Ville de Montréal et du gouvernement du Québec. Il s’agit d’un bel exemple de partenariats publics et privés, où les principaux deniers sont engagés par la Ville de Montréal, le ministère des Affaires municipales et des Régions du Québec – donc l’argent des contribuables – mais aussi par des partenaires privés. Il n’est pas inintéressant qu’un projet de ce genre se fasse conjointement avec des intérêts privés et publics. Cela a l’avantage de bien préparer les projet AVANT et d’éviter les estimations sommaires. Mais cela évite aussi la lourdeur/lenteur administrative de certains projets exclusivement publics. Ce type de partenariats doit cependant composer avec des intérêts corporatifs à but lucratif et (surtout) des objectifs respectueux de l’intérêt général, ce qui n’est pas gagné d’avance.

C’est d’ailleurs pourquoi le Partenariat du Quartier des spectacles est composé d’acteurs représentant divers intérêts tels l’administration publique, les entreprises privées et les citoyens. Le Partenariat affirme à cet effet que « son approche basée sur une concertation étroite des partenaires permet, au-delà des intérêts de chacun, une prise en charge du développement par les forces vives du quartier. » Et il faudrait ajouter « permet de réduire les risques de dérives inhérents aux rapports entre les cultures des entités de droit privé et celles du secteur public ». Il est important de rappeler ceci : le fait que l’administration publique intervienne directement et à ce point dans le domaine de la culture est bien propre au Québec. Dans la province, la culture a quasiment un statut de « services publics d’intérêt général » étant donné sa fragilité, son « isolement » et son caractère unique. Jusqu’ici, tout va relativement bien puisque nous restons assez rapprochés de la théorie. Du moins, il semble que les administrations publiques aient le plus gros bout du bâton et qu’elles agissent dans l’intérêt public, dans une optique de développement en faveur de la Ville et dans le respect de la fonction récréotouristique, culturelle et d’affaires du secteur. La Ville a d’ailleurs formé trois comités-conseils (Conseil du patrimoine, Comité d'architecture et d'urbanisme, Comité consultatif d'urbanisme de l'arrondissement) pour effectuer des recommandations. Là où ça se corse, c’est dans la pratique.

 

Une transparence non négociable... en théorie


Au cœur du programme se trouve l’intersection Sainte-Catherine/Saint-Laurent, et la construction du 2-22 Sainte-Catherine (qui sera le Phare du Quartier des spectacles) et du Quadrilatère Saint-Laurent, deux bâtiments à vocation culturelle. Le projet est financé à 45% par la Ville et le Gouvernement du Québec et à55% par des investisseurs privés. Il y a peu de temps, plusieurs tensions se sont fait sentir quant à la nomination de la personne responsable de la gestion de ce projet spécifique, et quand au rôle qu’a tenu la municipalité de Montréal dans la transparence – ou l’absence de – quant à l’attribution des contrats.

Normalement, l’administration publique municipale aurait dû aller en appel d’offres pour le développement de cet immeuble du Quartier des spectacles, mais elle n’a pas respecté cette procédure pourtant convenue depuis les éclats de mauvaise transparence (que l’on pense seulement aux cas d’attribution de contrats de construction et d’installation de compteurs d’eau ou à la gestion « douteuse » de l’arrondissement Plateau Mont-Royal). Ainsi, l’homme d’affaires qui a obtenu les sites et le contrat voués à l’érection de ces deux bâtiments, M. Christian Yaccarini (par le biais de La Société de développement Angus dont il est le pdg) n’a pas eu à répondre à aucun appel d’offres. Il a bénéficié ainsi d’entrée de jeu d'une subvention de 5 millions de dollars provenant directement des deniers publics. Tout le contraire de ce que recommande Pierre Bernier au sujet de la réussite de partenariats publics-privés par rapport à la transparence : « […] le processus de recueil de propositions adéquates en nombre suffisant, celui de leur mise en concurrence et l’étape du choix dans la transparence du ou des partenaires privés sont des stades cruciaux. » (« Nouveaux partenariats entre le public et le privé : conditions d’émergence d’un modèle québécois », Téléscope, février 2005, p. 90.).

La nomination de M. Yaccarini avait été acceptée à l’époque par Benoit Labonté, lui même entaché lors de la campagne électorale pour avoir entretenu des liens avec Tony Accurso, un membre de la mafia montréalaise bien connu. Ce qui est étrange, c’est que Labonté, après sa démission, a fourni des renseignements incriminants pour Yaccarini. Ce dernier aurait déjà été reconnu coupable à quelques reprises pour vol, fraude et bris de probation, ce qui aurait pu remettre sérieusement en question sa crédibilité et sa validité. Pourtant, M. Yaccarini est toujours le promoteur officiel, sans mandat formel, et il a l’appui de la Ville pour construire ces bâtiments et participer au processus d’expropriation du Quadrilatère Saint-Laurent. En février dernier, la ville a décidé de soutenir la Société de développement Angus, affirmant que les événements incriminants de M. Yaccarini n’étaient que des « accidents de parcours ». Mais le projet est sous l’œil scrutateur du Vérificateur général de Montréal, qui veut s’assurer que les deniers sont distribués proprement. Il analysera le processus décisionnel de la Ville dans ces trois projets et observera attentivement les transactions associées au Quartier des spectacles en général, mais particulièrement le cas du 2-22 Sainte-Catherine, du Quadrilatère Saint-Laurent et d’un troisième projet, tous dirigés par Yaccarini. Voilà une excellente idée pour favoriser la transparence.

