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Blogue #2 Abraham H MIDETON: UN BREF SURVOL DU RAPPORT FINAL DE LA COMMISSION CHARBONNEAU

La corruption dans le secteur public ne se limite pas qu’aux seuls pots-de-vin. Globalement, la corruption consiste en un abus de pouvoir à des fins personnelles.
Au Canada, le Code criminel définit la corruption dans le secteur public comme étant le fait pour tout titulaire d’une charge publique d’accepter ou d’obtenir, de convenir d’accepter ou de tenter d’obtenir, directement ou indirectement, pour lui-même ou pour une autre personne, et pour toute autre personne de donner ou d’offrir directement ou indirectement à un titulaire d’une charge publique ou à quiconque au profit de cette personne de l’argent, une contrepartie valable, une charge, une place ou un emploi à l’égard d’une chose qu’il a faite ou s’est abstenu de faire ou qu’il fera ou s’abstiendra de faire en sa qualité officielle.
La corruption revêt des formes et des dimensions multiples ce qui la rend complexe à définir et difficile à déceler. Cette définition met en lumière deux facettes de la corruption à savoir l’offre d’un paiement illicite ou d'un avantage indu appelé « corruption du côté de l’offre » ou corruption active et l’acceptation ou à la sollicitation d’un tel avantage appelé « corruption du côté de la demande » ou corruption passive. En fait, la corruption peut être définie de plusieurs façons en fonction des acteurs impliqués (privé/publique), des formes observées et l’existence ou non de contrepartie (traditionnelle/non traditionnelle), du niveau hiérarchique des personnes impliquées (petite/grande), de l’ampleur du phénomène (systémique/individuelle ou isolée), de la partie initiatrice (offre/demande), de la contrainte subie (Deloitte, Canada et Boisvert, 2014). Selon le degré de contrainte exercé pour que l’acte illicite soit commis et le type d’avantages offert, on parlera de corruption par « commission » et de corruption par « omission ».

La corruption est préjudiciable à la communauté dans le sens qu’elle affecte les intérêts institutionnels par la recherche d’un avantage personnel au détriment de l’intérêt commun.
La corruption a des coûts politiques, économiques, sociaux et environnementaux(GOPAC et MONDIALE, 2005). Elle affecte négativement les lois et les politiques gouvernementales par le gaspillage et le détournement des ressources affectées aux différents programmes. Elle compromet la bonne gestion des affaires publiques. Elle constitue une menace pour l’indépendance de l’administration et de ses organes et pour les principes d’équité et d’égalité de traitement, de rigueur et d’intégrité administratives. Pour les entreprises, elle est un frein au respect des conditions d'une concurrence ouverte et transparente, fondée sur le prix et la qualité. Ce qui a de lourdes conséquences pour l'ensemble de l'économie et à terme sur la crédibilité des actions gouvernementales, sur le respect des institutions et sur la démocratie.

Le Québec n’est pas épargné par la corruption. En 1975, avec les travaux de la commission Cliche sur l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la construction et la série de mesures qui en a découlé, le Québec croyait être définitivement à l’abri de la corruption (Larochelle, 2013). Mais en 2005, la Commission Gomery révéla des détournements de fonds de plus de 332millions de dollars au niveau du gouvernement fédéral dans l’octroi de contrats de communication et de publicité principalement au Québec par l’entremise d’agences de publicité (publique et al., 2007). Cette affaire connue sous le nom du scandale des commandites prend sa source dans le référendum sur l’indépendance du Québec de 1995. D’autres épisodes douloureux concerneront des entreprises publiques comme l’affaire M3i en 1994 qui concerne Hydro-Québec.

Pour lutter contre ce fléau, le Canada et le Québec se sont dotés d’un arsenal juridique et répressif contenu dans le Code criminel du Canada et la loi concernant la lutte contre la corruption. Cette dernière loi institue la charge de Commissaire à la lutte contre la corruption qui a des prérogatives qui concernent la dénonciation des actes de corruption, les enquêtes relatives à la corruption, la prévention et l’éducation contre la corruption. En outre, l’Unité permanente anticorruption (UPAC) a été créée en 2011 avec pour mandat de coordonner et de diriger les forces et expertises gouvernementales pour lutter contre la corruption. D’autres dispositions ou mécanismes de lutte contre la corruption sont contenus dans la loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels qui donne accès aux citoyens aux documents des organismes publics, dans la loi sur les contrats des organismes publics qui est relative aux conditions applicables en matière de contrats publics et dans la loi sur le vérificateur général.

Alors que ces différents instruments sont de portée nationale, il apparait que le phénomène de la corruption affecte les transactions commerciales et financières internationales. En 2011, le préjudice subi par les États membres de l’UE au titre de la corruption était estimé à plus de 120 milliards d’euros par an soit 80% du budget annuel de l’Union (Communication, 2015).
Avec l’interconnexion des différentes économies du monde, l’apparition des entreprises multinationales et le développement du libre-échange, les États sont confrontés à des actes de corruption commis par des agents économiques non résidents sur leur sol et à des infractions impliquant des agents économiques nationaux hors des limites du territoire national. Le principe de la souveraineté nationale aidant, il est devenu évident au tournant des années 1990 et 2000 que les États pris isolément n’avaient plus la capacité de lutter efficacement contre la corruption.

