L'avenir autochtone au Canada et au Québec
Historiquement, de nombreux traités ont été signés de grandes étapes ont été franchies dans le processus de reconnaissance des droits autochtones au Canada et au Québec. Plusieurs étapes soulignées par le professeur Rémy Trudel dans le cadre de notre cours d’administration publique méritent d’être énumérées : pensons à 1763 (la conquête - où les droits aborigènes sont reconnus dans la Proclamation Royale), à la loi sur les Indiens de 1876 (fondant tout le régime de vie des autochtones), à la Déclaration de la Couronne de 1930, à la constitution canadienne de 1982 (art.35 - assurant la protection des droits aborigènes), aux 15 principes fondamentaux qui fondent les relations les nations autochtones au Québec, à la reconnaissance de 11 nations au Québec par René Lévesque en 1985, à la paix des Braves en 2002. Quelles sont donc les grandes lignes des objectifs actuels et des options de solutions possibles? Je tenterai d’en faire mon analyse dans ce blog.
Situation actuelle
Début octobre 2013, à Ottawa, le chef de l’assemblée des premières nations au Canada, monsieur Shawn Atleo venait faire le point sur les visées du mouvement Idle No More venant souligner le 250e anniversaire de la Proclamation royale signée par le roi George III en 1763. Il parle notamment de l’importance des premières nations de mener la marche pour le changement en matière d’éducation, de santé, et fait valoir l’importance d’une enquête approfondie et nationale concernant les meurtres et disparitions de femmes autochtones.¹ Dans les jours qui suivaient [7 au 15 octobre 2013], M. Anaya [rapporteur spécial de l’ONU chargé d’enquêter sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones] viendra renforcir négativement ce portrait critique :
Surpopulation dans des logements en piètre état dans les réserves du pays; un taux de suicide “alarmant” qui est cinq fois plus élevé que chez les jeunes Canadiens qui ne sont pas de descendance autochtone; un risque huit fois plus élevé pour les femmes autochtones d’être assassinées que leurs consœurs non autochtones; un taux d’incarcération disproportionnellement élevé. Si les gouvernements canadiens ont bel et bien agi au cours des dernières années pour améliorer les conditions de vie des autochtones, “ces gestes étaient insuffisants”. (Journal Le Devoir, 16 octobre)
Droits bafoués
Sur le plan international, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en septembre 2007 octroie certains droits aux peuples autochtones tels les droits à la terre et aux ressources naturelles, droit de réparation en cas de spoliation avérée. Cependant, 143 États ont voté pour le texte, 11 se sont abstenus, 4 ont voté contre (dont le Canada). Toutefois, il faut garder espoir que la Déclaration acquière au fil du temps une valeur de norme coutumière internationale, qui à la différence d’une déclaration s’avérerait juridiquement contraignante pour les États. Or, on sait que l’histoire nous montre aujourd’hui les impacts transgénérationnels de certains droits toujours bafoués et de l’expérience troublante des pensionnats religieux où l’on a voulu les assimiler. Cette relation asymétrique avec les autochtones les a poussé à se battre et à revendiquer pour « obtenir plus d’autonomie, avoir des territoires plus grands et sauvegarder l’identité et la culture »⁴. Après tout, on ne peut nier le fait l’occupation du territoire canadien était bien réelle même avant l’arrivée des européens en Amérique.
Pendant ce temps, à Ottawa… on apprend que le gouvernement Harper a récemment adopté les lois C-45 et C-38 [lois mammouths] réduisant dramatiquement le processus de consultation et éliminant les protections environnementales pour des milliers de lacs, rivières et cours d’eau.
Options de solutions en administration publique
Grâce au processus de ‘cogestion’ [‘gestion collaborative’, ou ‘gestion communautaire’] des ressources naturelles, de plus en plus d’ententes sont conclues tel que la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. L’idée étant d’exercer un contrôle commun et partagé sur les terres et les ressources, tout en évitant le recours aux tribunaux pour en déterminer. L’État (l'Administration publique) devient donc partenaire et médiateur ce qui lui permet de conserver sa position d’autorité. La Commission royale sur les peuples autochtones en fait même une conception centrale de sa conception de l’exercice de l’autodétermination autochtone au Canada. Cependant, le cadre législatif et politique, entourant ces négociations, doit fondamentalement fournir des outils efficaces, sûrs et souples à la gestion communautaire si l'on veut qu'elle devienne une stratégie durable et diffuse⁸, parce qu’en administration publique, tout changement doit être approuvé par une Cour de justice afin d’être implémenté. C’est notamment ce qui justifie la raison de l’organisation d’autochtones en société nationale à l’intérieure des normes canadiens afin de légitimiser leur présence en tant qu’acteurs, même si le but ultime final est la remise en cause de ces normes. Telles sont les règles du jeu de notre état de droit. Seules les lois peuvent instituer le changement. Le modèle de la cogestion, en administration publique, est une voie de collaboration fort intéressante qui pourrait offrir des résultats appréciables en s’appliquant à d’autres domaines tels que la santé et l’éducation.
