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Compte-rendu critique du chapitre « La concertation syndicats-patronat-état : Le modèle suédois à la rescousse du Québec? »

Jonathan Hope

INTRODUCTION

Dans une optique néocorporatiste, les pays scandinaves font participer à la régulation sociale et politique, l’État, les syndicats et le patronat. Autrement dit, l’État coordonne les politiques publiques, de concert avec les grands groupes d’intérêts qui représentent les travailleurs et les employeurs. Ainsi, on reconnaît et on encourage une certaine forme de lobbyisme, une institutionnalisation de certains groupes de la société civile. L’objectif de Jean-Patrick Brady dans son chapitre « La concertation syndicats-patronat-État : le modèle suédois à la rescousse du Québec? » est double. D’abord, l’auteur analyse les différentes périodes historiques de la concertation syndicat-patronat-état (CSPE) suédoise. Ensuite, l’auteur dresse des parallèles entre le modèle suédois et le modèle québécois. Nous reprendrons ici la structure de son texte.


1. HISTOIRE DU MODÈLE DE CONCERTATION SCANDINAVE/SUÉDOIS

Les origines de la CSPE scandinave remontent à la fin du 19e siècle et au début du 20e. En Suède, spécifiquement, c’est en 1906 que le syndicat Landsorganisationen i Sverige (LO) a conclu un accord avec le groupe d’employeurs Svenska Arbetsgivareföreningen (SAF). L’entente donnait droit au syndicat de négocier des conventions collectives, et fournissait aux employeurs un cadre leur permettant de gérer leurs entreprises avec une plus grande autonomie. Les résultats de cet accord sont pourtant limités, comme l’indiquent le nombre de lockouts et de grèves, et le nombre de travailleurs impliqués dans des conflits de travail, dans les années dix, vingt et trente.

Il faut donc attendre la conférence de Saltsjöbden en 1938 pour que les parties syndicale et patronale s’entendent sur quelques principes, notamment :
- le moins d’intervention possible de la part de l’État,
- l’utilisation limitée de grève et lockouts,
- la liberté pour les travailleurs de choisir leur affiliation syndicale,
- la liberté pour les employeurs de gérer leurs entreprises,
- la création de centrales afin de superviser les négociations de conventions collectives.
Outre ces principes, qui profitaient à l’un ou l’autre de ces partenaires, il fallait également s’entendre sur des mesures de développement et de stimulation économiques pour la Suède entière. Ainsi, les syndicats et les employeurs misaient sur la croissance économique soutenue, notamment par une faible inflation, une politique de plein-emploi, et une baisse des inégalités salariales. Cette croissance devait se traduire en un meilleur profit pour l’entreprise, une augmentation des salaires pour les travailleurs (augmentation qui dépend de la croissance économique, elle-même liée au secteur de l’exportation), et un renflouage des coffres de l’État. C’est d’ailleurs le rôle de l’État de concevoir une politique de la main-d’œuvre, axée sur des formations continues (programme de recyclage) et des allocations de déménagements. Brady note justement à ce sujet : « L’une des spécificités de cette politique est la faible proportion des sommes distribuées à des mesures d’assurance chômage, qui sont vues en Suède comme passives et ne favorisant pas le retour au travail des bénéficiaires. » (122)

Un effet remarquable de la concertation entre syndicats et employeurs est la paix sociale et industrielle engendrée. Puisqu’il y avait déjà un consensus parmi les grands groupes de pression – autrement dit, qu’une bonne partie de la société civile s’entendait sans l’intervention de l’État –, le gouvernement n’avait qu’à mettre en application les décisions qui découlaient de ces agences. Brady note : « L’État pouvait alors se débarrasser d’éventuels problèmes concernant une désapprobation de la population, car la responsabilité de la marche de l’État était partagée. » (123). La société suédoise connut donc pendant plus de 40 ans une période de relative stabilité, qui coïncidait au règne sans partage du Parti social-démocrate (Sveriges socialdemokratiska arbetareparti ou SSA).

