#2 Allard- l'État s'emmêle !
Blogue #2 Allard
Le privé s'en mêle, l'État s'emmêle.
Il y a des mariages de raison qui ne font pas bon ménage. Ainsi en est-il de ces noces public-privé censées porter le Québec dans la chambre à coucher de la modernité. Mais les enfants seront-ils reconnus?
Les exemples sont nombreux où, au Québec ces dernières années, on a chanté les louanges du privé pour répondre aux besoins de la société. Le plus connu étant bien sûr le cas de la santé, malade auquel la main invisible du marché allait trouver remède. Hélas, point de guérison à l'horizon. Au contraire, le malade a bien failli trépasser! C'est qu'il semble difficile de prendre le pouls des gros projets nécessitant investissements et longueur de vue, tels que le CHUM et le CUSM. Aussi la présidente du Conseil du trésor a -t-elle confirmé en conférence de presse le 26 mars dernier que les partenariats public-privé n'étaient plus la panacée à tous les projets de grandeur du plan de match gouvernemental. Le CUSM ira toutefois de l'avant, avec plus de 10 ans de retard, en mode public-privé. Bien sûr le tout coûtera passablement plus cher que prévu (1,4 milliards plutôt que 800 millions). Le CHUM quant à lui se trouve enfin dans les blocs de départ, après de rocambolesques faux pas de planification tels des édifices plus élevés que la hauteur permise (il a donc fallu une dérogation au plan d'urbanisme montréalais) ou un terrain zoné patrimonial (re dérogation) .
Tout de même, il faut admirer la résilience de ce gouvernement! Le passage incontournable en 2003-2004, soit lors de la prise du pouvoir par les libéraux de M Jean Charest, du privé pour offrir les services aux citoyens, incluant la réalisation des grands projets, s'inscrivait dans cette approche de réingénierie de l'État plus près du néolibéralisme que de la social-démocratie. Vocabulaire d'ailleurs emprunté au secteur privé, cette réingénierie a permis de mettre sur les rails des projets aussi utiles qu'une centrale hydroélectrique au gaz (….) - le Suroît- qu'un développement de condos dans un parc national -Orford- qu'un réseau de garderies privées en parallèle du réseau public des centres de la petite enfance (CPE).
Ce dernier cas est particulièrement problématique. En effet le réseau québécois des CPE permet d'offrir des places aux 0-5 ans à 7$ par jour en plus d'un encadrement professionnel pour les enfants et d'une structure démocratique offrant la possibilité aux parents de participer à la gestion de l'organisme, via le conseil d'administration et l'assemblée générale des membres. Avec les garderies privées, le cas de figure est tout autre. Comme pour tout secteur de la vie économique relevant du privé, la garderie est propriété d'un ou plusieurs individus. Et l'objectif est non seulement la rentabilité mais le profit.
Ainsi les conditions salariales et d'emplois sont moins bonnes pour les travailleurs de ce secteur que pour celui du public. Les parents ne peuvent participer à la gestion de l'organisme, bien que plusieurs garderies privées ont l'équivalent de comités de parents qui peuvent se prononcer sur les programmes éducatifs. Ceux-ci prennent d'ailleurs des formes étranges, notamment sur le plan religieux. Enfin, plusieurs parents sont appelés, sous divers prétextes, à payer des tarifs supérieurs aux 7$ de base. Le gouvernement finance donc deux réseaux, l'un public, l'un privé, en principe pour les mêmes finalités, sur un même territoire. Bien que cette façon de faire puisse sembler correcte sur papier, on se rend compte à l'usage que les enfants reçoivent des services de qualité variable, encadrés par des professionnels aux compétences inégales. Sans compter des environnements parfois douteux, comme ces garderies à vocation religieuse, absoute un jour par le ministre de la Famille Tony Tomassi et vouée aux gémonies le lendemain.