Enjeux sectoriels au Québec
En santé, certaines communautés vivent en région éloignée, et ont difficilement accès aux soins de santé, s’expliquant en grande partie par une pénurie de professionnels de la santé exerçant dans les milieux autochtones. La dépendance aux systèmes de santé canadiens ou québécois, aux hôpitaux dispensaires de soins et services, n’est pas une solution viable. Avec l’aide du gouvernement, il faut provoquer une autonomie administrative durable par les communautés autochtones (contrôle communautaire de la santé et de leurs services sociaux). Et puis, ça aura pour conséquence parallèle d’aider à la débureaucratisaton de l’État. En éducation, il est appréciable de voir que le Québec élabore un nombre croissant de programmes chaque année en étroite collaboration avec les communautés et organisations autochtones afin de favoriser la réussite scolaire. « Le PIB du Canada augmenterait de plus de 400 milliards de dollars d’ici 2026 si le niveau de scolarité des Autochtones était aussi élevé que celui des autres Canadiens⁶“ pouvait-on lire sur le site du gouvernement canadien. Véritable incarnation d’une de ces réussites : l’ouverture du cégep Kiuna⁷, premier cégep adapté à la réalité autochtone - un concept cher à la directrice de l’école madame Lise Bastien qui réussit à convaincre le ministère de l’Éducation du Québec de lui fournir quatre millions de dollars pour son projet. Grâce à de tels projets et aux ententes collaboratives entre institutions d’enseignement, peut-être réussirons-nous, par exemple, à hausser le taux de diplomation des autochtones dans le domaine de la médecine afin de pallier au manque de main d’œuvre en région éloignée.
La voie vers l’autodétermination des peuples autochtones nécessite une véritable prise en main de leur part. Pour se faire, parallèlement aux ententes politiques, le gouvernement doit, se détacher financièrement (diminution des paiements de transferts) et déléguer des responsabilités administratives afin de progressivement les transférer aux communautés autochtones. Pour que celles-ci développent une réelle administration publique et une redditions de compte efficace, il faut que notre administration publique leur fournisse les compétences pour se faire, sinon elles naviguent dans un système étranger et l'efficacité ne peut être atteinte. Plusieurs efforts de collaboration dignes de mention sont rapportés par la ministre Larouche¹¹, tels que : la collaboration dans le cadre de la Table Québec-APNQL¹², ou bien, la mise en œuvre de l’entente sur la gouvernance dans le territoire d’Eeyou Istchee-Baie-James. Cette dernière, signée en 2012, offre une structure de gouvernance faisant des autochtones et des allochtones des décideurs égaux, des partenaires à part entière, les uns devant les autres – ‘un moment inédit après les demandes répétées des Premières Nations pour une autonomie réelle.’¹³ Cette entente a su instaurer un climat respectueux de négociations bilatérales permettant un développement ordonné et durable profitable pour toutes les parties, dans l’intérêt du bien commun des canadiens, mais aussi du bien commun des communautés autochtones.
Conclusion
En administration publique, le défi qui se pose actuellement et pour l’avenir est donc de faire subsister deux régimes de droit et les concilier de façon harmonieuse. Les récents développements sont encourageants, mais beaucoup reste encore à faire pour restituer l’entièreté des droits des premières nations, et permettre leur émancipation collective par un plein développement social, culturel, économique et politique. Après tout, n’est-ce pas ce que le Québec demande pour lui-même, en tant que nation reconnue et société distincte?
M.J.
RÉFÉRENCES
² AMNISITIE INTERNATIONALE (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web d'Amnisitie Internationale, [en ligne], www.amnistie.ca
¹² ASSOCIATION DES PREMIÈRES NATIONS DU QUÉBEC ET DU LABRADOR (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web de l’APNQC-AFNQL, [en ligne], www.apnql-afnql.com
¹³ CHOUINARD, Marie-Andrée (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web Le Devoir, [en ligne], www.ledevoir.com
⁷ GUÉRICOLAS, Pascale (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web de l’Actualité, [en ligne], www.lactualite.com
⁸ LINDSAY, J.M. (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, [en ligne], www.fao.org
⁵ MICHAUD, Nelson et coll. (2011). Secrets d’États? Les principes qui guident l’administration publique et ses enjeux contemporains, PUL, p.699.
⁶ MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web du Ministère des affaires autochtones et du développment du Nord Canada, [en ligne], www.aadnc-aandc.gc.ca
¹ RADIO-CANADA (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web de Radio Canada, [en ligne], www.radio-canada.ca
⁹ RODON, Thierry (2003). En partenariat avec l’État : les expériences de cogestion des autochtones du Canada, Québec, Les Presses de l’Université Laval.
³ STATISTIQUES CANADA (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web de Statistiques Canada, [en ligne], www12.statcan.gc.ca
⁴ SECRÉTARIAT AUX AFFAIRES AUTOCHTONES DU QUÉBEC (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web du Secrétariat aux affaires autochtones, [en ligne], www.autochtones.gouv.qc.ca/
¹¹ ----- (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web du Secrétariat aux affaires autochtones, [en ligne], www.autochtones.gouv.qc.ca
¹⁰. ----- (Page consultée le 2 novembre 2013). Site web du Secrétariat aux affaires autochtones, [en ligne], www.autochtones.gouv.qc.ca/
TRUDEL, Rémy (2013). ENP7505 - Principes et Enjeux de l’Administration Publique. Recueil de textes de l’École nationale d’administration publique. Séance 8.