M. Christian Yaccarini est peut-être très compétent en la matière, il a peut-être des idées fort originales pour élaborer une vision de développement de ce secteur. De plus, les ententes qui ont été établies entre lui et la Ville ne sont pas illégales à proprement parler. Par contre, sa nomination est mauvaise pour la légitimité de l'administration publique (non respect des procédures), et M. Yaccarini est désormais placé sous une plus haute surveillance.

Les groupes de pression comme contrepoids


En plus de la question – épineuse dans le cas présent – de transparence inhérente au concept d’administration publique, il faut aussi mentionner l’impact des groupes de pression. Le projet 2-22 Sainte-Catherine et le Quadrilatère Saint-Laurent situé juste en face – tous deux sous l’égide de M. Yaccarini – interpellent plusieurs groupes de pression. Certains disent qu’ils sont de véritables bâtons dans les roues du progrès, mais ils sont selon nous non moins nécessaires pour la légitimité du présent projet.

D’abord, les citoyens et intérêts du quartier se sont regroupés sous le nom de Corporation de développement urbain du Faubourg Saint Laurent. Au début du projet du 2-22, ils ont déposé un mémoire à l’Office de consultation publique de Montréal demandant de respecter les points suivants : 1) Une occupation commerciale de qualité aux étages inférieurs; 2) Des espaces dédiés à la diffusion culturelle; 3) Un design qui fasse consensus et qui fasse l’objet d’un concours, tel que proposé par la politique culturelle de Montréal adoptée lors du RV 07.

D’autres défendent le statut de la zone qui est l’ancien Red Light de Montréal, et dont le plus ancien représentant encore actif est le bar de danseuses Le Cléopâtre, coin Saint-Laurent/Sainte-Catherine. Son propriétaire a été exproprié dans le cadre du projet, mais il a contesté devant la Cour supérieure. Il y a aussi le Club Opéra, l’épicerie Importations Main et le Montreal Pool Room qui ont fait front commun pour dénoncer le caractère cavalier du promoteur en imposant l’expropriation sans conditions.

Des organisations en faveur du respect du patrimoine, comme Héritage Montréal, Phyllis Lambert (qui est une organisation à elle seule!), Culture Montréal et des groupes de professeurs d’architecture et d’urbanisme, se sont également interrogées sur la pertinence du projet architectural, qui propose de tout démolir et de ne conserver que les façades. Ils se sont appuyés sur la valeur patrimoniale et historique du lieu pour ralentir, modifier, voire empêcher le développement tel qu’il est en ce moment. Ils ont aussi reproché au projet d’entrer dans un plan d’urbanisation qui n’a pas de vue d’ensemble, qui manque d’intégration à la trame urbaine. En outre, ils ont fait remarquer qu’on n’est même pas assurés que les occupants du bâtiment respecteront cette vocation culturelle du 2-22 Sainte-Catherine : on parle de bureaux d'Hydro-Québec et de commerces de type équitable, donc de bureaux corporatifs. Il faut aussi compter parmi les facteurs de « pression » que le Quadrilatère se situe dans l'aire de protection du Monument-National, classé patrimonial par le gouvernement provincial et qu’il faudra respecter cet état des choses dans le projet.

Autrement dit, grâce aux audiences publiques et à un ensemble d’actions (entrevues, textes dans les journaux, présence dans les médias, événements et manifestations, etc.), ces groupes ont permis d’obliger le promoteur à refondre son projet. Malgré que certains groupes aient été mitigés aux yeux du grand public, leur action était non moins nécessaire en soi et dans le respect de l’histoire et du patrimoine de cette partie de la ville. Ainsi, la hauteur du Quadrilatère sera réduite à la même hauteur que le Monument national voisin, tout comme les coûts de construction.

 

Bref, le cas de la revitalisation de l’axe Sainte-Catherine/Saint-Laurent est un dossier chaud, que plusieurs qualifient même de patate chaude. Yaccarini a de la difficulté à composer avec certains intérêts – et plus particulièrement le Cléopâtre qui ne veut rien savoir de partir, de même que le groupe Stella qui défend les intérêts des prostituées. La conférence de presse qu’il a tenue pour « remettre les pendules à l’heure et demander aux forces vives de Montréal et à la population de se manifester pour empêcher qu’un bar de danseuses nues bloquent ces trois projets » en est révélatrice. Le promoteur s’impatiente… Mais les deniers restent publics… Les paris sont lancés : comment se conclura ce projet? Comment ce promoteur immobilier composera-t-il avec ses opposants et ses partenaires? Cédera-t-il? Aura-t-il à attendra les prochaines élections au risque de mettre en péril son projet? Rien n’est moins sûr.

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