C'est que l'État essaie de défendre ce que la logique de l'administration publique lui interdit. Il est en effet trompeur de prétendre que le privé est un meilleur régulateur de l'activité humaine. L'idée de profit, de rentabilité court terme, prendra toujours le pas sur la qualité des services. Dans le cas des garderies, si la préparation des enfants à une entrée à l'école réussie affecte la marge de profit, il est clair que des restructurations budgétaires auront lieu soient sur les conditions de travail, les dépenses d'opération (location des espaces par exemple) ou le programme pédagogique (materiaux divers, sorties). Or, dans un contexte où sur Montréal, 30% des enfants arrivent à la maternelle avec un retard d'apprentissage, langagier, cognitif ou autre, il est un devoir collectif d'agir pour corriger la situation (Étude sur la maturité scolaire, Direction de la santé publique de Montréal, 2008).
Une action en amont permet alors d'obtenir des retombées positives non seulement pour les enfants eux-mêmes mais également pour le système scolaire, qui a donc moins d'efforts à consentir pour assurer la réussite de ces nouveaux élèves. Il s'agit tout autant d'assurer un parcours scolaire réussi que de restreindre les coûts sur un système scolaire déjà en manque de ressources. Pour ce faire, il faut avoir une vision globale des enjeux, dans une perspective de continuum de services et d'interdépendance des systèmes, des réseaux, des organismes ou des structures qui semblent a priori faire cavaliers seuls. C'est le rôle du gouvernement d'avoir cette vision et cette préoccupation, qui dépasse l'immédiat et la rentabilité court terme.
Dans ce cas-ci, renforcer le réseau public des CPE est une option qui relève des pouvoirs et obligations, morales à tout le moins, du gouvernement. En autant qu'on adhère bien sûr au modèle québécois qui, depuis 1960, a permis par divers programmes, de mettre en oeuvre le principe de solidarité sociale. Principe bien sûr contraire aux intérêts du privé, celui-ci étant basé sur l'individualisme et non le bien-être de la collectivité. Or seul l'État peut mettre l'économie au service du social, jouer un rôle de coordonnateur efficace et intéressé, pour qu'il y ait cet enrichissement collectif souhaité par tous.
Nous ne sommes évidemment pas dans cet univers politique, comme nous l'a signalé le gouvernement au cours des dernières années. Bien que des projets comme Orford et le Suroît soient morts au feuilleton - non sans une levée de bouclier publique- le privé est plus présent que jamais dans les affaires de l'État. Le budget 2010-2011 du gouvernement du Québec nous le rappelle avec un sans gêne troublant.
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Il ne fait aucun doute que l'économie est au coeur du développement humain, depuis les tout premiers trocs de nos lointains ancêtres jusqu'à la crise des subprimes américaines qui a plongé le monde en récession. Des empires se sont constitués, des territoires ont été conquis, des guerres ont été menées, des cités ont rayonné, d'autres périclitées, des hommes ont été riches comme Crésus, d'autres sont morts faute d'un quignon de pain et toujours, le commerce et les affaires ont poursuivi inexorablement leur route. Et nous voici donc aujourd'hui, en 2010, au Québec, avec un budget inspiré directement d'une conception affairiste de l'État. Après le dépôt du budget, le ministre Bachand n'a-t-il pas réservé sa première sortie publique à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le lieu d'affaires au Québec? La symbolique ne peut être échappée: après avoir consulté les chantres de l'économie de marché sur la meilleure façon de redresser les finances publiques québécoises, voici qu'il rend compte auprès des ténors de la république du privé des leçons apprises et solutions retenues.
Bien qu'habilement construit, et que la pêche aux revenus s'annonce fructueuse, le ministre trempe sa ligne dans l'étang des lieux communs chers au milieu économique: un État trop présent, le citoyen client, le privé surtaxé. Ainsi l'Etat s'amincira-t-il par effet de contraction interne, notamment par le non renouvellement d'une partie de la main d'oeuvre. On peut envisager, tel que le rappelait Josée Boileau dans un éditorial du Devoir le 1er avril dernier, que les services de l'État pourront difficilement être à la hauteur et que pour compenser, comme par hasard, le privé sera sollicité. Avec tous les dangers du copinage, du renvoi d'ascenseur, de caisses occultes. Ce qui ne manquera certainement pas d'arriver.
