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Norbourg et capital politique

Norbourg et captital politique

Le 24 septembre dernier, le ministre québécois du Revenu, M. Rober Dutil, annonçait qu’il allait respecter la promesse de son prédécesseur faite en juin 2006 de rembourser aux investisseurs floués de Norbourg les impôts payés par Vincent Lacroix à l’État québécois. En effet, M. Lawrence S. Bergman, le ministre du Revenu à l’époque avait acquiescé à cette demande pressante des victimes de leur retourner 6 millions de dollars que M. Lacroix avait versés au fisc sous prétexte que cet argent était le leur, puisé directement à même les fonds communs de placement. À ces 6 millions s’ajouteront des intérêts de plus de 700 000 $. 

Il est à noter que le Groupe financier Norbourg était composé de plusieurs filiales et affichait, en 2004, plus de 2 milliards de dollars d’actif sous gestion. La cagnotte dans laquelle puisait Lacroix pour financer ses nombreuses acquisitions et mener une vie de pacha se limitait à 29 fonds communs de placement regroupés dans les Fonds Norbourg, Fonds Évolution et Fonds Perfolio. Sur des actifs totaux de 205 millions de dollars, il ne restait que 75 millions lorsque l’Autorité des marchés financiers (AMF) décida finalement d’intervenir en août 2005. L’ampleur de la fraude : 130 millions de dollars volatilisés et plus de 9200 investisseurs floués. Voilà pour la petite remise en contexte possiblement superflue pour cette cause hautement médiatisée.

Revenons à nos moutons donc, cette décision du gouvernement Charest de dédommager partiellement les 9200 victimes de Lacroix par l’entremise de son bras du fisc qui, comme partout ailleurs, est davantage reconnu dans la légende pour être long et avoir une mécanique à sens unique. Lors de son annonce, le ministre Dutil à mis de l’emphase sur le caractère exceptionnel de cette décision et a ajouté : « Par ce geste nous faisons preuve de compréhension et démontrons notre sympathie envers les investisseurs floués ».  Oui, d’accord. Compréhension et sympathie sont de mise lorsque des gens sont détroussés de leur avoir, dans certains cas, les fruits d’une vie de labeur. Mais est-ce que ce désir d’exprimer cette empathie peut justifier un retrait automatique au Fonds consolidé de la province et de faire de tous les contribuables québécois des créanciers, pour ne pas dire des victimes, de Vincent Lacroix? Pourquoi cette mesure choisie par le gouvernement fait en sorte que « caractère exceptionnel » soit maintenant synonyme de « mesure arbitraire »? Pour tenter de comprendre en quoi cette décision est bâclée et ne respecte aucunement certains principes de justices et administratifs fondamentaux, revenons sur quelques éléments essentiels de cette décision.

Tel qu’expliqué précédemment, c’est le ministre du Revenu Bergman qui annonça en mai 2006, suite à la décision de Vincent Lacroix de ne pas porter en appel la décision de la Cour supérieure le plaçant en faillite, le remboursement des impôts payés par ce dernier aux investisseurs bernés. Pourtant, même si toutes les apparences tendaient à démontrer qu’il était l’architecte de ce vaste crime économique, Lacroix n’avait pas encore été condamné par aucun tribunal à l’issue d’un procès juste et équitable. La décision précipitée du ministre équivalait ainsi à admettre que Vincent Lacroix avait commis un crime et que les fruits de celui-ci avaient servi à payer ses impôts au gouvernement du Québec. Pour le respect de la présomption d’innocence, l’un des principes fondamentaux de nos démocraties, s’il en ait un, on aura déjà vu mieux. De la part d’un gouvernement, c’est une grossière erreur! Le fait que le gouvernement ait attendu plus de trois ans et le dénouement du procès criminel de Lacroix (trois jours après l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité) pour exaucer sa promesse n’est certainement pas le fruit du hasard mais plutôt une petite gêne qu’il s’est gardée pour ne pas aggraver la gaffe initiale.

Une autre source de questionnement est la décision de rembourser les sommes récupérées par Revenu Québec auprès de Vincent Lacroix pour les années 1995 à 2004. Quand on sait que Norbourg n’a été créé qu’en 1998, une telle rétroactivité se veut une incohérence difficilement justifiable. Vincent Lacroix était-il déjà un fraudeur en 1995?  À preuve du contraire, non. Où est donc la logique qui permet d’expliquer que l’on va retourner des impôts qui ont été dûment payés à l’État? Certains rétorqueront que les sommes antérieures aux années 2000, soit à la croissance fulgurante de Norbourg, sont minimes et ne représentent que des peccadilles. Possible. Mais rien de justifie de les rembourser pour autant.

