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"L'affaire du niqab", ou: Profiter des femmes, encore, pour faire de la politique

Jonathan Hope

Au dernier cours (25 septembre), nous avons analysé ensemble le débat des chefs, organisé et transmis par Radio-Canada la veille. Nous avons notamment parlé de l’affaire du niqab, et des proportions démesurées qu’a pris cet enjeu lors du débat. J’ai exprimé mon insatisfaction à l’égard des positions des différents chefs. Je prends le temps ici de préciser ma pensée.

Je suis persuadé qu’en temps normal les Canadiennes et Canadiens sont aussi peu intéressés par le niqab que par des cérémonies d’assermentation. Mais pour le meilleur et pour le pire, les êtres humains sont influençables, et en quelques jours, à la suite d’une opération de marketing politique finement orchestrée, plein de gens se sont sentis concernés et ont senti un certain devoir, voire une obligation de prendre position. En quelques jours tous les Canadiennes et Canadiens devaient être en mesure de fournir une réponse simple, à la question, simpliste : "êtes-vous pour ou contre le niqab?" Et pour cette raison, lors du débat des chefs de jeudi, on a cru bon passer un gros six minutes sur le sujet de la prestation de service à visage découvert.

Mais dans le contexte d’une discussion ou d’un débat, les réponses à des questions de mauvaise qualité sont d’une valeur assez limitées. D’ailleurs, dans un processus de réflexion, il est plus important, et plus difficile, de formuler les bonnes questions, que de trouver les bonnes réponses. "Êtes-vous pour ou contre le niqab?", s’est l’exemple même d’une mauvaise question.

On pourrait s’opposer à cette question en soulignant que, pour bien réfléchir à l’affaire du niqab on doit faire preuve de compétences à la fois très spécifiques et très variées, notamment dans les domaines religieux, social et culturel, juridique et légal. À ma connaissance, ni Harper, ni Mulcair, ni Trudeau, ni Duceppe, ni May, n’ont ces compétences. D’ailleurs, c’était loufoque d’entendre tous les chefs, ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre, évoquer le même argument et se poser en défenseurs des "droits des femmes". Mais ça, c’est la splendeur et la misère de la démocratie : toutes les personnes ont le droit à leurs opinions, et toutes peuvent la construire comme elles le veulent. Comme je le fais moi-même. Et dans un cas pareil, il est normal que des chefs de partis prennent position en espérant étayer les arguments qui sauront rallier une majorité de l’électorat. Certains font des gains (PC, BQ), d’autres subissent des pertes (NPD, PLC). Mais ce qui est pourri dans l’affaire du niqab ne s’explique donc pas par les compétences, parce que, à la différence des technocraties, les démocraties peuvent s’en passer.

Ce qu’il y a de mauvais dans la question "êtes-vous pour ou contre le niqab?", et la supposée obligation de prendre position, c’est qu’elle traduit une tendance : celle de poser les femmes en problème. Ce qu’il y a de mauvais dans cette question, c’est qu’une fois de plus, on fait de la politique sur le dos des femmes. Et pas n’importe lesquelles : les nouvelles immigrantes, parfois des réfugiées, qui sont déjà dans une situation de précarité. À l’exception de May, on avait lors du débat des chefs, quatre bonshommes qui se crêpaient le chignon sur l’habillement des femmes. Ce sont encore les femmes qui sont source de division, à nous de les gérer parce que, on le sait, elles ne peuvent pas se gérer elles-mêmes. Les femmes sont encore, comme l’était la déesse romaine éponyme Discorde, source de querelles et de controverses. Évidemment, c’est une distraction (pour notamment, ne pas parler de coupes dont les femmes sont souvent les premières victimes). Mais cette distraction, ce sont encore les femmes qui en font les frais. Les femmes sont encore une fois ridiculisées.

Ainsi, prendre position dans l’affaire du niqab ne se résume pas à se dire pour ou contre. Il faudrait plutôt arrêter de casser du sucre sur le dos des femmes et participer avec elles, de manière plus constructive et plus essentielle, à la vie politique.

Commentaires

  • Jonathan,
    Je trouve ton article pertinent, car il aborde une particularité chez certaines femmes. L'enjeu de cette question interpelle surtout la démocratie et la liberté individuelle.
    La question ne devrait pas s'intéresser au fait que nous soyons pour ou contre, mais plutôt à expliquer le problème dans son contexte. Beaucoup de Canadiens s'inquiètent qu'on ne peut pas identifier la personne, et donc celle-ci pourrait revenir et voter une multitude de fois. Cela est à l'origine du mouvement des gens qui ont essayé de voter avec le sac de patate sur la tête lors du vote par anticipation ces derniers jours.
    Les femmes portant le niqab sont peu nombreuses au Québec. Comme tu l'as mentionné, celles-ci sont nouvellement arrivées. Elles portent avec elles un bagage rempli d'expériences, elles peuvent être réfugiées et avoir été victime de la guerre.
    À mon avis, il serait intéressant d'encourager la participation des femmes portant le niqab à la vie démocratique par le dialogue. En tendant la main vers l'autre ouvertement, on peut initier un échange afin que chacun des parties fasse comprendre son point de vue et ainsi trouver un terrain d'entente. On ne peut pas rejeter ces femmes, elles risquent de se replier sur elles-mêmes et ne pas faire d'efforts dans la société.
    On peut suggérer qu'au moment de l'identification, la femme portant le niqab peut montrer son visage à une femme mandatée par le bureau des élections.

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