De son côté, le citoyen-client sera tarifé de tous bords tous côtés. Cette mise en place élargie du concept utilisateur-payeur est ce qu'il y a de plus inéquitable comme mesure fiscale. L'exemple type est le tarif d'électricité, dont le bloc patrimonial augmentera au cours des prochaines années. Or s'il est indéniable qu'une grande partie des Québécois peuvent payer plus pour leur électricité, il n'en demeure pas moins que pour une bonne part également ces augmentations, conjuguées à celles des dernières années, affectera plus durement leur budget. Dans un pays à l'hiver rigoureux, le chauffage, très majoritairement électrifié suite à de nombreuse campagnes incitatives de la Société d'État Hydro-Québec, est un bien essentiel qui peut difficilement être compressé dans un budget serré.
Il y a là un cynisme qui ne dit pas son nom. Surtout lorsque combiné à des hausses substantielles au plan de la santé: on imagine le ménage qui paie trop cher un logement insalubre, qui chauffe moins pour sauver un peu de sous et qui se retrouve malade, à devoir payer un franchise de 200$ annuels en plus des 25$ la visite… de quoi favoriser le développement d'une médecine à deux vitesses: l'officielle payante et le marché noir, un peu comme dans le domaine de la construction. Une question de temps peut-être avant de voir des rabouteurs, des extracteurs de dents et autres sorciers. À ces mesures s'ajouteront bien sûr deux hausses de taxes de vente consécutives (2011 et 2012) de 1% chacune; encore une fois ce sont les gagne-petits et la classe moyenne pour qui l'effet combiné de ces hausses seront le plus difficile. En effet, ce ne sont pas que les produits de luxe qui sont ainsi taxés mais les biens essentiels (frigo, vêtements, loisirs pour les enfants, essence…). Le crédit d'impôt ne pourra évidemment pas compenser les pertes de revenus chez les moins fortunés.
Avec la mise en place de hausses de tarifs et de frais de toutes sortes, ce sont les plus riches qui s'en tirent le mieux. Mais ce n'était pas suffisant: les entreprises, membres pour la plupart de cette élite financière, sont presqu'épargnées par l'effort (7%) demandé à tous. Il n'y a donc pas ou très peu de ponction sur le profit ou la richesse individuelle, produite pourtant par les efforts de tous, en premier lieu les employés de ces entreprises (qui eux, évidemment, paient). Pire, certaines compagnies ne sont carrément pas soumises à l'effort, soit les fameuses 150 grandes entreprises bénéficiant d'un tarif préférentiel d'Hydro-Québec (devrions-nous dire Hydre-Québec?).
Encore un fois, le cynisme est au rendez-vous. Ceux qui sont les plus riches seront le moins affectés, et l'écart entre riches et pauvres ne fera que s'accentuer. Et pour se donner bonne conscience, les chambres de commerce du Québec donneront à la guignolée annuelle de leur région…
Aux individus de se débrouiller, de magasiner éventuellement leurs services. Mais c'est un jeu de dupes: la plupart de ceux-ci, essentiels, sont l'objet d'un monopole ou presque, tels que l'électricité, la santé, voire l'éducation. C'est donc la philosophie du chacun pour soi qui triomphe, philosophie qui met à mal le rôle de l'État comme coordonnateur de la solidarité sociale, de redistributeur de richesse, de développeur. Et alors, si l'État ne peut jouer ce rôle, pourquoi le soutenir?
Dans le beau grand char gouvernemental, on a beau avoir le deux mains sur le volant, il faut voir plus loin que le pare-brise financier et savoir pourquoi on roule. Ce qui semble bien difficile quand le privé s'en mêle, alors que l'État, lui, s'emmêle. Dans cet effort pour redresser les finances publiques, c'est la conception du privé qui gagne. Mais c'est le public qui perd.