La décision du gouvernement Charest fait également fi d’une procédure normale et indispensable que prévoit notre système démocratique dans une telle situation soit, le recours judiciaire. À juste titre, les investisseurs de Norbourg ont déposé une requête en recours collectif que la Cour à acceptée en septembre 2006. Elle soulève comme principal argument, un manquement à leurs responsabilités de plusieurs tiers parties et « gardes fous » qui n’ont pas été en mesure de détecter  la fraude, ou encore, de le faire plus rapidement.  Certaines firmes fournissant des services à Norbourg ainsi que le gardien des valeurs (Northern Trust) et l’AMF sont visées par le recours. Malgré le fait que le système ayant permis la fraude de Lacroix était bien ficelé, il semble évident qu’il y avait du monde qui dormait « ça switch ». L’avenue judiciaire s’inscrit dans la norme des procédures et risque d’être celle qui viendra dédommager comme il se doit les investisseurs. Alors, on peut d’ores et déjà se questionner sur qu’est ce qui se produira si la Cour ordonne aux défendeurs un remboursement total des sommes subtilisées par Lacroix.  Le cas échéant, je doute fort que l’on demande aux investisseurs de rembourser le « cadeau » du fisc.

J’ai dit « cadeau » et j’entends déjà les vociférations à mon endroit me rappelant que les victimes de Lacroix n’en n’ont reçu aucun et ont justement été des victimes d’un crime grave aux répercussions dévastatrices au niveau économique, bien sûr, mais également sur le plan psychologique. Rien de plus vrai. Mais ce ne sont pas les seuls. Combien de gens ont été victimes de fraude, de toutes les combines inimaginables et ont perdu eux aussi des sommes colossales? L’argument formulé et sur lequel est fondée la décision du ministre, affirmant que l’argent utilisé par le fraudeur pour payer ses impôts était le leur, peut être avancé par pratiquement toutes les victimes de ce genre de crime. Si le fraudeur en question à payer des impôts, inutile même de faire la démonstration comptable du stratagème ou de retracer les sorties et entrées de fonds d’un compte à l’autre. La personne détroussée pourra toujours affirmer qu’il s’agit de son argent! Je vois déjà les victimes d’Earl Jones remonter le corridor et marcher d’un pas ferme en direction du bureau du ministre du Revenu avec les mêmes doléances. Ils auraient raison de le faire et le gouvernement, le devoir d’acquiescer à leur demande question d’être conséquent. Si non, c’est purement deux poids, deux mesures.

En résumé, ce n’est pas l’intention, si noble soit-elle, du gouvernement de vouloir aider les victimes de Norbourg qui pose problème ici mais plutôt le moyen à sa disposition utilisé pour le faire. Si l’objectif visé était d’aider les victimes éprouvées financièrement comme le laissait sous-entendre le ministre Dutil, le gouvernement aurait pu opter pour la création d’un programme de type « aide aux sinistrés ». En élaborant des critères d’admissibilités basés sur les besoins financiers, un tel programme aurait eu l’avantage d’être plus ciblé, plus efficace et surtout, plus juste et équitable, dans la mesure d’autres victimes de crimes similaires puissent y être admissibles. De plus, un trou actuel dans la Loi sur la distribution de produits et services financiers ne permet pas au Fonds d’indemnisation des services financiers d’indemniser les victimes de fraude lorsqu’il s’agit de fonds communs de placement. Une simple modification de la loi pour inclure cette activité financière permettrait d’éviter que d’autres investisseurs se retrouvent le bec à l’eau à l’avenir. Cependant, quatre ans après l’éclosion du scandale Norbourg, aucun changement législatif n’a été apporté à cet effet. Face à cette ambivalence, on est maintenant en droit de se demander qu’est ce qui motive et justifie les décisions du gouvernement Charest dans ce dossier. Quand on tient compte de la décision populiste qui fut retenue en raison entre autres du nombre élevé de personnes touchées et de l’ampleur médiatique du dossier, on peut avancer que la possibilité de se faire du capital politique aux frais des contribuables serait un élément de réponse à considérer.

Frédérick Dion

étudiant - cours du jeudi matin

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