La corruption impliquant des agents nationaux étant pris en charge par les différentes lois nationales, il restait à résoudre le problème de la corruption internationale. En réponse à cette problématique, les pays membres de l’OCDE ont adopté en 1997 la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers qui traite de la « corruption active ». Les États membres se sont engagés conformément à leurs principes juridiques à prendre les mesures nécessaires pour pénaliser les actes de corruption d’agents publics étrangers, à mettre en place des sanctions civiles, administratives ou pénales efficaces, proportionnées et dissuasives, à mener des poursuites contre leurs ressortissants pour des infractions commises à l’étranger et à coopérer par une entraide judiciaire prompte et efficace (OCDE 2011). Le Canada est signataire de cette convention, mais aussi de la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003(CNUCC) et de la convention interaméricaine contre la corruption de 1996.
En 1999, le Canada la loi sur la corruption d’agents publics étrangers, loi qui est périodiquement modifiée en tenant de l’évolution des contextes nationaux et internationaux. Depuis 1995, Tranparency International publie un index de perception de la corruption dans les administrations publiques. Le Canada y apparait comme étant un des pays les moins corrompus au monde, figurant régulièrement au top 10 des meilleurs élèves.

Ce classement international élogieux pour le Canada ne devrait pas être le prétexte à un relâchement des efforts dans la lutte contre la corruption. Les récents travaux de la commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction plus communément appelée Commission Charbonneau montrent que la corruption loin de disparaître ou de régresser se réinvente (Malsch et al., 2012). Ils révèlent l’existence de stratagèmes de collusion entre entrepreneurs, firmes de génie et fournisseurs constitués en cartels pour le partage des marchés publics. Ils soulignent également l’existence d’un système de corruption mettant en cause des élus, des hauts fonctionnaires et d’autres agents de la fonction publique, mais aussi de liens directs ou indirects entre le versement de contributions politiques et l’octroi de contrats. Surtout, les travaux prouvent l’infiltration d’entreprises et de secteurs de l’industrie par le crime organisé (Charbonneau et Lachance, 2015). Ce système de corruption et de corruption a entrainé une surfacturation des coûts de l’ordre de 22 à 35% dans le secteur de la construction. Cette hausse des coûts peut être attribuable à l’absence d’une concurrence réelle entre les entreprises. D’autres effets néfastes liés à la corruption et à la collusion sont le manque d’incitatif à l’innovation, la stagnation de la productivité, le manque d’efficience, la faible qualité des travaux réalisés, des biens et services livrés. Il est également à craindre que ces contraventions aux lois et règlements en vigueur affectent le système politique et les processus démocratiques. En effet lorsque les élus ou les hauts fonctionnaires qui succombent à la tentation de la font passer en premiers leurs intérêts particuliers et prennent des décisions qui ne répondent plus à l’intérêt public. La présomption de corruption rompt le lien de confiance qui unit l’élu au citoyen-électeur. Il en découle une crise de légitimité, légitimité qui est nécessaire à l’élu pour agir au nom de la communauté. Plus inquiétant encore, les exactions commises peuvent avoir des conséquences sur la confiance des citoyens à l’égard des institutions publiques et un désintérêt pour les questions politiques et communautaires. À terme, les stratagèmes notés peuvent affecter négativement l’État de droit et le débat démocratique.

Pour le cas précis du secteur de la construction, les travaux de la commission mettent en exergue plusieurs causes dont des causes liées aux caractéristiques de l’industrie de la construction, au processus de passation des marchés publics, à la gouvernance des institutions et des organisations, à l’infiltration du secteur par le crime organisé, à l’inefficacité et à l’inefficience des mécanismes de contrôle et de surveillance.