Le vent tourna dans les années 1970, alors que les travailleurs exigeaient une plus grande démocratie industrielle. Le gouvernement appuya ces revendications, et adopta en 1976 le « Co-Determination Act », une loi qui donna le droit aux syndicats de nommer des travailleurs sur les conseils d’administration des entreprises conventionnées. Les groupes d’employeurs y voyaient un affront à leur autonomie de gestion. L’évènement est considéré comme une des raisons pour lesquelles le SSA perdit l’élection de 1976 à une coalition composée des partis Centriste, Populaire et Conservateur.

Dans les années 1980 et 1990, la Suède connut une série de bouleversements qui transforma en profondeur son modèle néocorporatiste de CSPE. D’abord et avant tout, il y a l’alternance des gouvernements (SSA, coalitions centre-droit). D’autres facteurs incluent :
- l’importante dette publique qui atteint 80% du PIB,
- un taux de chômage qui atteint 10%,
- des politiques publiques trop couteuses par rapport à la richesse de l’État.
Plusieurs facteurs ont affaibli directement les syndicats et leur rapport de force avec les employeurs, notamment :
- la multiplication des centrales syndicales,
- un affaiblissement du taux de syndicalisation,
- le retrait du SAF des agences gouvernementales, « brisant donc le cercle de concertation qui existait sur les mises en œuvre des politiques » (Brady, 127),
- le démantèlement de l’agence centrale de négociations des conventions collectives, et la création d’agences sectorielles.

Ces changements organisationnels ont évidemment eu des répercussions, et les négociations de 1991 et 1995 ont été marquées par une série de conflits de travail. Afin d’éviter que ces conflits ne se reproduisent, en 1997 un groupe d’employeurs et de syndicats issus du secteur manufacturier s’est entendu sur un ensemble de principes, le Industrial Agreement, afin d’encadrer l’industrie et les négociations. Cette entente mettait en place, entre autres, un Comité de l’industrie, une sorte de service de médiation afin d’éviter l’intervention de l’État. Brady décrit la fonction de ce comité ainsi : « Ce comité a pour but de superviser la négociation dans les différents domaines qui existent au sein de l’industrie manufacturière. Il a même le pouvoir d’empêcher les différentes parties d’utiliser le recours à la grève ou le lockout. » (128) L’entente est considérée comme une des clés au succès de la ronde de négociations de 1998. Pour cette raison, le secteur public s’est doté d’un cadre équivalent.


2. COMPARAISON AVEC LE QUÉBEC

D’après Brady, le Québec dispose d’un modèle de CSPE similaire : « Autant du côté syndical que patronal, ces acteurs font preuve d’une plus grande présence dans l’élaboration des politiques publiques que dans le reste de l’Amérique du Nord. » (130). Évoquant des sommets socioéconomiques sous René Lévesque et Lucien Bouchard, et le rendez-vous économique entre syndicats et patronat, Brady qualifie même, à certains égards la politique québécoise comme néocorporatiste, rajoutant : « nous serions tentés de nous réjouir du modèle québécois. » (131)

Sur ce point, par contre, Brady est très peu convaincant, puisque la comparaison entre le Québec et la Suède est assez mince. Brady reconnaît lui-même que l’État québécois est fortement centralisé (130) et que le modèle de CSPE au Québec connaît plusieurs faiblesses qui s’expliquent par, notamment :
- l’absence de monopole patronal et syndical,
- l’alternance des partis politiques (PQ, PLQ), qui rend « difficile d’institutionnaliser de manière durable des mécanismes de concertation » (132),
- l’absence d’outils de concertation,
- l’incapacité du Québec de contrôler son économie de manière autonome (l’obstacle institutionnel et symbolique que représente le pallier fédéral).

Malgré ces lacunes, on sent que l’auteur aimerait que la CSPE au Québec ressemble plus à celle de la Suède. Enfin, le modèle de concertation suédois n’est pas un cadeau tombé du ciel. Plutôt, le texte de Brady nous aide à comprendre que la Suède a profité, a créé, certaines conditions propices au développement de son modèle. Si le Québec veut se doter d’un modèle similaire, il suffit de créer les conditions gagnantes. Évidemment, il faudrait procéder à d’importantes réformes, ce qui nécessite un appareil étatique et une société civile forts, compétents, organisés et intègres. Est-ce le cas au Québec? La question reste ouverte.

Commentaires

  • Nos modes de relations trouvent ailleurs dans le monde des exemples à scruter attentivement.

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