Pour venir à bout de la corruption, la Commission Charbonneau propose une stratégie fondée sur la modulation des interventions grâce à des approches multiples, allant de la persuasion à la coercition, sur une action systémique et coordonnée pour corriger les dysfonctionnements et mettre en place des réformes structurantes, sur l’amélioration de la qualité de l’intervention étatique par la réorganisation de certaines fonctions afin d’en accroître l’efficience, sur la prévention grâce à des mécanismes de veille pour prévenir l’apparition de nouvelles voies de contournement, sur la dépolitisation du processus d’octroi des contrats publics pour éviter toute influence partisane ou découlant de la personnalisation des rapports de travail entre la fonction publique et les entreprises contractantes, sur une plus grande transparence dans les décisions et les mécanismes relatifs à l’octroi et à la gestion des contrats publics, sur la participation des citoyens en qualité de lanceurs d’alerte et sur le renforcement de l’intégrité des acteurs des différents systèmes de régulation.
Plus prosaïquement, la Commission fait une soixantaine de recommandations qui sont articulées autour de cinq axes d’intervention à savoir :
• la révision de l’encadrement de l’octroi et de la gestion des contrats publics par la mise en place d’une structure nationale chargée de l’encadrement des marchés publics, l’uniformisation des lois et afin d’offrir aux donneurs d’ordre les moyens de mieux évaluer les critères de prix et de qualité dans les processus d’adjudication, la généralisation des obligations contractuelles à l’ensemble des organismes gravitant autour du périmètre gouvernemental et municipal,
• l’amélioration des activités de prévention, de détection et l’importance des sanctions grâce à un meilleur régime de protection des lanceurs d’alerte, à la modification de certains articles de la loi sur le bâtiment, de la loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, de la loi sur l’administration fiscale, de la loi concernant la lutte contre la corruption, de la loi sur les contrats des organismes publics, au renforcement et à l’uniformisation de certaines dispositions législatives et réglementaires applicables aux organismes publics,
• le placement du financement des partis politiques à l’abri des influences avec la modification des lois électorales et référendaires pour rendre les règles de financement des partis plus transparentes, et le renforcement des codes d’éthique et de déontologie applicables aux élus ;
• la facilitation de la participation citoyenne en permettant aux citoyens de poursuivre les fraudeurs au nom de l’État et en allégeant les processus de divulgation et de diffusion de l’information relatives à l’octroi de contrats publics ;
• le renouvellement de la confiance envers les élus et les serviteurs de l’État.

Même si pour le moment le nombre de poursuites criminelles peut être considéré comme insignifiant relativement à l’ampleur du préjudice subi par la communauté et au nombre d’acteurs ayant été impliqués, certaines des recommandations contenues dans le rapport de la Commission Charbonneau permettront à n’en pas douter de mieux lutter contre la corruption. N’oublions pas au passage que les travaux de cette commission ne concernaient que le seul secteur de la corruption. Il serait intéressant d’étudier le phénomène dans d’autres secteurs de la sphère publique même si cela peut sembler fastidieux et coûteux. Une formule moins onéreuse serait de s’inspirer des résultats de cette commission et de les adapter aux autres secteurs. Gageons que ces recommandations issues d’un travail acharné seront mises en pratique le plus rapidement possible.
Cependant, il ne faudrait pas croire que la corruption sera endiguée totalement et définitivement. Avant la Commission Charbonneau, d’autres commissions se sont tenues au Québec sur le sujet de la corruption. Mais le retour cyclique du phénomène laisse penser que la corruption ne meurt pas, mais se réinvente constamment. Ceci pour dire qu’une vigilance de tout instant est nécessaire pour la contenir dans des proportions acceptables et non nuisibles au bien-être de la communauté. Coupez une tête de l’hydre de Lerne et en voilà deux qui poussent.

BIBLIOGRAPHIE


Charbonneau, France, et Renaud Lachance (2015). «Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction», p.1741, [en ligne], http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs2502594 (Page consulté le 28/11/2015).

Communication, European Commission ; Directorate-General for (2015). La lutte de l’UE contre la fraude et la corruption : dans les coulisses de l’OLAF, l’Office européen de lutte antifraude, Trad. de: fre, Luxembourg, Luxembourg : Publications Office.

Deloitte, Canada Sécurité publique Canada et Anne-Marie Boisvert (2014). La corruption au Canada : définitions et exécution, Trad. de: fre, Ottawa], Sécurité publique du Canada = Public Safety Canada, 1 ressource en ligne (74 pages). [en ligne], http://publications.gc.ca/collections/collection_2015/sp-ps/PS18-10-2014-fra.pdf.

GOPAC, et INSTITUT DE LA BANQUE MONDIALE (2005). «COMBATTRE LA CORRUPTION: MANUEL DU PARLEMENTAIRE», p.90, [en ligne], http://www.agora-parl.org/sites/default/files/GOPAC - Combattre la corruption-manuel du parlementaire - 08.2005 - Fran%C3%A7ais - PACE_0.pdf (Page consulté le 25/11/2015).

Larochelle, Gilbert (2013). «Le Québec sous l'emprise de la corruption», Cités, vol. 53, no 1, p.159.

Malsch, Bertrand, Danielle Morin, Marie-Soleil Tremblay et Stéphane Paquin (2012). «Collusion et corruption dans les administrations : les vérificateurs généraux seraient-ils condamnés à n’être que des tigres de papier ?», Télescope, vol. 18, no 3, p.173-180.

publique, École nationale d'administration, Jean-Patrice Desjardins, Magalie Jutras et Yves Boisvert (2007). L'impact du scandale des Commandites sur la régulation des comportements des agents publics du gouvernement canadien, Trad. de: fre, Montréal], École nationale d'administration publique [en ligne], http://archives.enap.ca/bibliotheques/2008/02/030017511.pdf.

Commentaires

  • À boire et à manger dans ce rapport pour un...administrateur public !

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